GMT Pile à l'heure, Génération Média&Technologies,la ligne du Devoir.

« Une ligne éditoriale très soixante huitarde, une approche iconoclaste sur fond de culture humaniste ».

Panafricanisme : L’airain de Dodone

PANAFRICONS ET PANAFRICANERIE 

Du Panafricanisme originel au panafricanisme démagogique et mercantiliste

Le panafricanisme culturel qui avait un succès incontestable pouvait être considéré comme une idéologie unificatrice pour la libération des Noirs ; il ne doit pas expliquer une fixation sur la mélanine comme ligne de partage avec les autres peuples des néo-panafricanistes plus panafricons et panafricanerie. Kemi, Tatsinda et autres Nyamsi sont dépassés par la réalité multiraciale de la société universelle actuelle qui nous a fait basculer dans le postracialisme.

Depuis quelque temps a pignon sur médias une nouvelle race de panafricanistes vivant uniquement dans la galaxie Tim Berners-Lee .Elle est aussi bruyante que l’airain de Dodone, et sa tare atavique est que tous qui parlent en son nom vivent hors d’Afrique et se prennent pour les révolutionnaires africains des temps modernes. Pour montrer la déviation démagogique dans laquelle ils se vautrent, il fallait rappeler dans un survol diachronique la naissance et l’essence de la pensée panafricaniste.

De notre correspondant au Gabon

Tatsinda

Bertrand Tatsinda

Nyamsi

Kémi Séba

Depuis un moment pilule une nouvelle race impudente de panafricanistes dont le dénominateur commun est que tous vivent en France, ;  aucun d’entre eux n’est un leader politique à la tête d’un parti politique d’envergure même lilliputienne avec un programme de conquête du pouvoir d’un pays africain pour trouver un terrain d’application de l’idéal panafricain dont ils sont porteurs.

Nos panafricanistes des temps nouveaux, race étonnamment hautaine et bruyante, qui, contrairement à leurs devanciers, brillent par une sécheresse de production intellectuelle et éditoriale masquée par une virulence oratoire qui cache mal la pauvreté d’inspiration politique de leur discours. Qu’attendent Bertrand Tatsinda et Nyamsi hâbleurs et râleurs devant l’éternel pour aller débusquer Biya; un président quarantenaire à la tête du Cameroun qui manque de trouver des héritiers à Ruben Um Nyobé, Ernest Ouandié, Félix Moumié et Abel Eyinga ? Tous ou presque sont des « liveurs », souffrant d’une addiction réticulaire tant ils n’existent que par leur chaînes Youtube et le petit écran qui, au-delà de servir d’outil de vocifération et d’arnaque comme c’est la tendance, permet aussi d’engranger facilement des sous par les abonnés et les vues engrangés. Ces panafricanistes braillards dont la mythologie au sens barthien du terme ne renvoie à aucun haut fait d’écriture ou d’action politique, car chez cette nouvelle race de panafricanistes à la Banda kani, Kémi Séba, Nyamsi ou Kayz Fof, on confond dangereusement activité politique et activisme. Il faut reconnaître que même si ces deux substantifs dérivent de la même souche, ils ne renvoient nullement au même domaine de définition, par conséquent font distinguer deux types de personnalité sociale et politique, même si rien n’empêche l’osmose de ces deux activités chez une seule et même personne.

Dans cette coterie, il faut distinguer les illuminés comme Kémi Séba qui prend son activisme comme une mission presque messianique fondée sur une vision restauratrice d’une Afrique des « fiers guerriers et des savanes ancestrales », avec à la clé une fixation sur la mélanine comme ligne de partage avec les autres peuples . Kémi Séba et ses supporters d’Urgences panafricanistes son mouvement surfent sur le mythe d’une pensée noire qui ne peut être fondée sur un corps de doctrine à partir d‘essais, de discours politiques, de monographies ou simplement de récits narratifs. Nous nous demandons où va-t-on chercher cette hypothétique pensée noire. Peut-être dans les empires africains avant la pénétration coloniale, chez les esclavagistes qui ont kidnappé leurs frères noirs pour la captivité, chez les esclaves ou la diaspora noire. Envisager un panafricanisme sous l’angle racial est strictement utopique et anachronique dans une humanité postraciale où non seulement l’Afrique n’est pas habitée que par des Noirs, mais les trajectoires des Noirs sont différentes d’un Noir à l’autre de pays et de continents différents, mais de Noir à Noir dans un même pays. En somme une vision d’un panafricanisme essentialiste et producteur de mythes à la fois aliénants et anesthésiants.

Autrefois, le panafricanisme culturel qui avait un succès incontestable pouvait être considéré comme une idéologie unificatrice pour la libération des Noirs. Et cela pouvait s’expliquer en partie par le contexte de son éclosion avec les Afro-descendants américains privés de leurs droits civiques et les pays africains encore sous le joug de la colonisation. Ce panafricanisme militant a été préparé par la prise de conscience des premiers intellectuels noirs de la Negro Renaissance comme William B. Du Bois, activiste du droit des Noirs dont l’essai “Les Ames du peuple noir” publié en 1903 donna aux Noirs le slogan de ralliement « I’m black and I’m proud ».

Il faut ajouter que ces devanciers de la prise de conscience raciale des Noirs qui croyaient à une conscience collective des Noirs se sont retrouvés en 1910 dans le National Association of Advancement of Coloured people  (NAACP) ; Claude Mc Kay, Langston Hughes, Richard Wright et d’autres intellectuels noirs ont participé à ce premier éveil des consciences du monde noir. Dans la même période, Marcus Garvey le Jamaïcain créa en 1914 son mouvement Universal Negro Improvement Association  (UNIA ) et son journal “The Negro World” appelant les Noirs de la Diaspora à retourner en Afrique, avec son slogan “Zion train” ou “Back to Africa“, et un peu plus tard une génération de Noirs influents dont le romancier et essayiste James Baldwin et Malcolm X le black muslim influençeront fortement la lutte pour les droits civiques. C’est dans ce contexte historique qu’il faut comprendre W. Du Bois lorsqu’il parle de « double conscience » en ajoutant sous forme de thèse que « le problème du XXème siècle est celui de la ligne de couleur ». Cette assertion prémonitoire parce que proférée au début du siècle précédent s’est vérifiée à travers la condition existentielle noire, la ségrégation raciale aux USA, l’apartheid en Afrique du sud, le racisme et l’exploitation économique dans les pays noirs sous le joug colonial au sud du Sahara.

________________

Les chauderons resonnans de Dodone ont été très-fameux dans l’antiquité. Voici la description qu’on en trouve dans Etienne de Byzance : « Il y avoit à Dodone deux colonnes paralleles & proche l’une de l’autre. Sur l’une de ces colonnes étoit un vase de bronze de la grandeur ordinaire des chauderons de ce tems ; & sur l’autre colonne, une statue d’enfant. Cette statue tenoit un foüet d’airain mobile & à plusieurs cordes. Lorsqu’un certain vent venoit à souffler, il poussoit ce foüet contre le chauderon, qui resonnoit tant que le vent duroit ; & comme ce vent régnoit ordinairement à Dodone, le chauderon resonnoit presque toujours : c’est de-là qu’on fit le proverbe, airain de Dodone, qu’on appliquoit à quelqu’un qui parloit trop, ou à un bruit qui duroit trop long-tems ». — (« Chauderon », dans L’Encyclopédie, 1751)

________________

Il faut reconnaître que ce paramètre idéologique qui fédérait les Noirs au-delà de l’Amérique est présentement dépassé par la réalité multiraciale de la société universelle actuelle qui nous a fait basculer dans le postracialisme  qui, progressivement reléguera aux calendes grecques le problème noir. Dans ce contexte, un panafricanisme basé sur la géographie, une géopolitique factice ou la race apparaît comme anachronique n’est que pur divertissement. Un panafricanisme du XXIème doit être celui de la tolérance, de l’amour et de la sollicitude pour les peuples africains et de quelque couleur que soit leur pigmentation comme les Arabes, les Blancs et les Indiens, qui paradoxalement à travers quelques figures légendaires, ont participé aux batailles émancipatrices des peuples noirs.

L’African National Congress, ce que beaucoup ne savent pas, était un parti multiracial dans sa profession de foi et dans la réalité de la composition de ses militants qui n’étaient pas tous des Noirs, comme Ahmed Kathadra, ici avec Mandela, immigré sud-africain d’origine indienne emprisonné à Robben Island avec Mandela et Walter Sisulu, plus bas. Cette vision sera traduite par la Nation arc-en-ciel que Mandela a voulu construire avec les Sud-africains sans distinction Sisulude race et en y appelant les faucons noirs et les suprémacistes blancs dont certains n’avaient pas compris que le destin de l’Afrique du sud se jouera désormais dans la déracialisation. Et même la négritude senghorienne et césairienne qui, à la suite de la Renaissance de Harlem, a repris le combat politique et culturel avait pour aspiration ultime de théoriser un monde de la solidarité et de fraternité universelle : Senghor ne se suffisait pas d’appeler à la dialectique du Give and Take selon la belle formule du fonctionnaliste Malinowski, mais il rêvait d’une nation universelle comme il l’écrit avec une audacieuse licence poétique catapultant la règle grammaticale du nombre en élidant le S : « Je rêve de l’amuïssement du S à la finale des Nation ». Césaire, après avoir exposé sur la primauté raciale et culturelle des Noirs et dénoncé sans concession le caractère déshumanisant de la colonisation dans “Discours sur le colonialisme” en 1954 a appelé à la fraternité des races et des peuples, comme nous pouvons le lire dans le “Cahier d’un retour au pas natal” écrit pourtant longtemps avant Le Discours :  « Seigneur, préservez-moi de cet homme de haine pour qui je n’ai que haine ». Enfin, le XXIe siècle est pour nous tous un moment inespéré de devenir fanonien si nous ne l’avions pas été jusque-là , car Frantz Fanon qui écrit très tôt dans “Peau noire, masque blanc” : Bien que « le nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc » et qui  n’hésita pas, au plus fort du battement du pouls de la Négritude, de fustiger la crispation identitaire à connotation raciale dans laquelle a failli s’enfermer la Négritude à ses débuts.

Alioune SECK 

de Bargny