Retour sur ces résistances à l’ajustement
Retour sur un article paru dans le journal le Soleil du
18 juin 1990 par Ibrahima Macodou Fall
Les résistances mentales facteurs de blocage d’une politique d’ajustement structurel
Le principe ou la loi de Le Chatelier
On nous a enseigné en chimie le principe ou la loi de Le Chatelier qui stipule : « Si on impose une modification à un système chimique en équilibre, le système évolue vers un nouvel état d’équilibre de manière à contrecarrer la modification introduite »
En d’autres termes : « Si on exerce une contrainte sur un équilibre chimique, il réagit toujours dans le sens contraire de la contrainte »
Cette loi semble s’appliquer sur tous les systèmes soumis au changement en considérant comme système un ensemble d’éléments qui interagissent entre eux selon des règles et des principes.
En référence à cette loi, le bouillonnement politique au Sénégal depuis l’alternance qui a porté le Pastef au pouvoir est tout à fait dans l’ordre « naturel » des choses. En effet, quand on veut opérer une transformation dans un système social, comme c’est le cas chez nous aujourd’hui, les résistances apparaissent naturellement dans le processus. Parmi celles-ci, les résistances mentales qu’on a souvent tendance à négliger sont les plus fortes et leur prise en charge est essentielle dans le processus de changement. En effet, le facteur humain apparaît comme l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre d’initiatives de transformation.
Dans cet article publié dans un contexte d’ajustement structurel, j’avais écrit : « … Agir sur ces résistances, c’est se donner une perception juste des institutions, de la démocratie, de la politique, de l’entreprise, de la valeur des hommes, de la vie sociale, du système religieux, de la justice…, mais aussi contre tout ce qui s’écarte de l’intérêt général ; c’est enfin avoir une attitude constructive face aux agressions multiples et diverses qui menacent l’économie nationale. Chacun, à quelque niveau de responsabilité qu’il se trouve, doit participer à cet important effort d’adaptation et d’évolution des mentalités nécessaires à créer les nouvelles conditions de croissance »
Les résistances mentales, facteurs de blocage d’une politique d’ajustement structurel
Le Sénégal, à l’instar de nombreux pays africains, s’est engagé depuis quelques années dans un vaste programme d’ajustement structurel. Les différentes politiques sectorielles mises en œuvre en conséquence agissent sur toutes les structures de l’économie nationale : structures institutionnelles, sociales, matérielles…
Les pouvoirs publics, dans ce contexte, ont amorcé une série de transformations des structures de développement marquées par les mutations profondes qui s’opèrent sur le plan international et les exigences d’un environnement social de moins en moins tolérant.
Par la politique qu’ils appliquent, ils cherchent à donner à l’économie une orientation conforme à l’intérêt national et qui s’inscrit dans le cadre d’une coopération multilatérale et d’une “logique” institutionnelle qui sous-tend l’intervention d’organisations internationales d’aide au développement. Les mesures récentes d‘assainissements des structures de l’administration, l’émergence de nouvelles structures de promotion de l’emploi telles que la Délégation à l’insertion, à la Réinsertion et à l’Emploi (DIRE), l’Agence d’exécution des Travaux d’intérêt public (AGETIP), le rôle prépondérant dévolu à l’initiative privée et aux organisations non gouvernementales, etc sont autant d’indicateurs qui démontrent que les pouvoirs public visent essentiellement à modifier la conjoncture en agissant sur les mécanismes du processus de développement économique.
Cependant, l’action sur ces mécanismes internes et, en conséquence, sur la structure, se heurte à des obstacles, à des résistances qui limitent sérieusement leur portée et réduisent leur efficacité.
Ces obstacles trouvent généralement leur origine dans la spécificité des structures et, si certaines d’entre elles, suffisamment flexibles, permettent d’espérer le succès des programmes et des mesures adoptées, d’autres en revanche, à l’instar des structures mentales, par leur rigidité, l’entravent. En effet, la politique d’ajustement structurel mise en œuvre par les pouvoirs publics se heurte incontestablement à des habitudes, à des comportements traditionnels qui procèdent d’une grande rigidité.
Cette forme de résistance des structures mentales qui anime les hommes et dont les manifestations sont d’ordre psychologique trouve son origine dans un système socio-culturel complexe. Elle s’affirme avec une sérieuse acuité dans tous les aspects de la politique économique.
Difficile à appréhender, elle relève de plusieurs facteurs et surtout d’un système de pouvoirs et de références qui déterminent les types de relations formelles ou informelles qui influencent le fonctionnement de nos organisations.
Elle s’exerce par ce qu’on appelle l’opinion publique très fortement exposée à la rumeur qui peut être plus ou moins favorable ou hostile aux mesures préconisées.
Les mesures incitatives à la production et à l’emploi, la promotion du consommer sénégalais, la priorité accordée à l’agriculture, l’allégement des structures de la fonction publique, les incitations à l’initiative privée, les mesures fiscales…. se heurtent incontestablement à ce phénomène :
- Pourquoi la tomate concentrée produite localement a rencontré de fortes résistances à ses débuts ?
- Pourquoi l’agent de l’Etat promu au départ volontaire ne trouverait-il pas sa place dans le secteur privé pour continuer à participer à l’œuvre de construction nationale ?Pourquoi les pouvoirs publics éprouvent-ils les plus grandes difficultés à recouvrer les impôts ? Et pourquoi le secteur informel se développe-t-il davantage ?Autant de questions dont les réponses illustrent parfaitement certaines résistances qui peuvent compromettre toute une politique conjoncturelle.
Dès lors, leur prise en compte dans un contexte d’ajustement structurel devient vital et il apparaît fondamental d’agir sur ces résistances comme il est nécessaire d’agir sur celles découlant des structures économiques, institutionnelles et sociales ; dirigeants d’entreprises, hauts fonctionnaires, cadres de l’administration et du privé sont tous concernés.
Ceux-là qui sont chargés de définir les grandes orientations stratégiques et de l’application des mesures adoptées ont un rôle essentiel à jouer dans la construction d’un nouveau système dont les fondements trouvent leur justification dans l’intérêt général et l’aide à la puissance publique.
Agir sur ces résistances, c’est se donner une perception juste des institutions de la démocratie, de la politique, de l’entreprise, de la valeur des hommes, de la vie sociale, du système religieux, de la justice…. mais c’est aussi lutter contre tout ce qui s’écarte de l’intérêt général, c’est enfin avoir une attitude constructive face aux agressions multiples et diverses qui menacent l’économie nationale. Chacun, à quelque niveau de responsabilité qu’il se trouve, doit participer à cet important effort d’adaptation et d’évolution des mentalités nécessaires à créer les nouvelles conditions de croissance.
Il ne s’agit pas d’accepter de manière systématique toute mesure ponctuelle, mais de s’inscrire positivement dans une nouvelle dynamique en centrant les positions sur des considérations objectives et réalistes, de se rassembler autour des idées et éviter les coalitions stériles qui éloignent des réalités et écartent de l’essentiel. Il s’agit de promouvoir une prise de conscience collective et une volonté politique pour la mobilisation des intelligences et des ressources autour de cet objectif essentiel d’améliorer la vie quotidienne des Sénégalais et de servir les intérêts de la nation. Il importe de s’apprécier dans la différence et de créer une nouvelle dynamique pour une impulsion de nouvelles références et valeurs qui transforment ces résistances mentales et augmentent les chances de succès du programme de redressement économique.
Il est plus que jamais nécessaire que s’installe une confrontation d’idées autour des grandes options stratégiques : les barrages, la Nouvelle politique agricole, la Nouvelle politique industrielle, la politique fiscale, la coopération sous-régionale... Et qu’il se crée un environnement favorable à l’émergence d’une élite nationale dont l’implication permettra de vaincre toutes formes de résistances négatives et de faire preuve d’une grande capacité d’adaptation et de discernement à la mesure des exigences d’une mutation sociale sans précédent. Tout cela relève du génie qui caractérise le peuple sénégalais qui a toujours su donner confiance et espoir au monde.
Continuer à mériter cette confiance, c’est la mobilisation pour s’adapter aux nouvelles exigences de l’environnement international en sauvegardant nos grandes valeurs de civilisation, c’est apprendre à vivre heureux dans la mobilité et le changement. La perestroika n’est-elle pas une preuve que les peuples évoluent et que les mentalités changent ?
Ibrahima Macodou FALL
Gamma International
in “Le Soleil” du lundi 18 juin 1990