Religion et politique : Ni injonction ni restriction
Education nationale et libre administration des communautés religieuses au Sénégal
Pas de société sans religion
Cependant, la politique s’engage sur un périlleux chemin d’extirpation de l’éducation religieuse de la libre administration des communautés religieuses
“Les institutions et les communautés religieuses sont dégagées de la tutelle de l’État” et ne reçoivent ni injonction ni restriction si ce ne sont celles en rapport avec l’honneur et l’ordre public telles que mentionnées à l’article 10 de la Constitution du Sénégal. Cependant, elles collaborent étroitement avec l’État.
Par Ousmane Diène FAYE
Juriste
Dans son cours de philosophie (La spécificité de la Réflexion philosophique) M. Alioune Gaye citait ainsi Henry Bergson : « On trouve dans le passé, on trouvera même aujourd’hui des sociétés qui n’ont ni science, ni art, ni philosophie. Mais il n’y a jamais eu de société sans religion ». Cette assertion renseigne à suffisance sur la prééminence de la religion sur presque tous les domaines de la vie sociale, la politique y compris.
La politique elle-même a été longtemps adossée à la religion avant de s’émanciper. En Occident par exemple, la morale chrétienne a façonné la construction de l’État qui a fini par se libérer. Dans cette partie du monde, l’extirpation du fait politique des entrailles de la religion et surtout de la morale suivrait l’évolution de l’esprit humain telle que théorisée par Auguste Comte dans sa loi des trois états. Toujours est-il que cette évolution confirme implicitement l’encastrement d’antan du politique dans le religieux. Ainsi, l’état théologique correspond au moment de la raison “enfante“, dans lequel la religion et le mythe dominaient les rapports sociaux. Ensuite l’état métaphysique par lequel la raison devient “adolescente” est celui de la réflexion philosophique. Et enfin, l’état positif marqué par la science désigne le moment où la raison est en plein essor (“raison adulte“).
Autrement dit, la politique, avant d’être autonome sous l’égide d’une perception réaliste chère au prince de Machiavel, a été encastrée dans la religion et le mythe d’abord, dans la philosophie ensuite. Le paradoxe est aujourd’hui que cette politique longtemps portée par la religion, qui s’est ensuite détachée d’elle, veut désormais la régir.
Si dans certains coins du monde, la politique a purement et simplement dompté la religion, en Afrique et au Sénégal, concrètement, elle se libère et prend son envol. Cependant, la politique s’engage sur un périlleux chemin d’extirpation de l’éducation religieuse de la libre administration des communautés religieuses. Dès lors, la laïcité connait des portées différentes. En Afrique, et au Sénégal en particulier, il y a eu, à la fois, le passage d’une multitude de puissances, avec leurs missionnaires porteurs de religions différentes, trouvant déjà une panoplie de religions locales si on s’en tient à la définition du Professeur Gaye de la religion selon laquelle elle est « un corps de doctrines qui s’articulent autour de l’existence d’un Être ou des Êtres qui seraient les maîtres incontournables de la nature ». Cette multitude de religions, dans un seul État, nécessite un encadrement et une intervention d’une autorité supérieure qui, dans une époque post-westphalienne, ne peut être que l’État, lui-même détenteur du monopole de la violence légitime. Aussi, faudrait-il savoir que cette intervention se fonde sur un principe de la liberté des communautés religieuses où l’éducation est désencastrée ; une œuvre complexe et délicate dont il est important de revenir sur les contours.
Au Sénégal, la religion est libre mais l’éducation religieuse en demeure moins : elle reste dans les entrailles de l’entreprise gouvernementale et échappe ainsi au contrôle exclusif des communautés religieuses.
I. La libre administration des affaires religieuses
Le peuple sénégalais, « considérant que la construction nationale repose sur la liberté individuelle et le respect de la personne humaine » (préambule de la Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001), a opté pour une République « laïque, démocratique et sociale qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion », une République qui « respecte toutes les croyances$» (article premier de la Constitution du Sénégal) et reconnaît aux citoyens leurs “libertés religieuses” (article 8 de la constitution).
En effet, de droit, les communautés religieuses s’administrent librement. Ainsi, la Constitution leur garantit « la liberté de conscience, les libertés et pratiques religieuses ou cultuelles, la profession d’éducateur religieux » (article 24). Par conséquent, elles « ont le droit de se développer sans entrave” et “elles administrent leurs affaires d’une manière autonome ». Cette libre administration des communautés religieuses s’exprime à travers deux données fondamentales, à savoir la liberté de conscience et la neutralité de l’État.
La liberté de conscience est une liberté fondamentale. Elle signifie que tout citoyen est libre d’avoir la religion qui lui convient et de l’exprimer sans gêne à travers des pratiques cultuelles. Ainsi, la Cour suprême affirmait dans son arrêt en référé du 05 mai 2020 « qu’en vertu de l’article 24 de la Constitution, la liberté de conscience qui inclut la liberté religieuse, les libertés et pratiques religieuses ou cultuelles sont garanties à tous ».
Cette jurisprudence vient justement s’inscrire dans la logique de l’arrêt Abbé Olivier du Conseil d’État français du 19 février 1909. En effet, avec cet arrêt, le juge français garantit aux citoyens la libre circulation sans qu’ils aient besoin de dissimuler leurs convictions religieuses même si cela prend la forme de processions religieuses.
La neutralité de l’État, quant à elle, désigne son abstention dans les affaires religieuses. De surcroît, elle exige de l’État lui-même l’exercice effectif, par les citoyens, des libertés religieuses et de culte. Cette double obligation résulte de la conception sénégalaise de la laïcité. En effet, “les institutions et les communautés religieuses sont dégagées de la tutelle de l’État” et ne reçoivent ni injonction ni restriction si ce ne sont celles en rapport avec l’honneur et l’ordre public telles que mentionnées à l’article 10 de la Constitution du Sénégal. Cependant, elles collaborent étroitement avec l’État.
Tout ordre social ayant une vocation de reproduction (voir Conatus de Spinoza), l’éducation devient dès lors un mécanisme non moins important. En matière religieuse, cette éducation n’est pas, comme les pratiques exclusivement religieuses, libre de tout exercice. Elle est encadrée au niveau national par la puissance publique qui, mieux, guette l’enseignement coranique jusqu’au fin fond des “daaras ” locaux (Voir le projet de loi sur les “daaras” qui n’est pas encore adoptée).
II. L’éducation religieuse, une exception à la libre administration des affaires religieuses
Bien que la profession d’éducateur religieux ait été garantie par la Constitution du Sénégal, l’éducation religieuse en demeure moins une liberté religieuse ; elle est placée sous la responsabilité de l’État qui a pour mission de créer les conditions préalables et d’assurer l’effectivité du droit à l’éducation au profit des citoyens. Ainsi, il a « le devoir et la charge de l’éducation et de la formation de la jeunesse» (article 22 de la Constitution).
La responsabilité de l’État face à l’éducation s’exprime doublement : il est le garant de l’éducation nationale et il revendique de plus en plus celle religieuse.
Dans sa mission de garant de l’éducation nationale, il a en charge l’ouverture et la gestion des écoles publiques dans le respect des compétences transférées aux collectivités territoriales (loi n°2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des Collectivités territoriales modifié). Il s’y ajoute l’intervention des établissements privés qui, sous le contrôle de l’État, participent à l’effort national d’éducation après qu’ils aient été autorisés.
Après avoir reconnu les institutions et les communautés religieuses ou non religieuses comme étant des moyens d’éducation qui concourent à l’effort national de construction sociale, l’État, dans sa revendication de l’enseignement religieuse, place l’éducation religieuse optionnelle dans les emprises de la loi d’orientation 91-22 du 16 février 1991 modifiée par la loi 2004-37 du 15 décembre 2004 et va aux trousses de l’enseignement coranique pour lequel la loi n’est pas encore adoptée.
En effet, la loi de 1991 pose les jalons d’une “éducation nationale, démocratique et populaire” qui « se traduit tout d’abord par l’option résolue en faveur d’une éducation généraliste » mais aussi par « l’émergence et la promotion d’établissements privés susceptibles de dispenser un enseignement religieux tel qu’il réponde à l’attente des parents et des élèves » (exposé des motifs).
Cette éducation nationale portée par une “école nouvelle” se veut “laïque” ; « elle respecte et garantit, à tous les niveaux, la liberté de conscience des citoyens » . (Article 4 de la loi 2004-37 du 15 décembre 2004). En outre, l’article susmentionné dispose : « Au sein des établissements publics et privés d’enseignement, dans le respect du principe de laïcité de l’État, une éducation religieuse optionnelle peut être proposée. Les parents choisissent librement d’inscrire ou non leurs enfants à cet enseignement ». À la lecture de cette disposition, il est clair que la religion peut être enseignée par les établissements en charge de l’éducation nationale. Mais elle est facultative, l’élève étant libre de ne pas assister aux cours en questions. C‘est d’ailleurs le sens du libre choix de la catéchèse ou de l’enseignement islamique (« Tawhid-Fiq-Tassawouf ») dans les établissements publics et privés.
Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, l’État rend obligatoire l’éducation des enfants de six (06) à seize (16) ans. Ce qui lui donne une emprise sur les enfants dont le choix des parents porterait sur l’enseignement coranique traditionnel exclusif.
Ousmane Diène FAYE
Juriste