Sénégal : L’impasse
Sénégal
L’impasse
Le Sénégal se trouve depuis quelque temps dans une impasse politique qui pourrait réveiller de vieilles tendances suicidaires favorables au retour des fous de Dieu.
Par 83 voix contre et 80 pour, l’Assemblée nationale a rejeté ce lundi 02 septembre le projet de loi n°11/2024 visant à modifier la Constitution ; prosaïquement, le projet déposé par le président de la République sur le bureau de l’Assemblée visait à supprimer le Haut Conseil des Collectivités territoriales (Hcct) et le Conseil économique, social et environnemental (Cese). Le Parlement rejoint la commission des lois qui en avait fait autant l’avant-veille.
Ceci prolonge la période d’incertitude qui sévit au Sénégal depuis mars dernier.
La dissolution entrevue de l’Assemblée, légalement possible à compter du 12 septembre prochain, et un règne par ordonnances accentueront la sinistrose chez des populations déjà suicidaires et une dictature par des ukases présidentiels que n’apprécieront pas forcément les partenaires au développement. Ce qui accentuera la crise actuelle.
Moins que l’absence d’une majorité qui serait fatale, c’est le président de la République lui-même qui a installé l’impasse entre l’Exécutif et le Législatif : Bassirou Diomaye Faye a été incapable de décider le Premier ministre Ousmane Sonko à se présenter devant la représentation parlementaire pour la traditionnelle Déclaration de politique générale, tout comme il n’a pas su se rattraper auprès de députés qui ont cherché à lui plaire en modifiant un règlement intérieur contesté finalement modifié à leur propre initiative. Au demeurant, l‘immixtion dans le fonctionnement de l’Assemblée nationale sommée de se réunir à telle date semble ignorer la procédure en la matière : le fonctionnement de l’assemblée est du seul ressort de la conférence des présidents.
Aussi le projet de dissolution du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct) a-t-il logiquement été rejeté le 31 août dernier par la commission des lois et le 02 septembre par l’Assemblée nationale elle-même.
”Conformément à l’article 63 de la Constitution, le président de la République a pris un décret portant convocation de l’Assemblée nationale en session extraordinaire, le jeudi 29 août 2024, pour l’examen du projet de loi portant modification de la Constitution” .
L’application sans conviction de promesses de campagne vouées à l’échec faute de majorité est un pas de plus vers une impasse peut-être voulue ; en période d’incertitudes, c’est ajouter à la sinistrose et l’impression de sacrifices inutiles sur l’autel des promesses électorales fallacieuses.
L’échec de la transition entre le second mandat du président Macky Sall et l’espoir démesuré placé dans la présente administration qui s’installe explique le profond déchirement de la société sénégalaise. “Ces dernières années, les crises politiques se répètent et se ressemblent : une dizaine de morts en janvier-février 2012 après l’annonce de la candidature du président sortant Abdoulaye Wade à un troisième mandat ; 14 morts en mars 2021 suite à l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko ; 4 morts en juillet 2022 lors des manifestations contre l’invalidation des candidats des listes d’opposition aux législatives ; enfin, 23 morts début juin 2023 après la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko“-https://theconversation.com
Les alternances tant vantées semblent donc ajouter à une mauvaise transition entre un espoir déçu et une exagération d’attentes qui ne sauraient se réaliser en un mandat, a fortiori durant un délai de grâce trop réduit.
2019-2024 a été la pire crise socio-politique d’un pays partagé entre la pandémie de la Covid-19 et une affaire de mœurs devenue affaire d’État aux conséquences socio-politiques dramatiques. Les transitions politiques sont souvent le moment d’actes suprêmes de don de soi, surtout pour une population paupérisée par une trentaine d’années de diktats des institutions de Bretton Woods ; on l’a douloureusement vécu en 2011 avec les immolations et tentatives d’un Maodo Sall, d’un Oumar Bocoum, d’un Cheikh Tidiane Bâ, d’un Kéba Diop, d’un Saliou Guèye, d’une Penda Kébé. Par le feu purificateur des fous de Dieu ou destructeur ou par celui des armes, les morts de la période de 2021 à 2023 nous interpellent encore. L’absence de réponse satisfaisante fait craindre d’autres actes de désespoir.
Déjà, à l’époque des programmes d’ajustement structurel sous Abdou Diouf, le regretté docteur Albert Bachir préconisait de “seller son cheval à l’aube car l’espoir pourrit à trop attendre”.
Pathé MBODJE