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Sonko : Motion de Procès-dur

29 milliards de questions taraudent sur l’affaire Sonko/ Mbaye Niang

Querelles de Procès-Dur !

Sur le mode question-réponse, des éclaircissements autour de la prochaine audience ont été apportés par Ibrahima Ndiaye, juriste, enseignant, consultant spécialiste du Droit des médias, et Meguèye Sèye, Doctorant au Centre d’études des Relations internationales et stratégiques (CERIS) de l’Université Cheikh Anta Diop, élève-greffier au Centre de Formation judiciaire du Sénégal.

Entretien croisé dirigé par Chérifa Sadany Ibou Daba SOW,

Cheffe du Desk Culture

Quelle analyse faites-vous de l’affaire Mame Mbaye Niang contre Ousmane Sonko ?

Meguèye Sèye-Doctorant au centre d’études des relations internationales et stratégiques( CERIS) de l’université cheikh Anta Diop de Dakar . Élève greffier au centre de formation judiciaire du Sénégal.

Meguèye Sèye

Dans tout Etat de droit, il est reconnu à tout citoyen, en tout cas qui pense que son image est ternie ou ses droits bafoués, la possibilité d’intenter une action en justice pour que le droit soit dit. En l’espèce, Mame Mbaye Niang, se sentant diffamé, a tout à fait le droit d’ester en justice.

Je le rappelle : cela est le cours normal des choses et il ne s’agit  là d’un cas d’école car au tribunal, nous avons tous les jours, des dossiers en diffamation qui sont jugés dans le plus grand « anonymat ».

Seulement, cette affaire ne peut pas être comparée aux autres pour la simple raison que Mame Mbaye Niang est connu pour avoir été un ministre de la République et Ousmane Sonko qui est aujourd’hui le N°1 de l’opposition au Sénégal en raison de son score lors de la dernière élection présidentielle, ce qui fait que ce procès en diffamation ne peut pas être comme les autres.

Qu’est ce qui est considéré comme diffamation ?

Meguèye Sèye

Pour répondre à cette question, il faut visiter les dispositions du Code pénal sénégalais en son article 258 qui dispose : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. Lorsqu’elle a été faite par l’un des moyens visés à l’article 248, elle est punissable même si elle s’exprime sous une forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés… »

En guise d’approfondissement !

Ibrahima Ndiaye

Ibrahima Ndiaye, Juriste-Enseignant-Consultant. Spécialiste du Droit des médias.

La diffamation est considérée comme toute allégation, ou imputation d’un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. Ce sont les articles 258, 260 et 261 du Code pénal sénégalais qui en disposent. On parle de diffamation dès l’instant que le plaignant considère qu’on a porté atteinte à son honorabilité et même de manière dubitative à travers un moyen de diffusion publique comme prévu dans l’article 248 du Code pénal Sénégalais.

 Cependant, il y a lieu de distinguer les deux régimes juridiques de la diffamation :

Diffamation portant sur la vie privée, d’une part, et

– Diffamation ne portant pas sur la vie privée d’autre part.

 Dans la diffamation portant sur la vie privée, le diffamateur n’a aucune possibilité de se défendre sauf si le diffamé a volontairement exposé sa propre vie privée. On dit ici que même si l’accusé produit les preuves de ses propos, elles seront retenues contre lui dans la mesure où l’intention de faire mal est coupable et nettement avouée.

Techniquement, on parle d’inversion de la charge de la preuve puisque le fait de fournir la preuve ne décharge pas le diffamateur mais l’enfonce plutôt.

Il faut retenir alors qu’en cas de diffamation portant sur la vie privée, le tribunal est obligé de condamner l’accusé.

Si la diffamation ne porte pas sur la vie privée, il sera admis le principe appelé  « Exceptio Veritas » ou  « Exception de vérité ». Cela signifie que l’accusé pourra produire les preuves de ses propos pour se défendre devant le tribunal avec des conditions bien définies.

Il s’agit de :

1- faits qui ne remontent pas à 10 ans.

2- faits qui ne sont pas amnistiés.

3- absence d’animosité entre l’accusé et la victime.

4- intérêt et droit du public à l’information.

Dans ce procès Sonko/Niang, quelles sont les peines encourues en cas de diffamation ?

Meguèye Sèye : Tout dépendra de la qualité de la personne qui a porté plainte : Mame Mbaye Niang portant les qualités de membre du gouvernement, si le tribunal retient la culpabilité d’Ousmane Sonko, il se verra appliquer les dispositions de l’article 259 (Loi n° 77-87 du 10 août 1977). Cet article dispose : « La diffamation commise par l’un des moyens énoncés en l’article 248 envers les Cours et Tribunaux, l’Armée et les administrations publiques sera punie d’un emprisonnement de quatre mois à deux ans et d’une amende de 200.000 à 1.500.000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement ».

Étant donné que l’article 260 applicable aux membres du gouvernement dispose que sera punie de la même peine la diffamation commise par les mêmes moyens, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité envers un ou plusieurs membres du Gouvernement…, on est en droit de dire que la peine encourue si le prévenu est reconnu coupable est celle prévue à l’article 259 du code pénal.

Ibrahima Ndiaye : Rapportant ce qui précède à l’affaire Ousmane sonko-Mame Mbaye Niang, il sera question de preuves. Donc Ousmane Sonko pourra se prévaloir de l’Exception de vérité pour ne pas être condamné.

Par contre, si les preuves confirment que Mame Mbaye Niang a effectivement été épinglé dans la gestion du PRODAC, le juge sera obligé de condamner Ousmane Sonko.

La peine est de 3 mois à 2 ans de prison et une amende de 100.000 f à 1.000.000 f.

Il faut un procès juste et équitable entre ces deux citoyens sénégalais d’égale dignité devant la loi. Pour ce faire, toutes les parties doivent être traitées sur un même pied et que le Droit soit dit, quelles qu’en soient les conséquences et à quelque niveau que ce soit.

Quelles sont les raisons qui poussent le code de procédure pénale à autoriser un renvoi d’audience ?

Meguèye Sèye : Plusieurs dispositions dans ledit code en parlent mais on peut citer l’article 389 (Loi n° 85-25 du 27 février 1985) qui dispose que le président a la police de l’audience et la direction des débats ; il peut prendre toutes mesures utiles pour en assurer la dignité et la sérénité. Lorsque le dossier est en état d’être jugé, l’affaire ne peut faire l’objet de plus de trois renvois pour quelque cause que ce soit. Après trois renvois successifs, l’affaire est obligatoirement jugée.

Donc c’est une possibilité laissée au juge de renvoyer si le dossier n’est pas en état ou sur demande de l’une des parties.

Ibrahima Ndiaye : Le renvoi d’un procès se justifie par la nécessité de réunir toutes les conditions nécessaires pour la tenue du procès, ce qui présume que le juge a dit le droit dans un état d’esprit normal.

Dans ce procès, les différents renvois observés ne résultent que d’une stratégie procédurale des avocats qui font du  dilatoire pour, sinon ne pas aller en procès, du moins le retarder au maximum pour un prétendu avantage non évident de Ousmane Sonko.

A qui profite le renvoi d’audience ?

Meguèye Sèye

Il est évident que le renvoi profite à celui qui le demande. Cela lui permet de mieux se préparer ou même de faire du dilatoire comme c’est l’impression que nous avons dans le cas d’espèce.

Sonko risque-t-il l’inéligibilité si toutefois il est condamné dans ce procès ?

Meguèye Sèye

C’est tout l’intérêt de ce procès. Aujourd’hui, du pouvoir comme de l’opposition, ce qui est clair, c’est que l’issue du procès aura de lourdes conséquences pour les présidentielles prochaines.

Si on s’attache aux dispositions des articles L29 ET L30 du code électoral, nous avons de quoi répondre par l’affirmative.

En effet, l’art L.30 dispose : « Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les condamnés soit pour un délit visé à l’article L.29, troisième tiret, à une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un mois et inférieure ou égale à trois mois ou à une peine d’emprisonnement avec sursis égale ou supérieure à trois mois et inférieure ou égale à six mois, soit pour un délit quelconque à une amende sans sursis supérieure à 200.000 FCFA, sous réserve des dispositions de l’article L.28. Toutefois, les tribunaux, en prononçant les condamnations visées au précédent alinéa, peuvent relever les condamnés de cette privation temporaire du droit de vote et d’élection. Sans préjudice des dispositions de l’article L.29 et du premier alinéa du présent article, ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai fixé par le jugement, ceux auxquels les tribunaux ont interdit le droit de vote et d’élection par application des lois qui autorisent cette interdiction ».

Ibrahima Ndiaye

Concernant les conséquences d’une éventuelle condamnation de Ousmane Sonko, il faut retenir qu’aux termes de l’article 29 du Code électoral, s’il est condamné à plus de 3 mois fermes ou à plus de 6 mois avec sursis, il ne sera pas inscrit sur les listes électorales. Cela signifie donc qu’il ne pourra ni voter, ni se présenter à l’élection présidentielle de 2024.

Ça parle d’audience spéciale pour le 30 mars prochain. Pourrons-nous s’attendre à un nouveau renvoi ?

Meguèye Sèye

L’audience spéciale, c’est juste une audience comme les autres mais elle sera la seule inscrite au rôle du jour. Maintenant, est-ce qu’il y aura renvoi ou pas,  cela dépendra du tribunal.

Ce qu’il faut retenir, c’est que le tribunal a l’obligation de juger l’affaire après 3 renvois successifs.

Ibrahima Ndiaye

Concernant le procès en édition spéciale, il faut retenir que le juge devra statuer le 30 mars 2023 avec ou sans la présence de Ousmane Sonko puisqu’il y a déjà 3 renvois, comme prévu par la loi.

Toutefois, des raisons d’un autre renvoi exceptionnel peuvent rester à l’appréciation discrétionnaire du juge.

Une audience spéciale signifie qu’on organise l’audience de manière particulière qui déroge de ce qui se fait habituellement.

Par exemple, on peut programmer le procès avec une seule affaire au rôle. Cela signifie que le jour du procès, il n’y aura que cette affaire. Cela peut être aussi un procès à huis clos à un certain moment selon la volonté du juge. On peut aussi parler d’audience en dehors  du tribunal, cas qui n’est pas envisageable ici.