Pétrole & Gaz : La mer des batailles
Sénégal-Gestion des revenus gaziers et pétroliers
S’organiser afin de contrôler
toutes les activités liées
à la commercialisation du gaz naturel liquéfié et du pétrole brut
Le démarrage effectif des productions prévu au premier semestre 2024 devrait laisser du temps au gouvernement du Sénégal pour s’organiser afin de contrôler toutes les activités liées à la commercialisation du gaz naturel liquéfié et du pétrole brut
Des gisements de pétrole et de gaz ont été découverts au Sénégal en 2014 (pétrole) et 2015 (gaz naturel) ; les réserves récupérables de pétrole sont de l’ordre de 630 millions de barils : il s’agit du champ de Sangomar (SNE). Du gaz associé et du gaz naturel ont également été découverts sur le champ de Sangomar. Les réserves de gaz sont estimées à 2.4 TCF (113 milliards Nm3)
Des réserves de gaz naturel ont été découvertes sur le site de Greater Tortue Ahmeyim (GTA) ; ce dernier gisement de gaz naturel est situé à cheval sur la frontière sénégalo-mauritanienne ; les réserves sont estimées à 20 TCF. Elles sont importantes.
Le projet de GTA comprend une unité flottante de production de gaz naturel liquéfié (FLNG).
Les coûts d’investissement des deux projets sont relativement élevés :
– 3,6 milliards USD pour le projet GTA
– 5,2 milliards USD pour le projet Sangomar (coût initial : 4, 6 milliards USD).
Les marchés liés à ces investissements importants ont été tous attribués à des sociétés étrangères à la suite d’ appels d’offres internationaux.
Les « décisions finales d’investissement » liées aux deux projets sont intervenues respectivement le 1er décembre 2018 pour la phase 1 du projet GTA (gaz naturel/LNG) et janvier 2020 pour la phase 1 du projet Sangomar (pétrole brut et gaz associé).
La société BP Gas Marketing s’est vu attribuer, au terme d’un appel d’offres international, le marché de la commercialisation du LNG (gaz naturel liquéfié) ; au cours de la phase 1, la production de LNG sera de 2.4 millions de tonne par an.
Il faut préciser que les réserves de gaz naturel du champ de GTA ont été réparties entre le Sénégal et la Mauritanie sur une base 50/50.
L’entrée en production des deux sites (GTA et Sangomar) prévue initialement au cours du quatrième trimestre 2023, a été reportée respectivement au premier trimestre 2024 (GTA) et juin 2024 (Sangomar)
Des Joint Ventures (Jv) ont été créées aussi bien pour le projet GTA que celui de Sangomar.
BP est l’opérateur de la JV du site de Sangomar.
Woodside est l’opérateur du site de Sangomar (82% des parts de la JV).
Les opérateurs (BP et Woodside) avaient annoncé, au départ, que les impacts de la crise sanitaire (COVID-19) sur les deux projets avaient été relativement maîtrisés mais force est de constater que les deux projets connaissent aujourd’hui des retards de plusieurs mois.
La question du lancement simultané des deux projets (GTA et Sangomar) reste posée même si les coûts d’investissement du projet de GTA seront répartis de manière équitable entre la Mauritanie et le Sénégal.
Le volume global (GTA+Sangomar) des investissements atteint près de 9 milliards USD (8,8).
Le contexte général étant rappelé, quelques questions peuvent être abordées.
Il faut rappeler que l’article 25-1 de la Constitution du Sénégal amendée, par voie référendaire le 20 mars 2016, dispose, entre autres, que les « ressources naturelles appartiennent au peuple ».
Le secteur « Oil & gas » est un secteur qui met en œuvre des technologies complexes et qui nécessitent une expertise avérée.
Le financement des investissements liés aux deux projets (GTA et Sangomar) n’a pas fait l’objet de communication particulière ; quelles sont les banques internationales qui ont été choisies ?
Peu d’informations circulent à ce sujet alors qu’il est important de connaître, à tout le moins, la structure des financements de ces deux projets.
Il faut regretter que des banques comme la Banque africaine de Développement (Bad) ou la Banque ouest-africaine de Développement (Boad) ne soient pas présentes (point à confirmer) dans le financement des deux projets pétrolier et gazier du Sénégal.
L’intégralité des contrats de partage de production signés et qui couvrent les deux projets n’a pas été publié.
Des extraits existent sur les sites de l’ITIE ou du ministère du Pétrole et des Énergies (les informations sur ces deux sites devraient pouvoir être actualisées).
Il faut savoir, et ce point revêt une importance particulière, que les deux opérateurs actuels des projets de GTA et Sangomar, en l’occurrence BP et Woodside, n’étaient pas « participants » aux JV créées à l’origine.
Plusieurs avenants aux contrats de partage de production (CPP) ont été signés car ces contrats ont évolué entre les dates de découvertes des gisements (2014 et 2015) et les décisions finales d’investissement (FID/Final Decision Investment).
Une lecture et une analyse rigoureuse du contenu de ces avenants a certainement été faite mais peu d’informations ont circulé à ce sujet.
Un point mérite d’être signalé : dans les JV qui sont créées pour exploiter une affaire commerciale ou industrielle, il est en général prévu que le « mandat d’opérateur » soit un mandat « tournant », ce qui permet à chaque participant de la JV d’exercer un mandat.
Les textes de l’OHADA devraient être consultés à ce sujet afin de s’assurer que cette question, en particulier, et qui touche le fonctionnement des JV, a été prise en compte et traitée juridiquement.
Le problème du « mandat d’opérateur » peut paraître simple à première vue mais il devient complexe lorsque les participants n’ont pas l’expérience requise, d’où la question du transfert, à terme, du « know how » et de la confiance des assureurs qui couvrent les risques liés à l’activité.
Les opérateurs BP et Woodside ont une expérience internationale qui rassure les partenaires (banques et assurances) ; il serait intéressant de connaître quelques expériences dans cette gestion des JV auprès de certains pays (Qatar, Norvège, Venezuela, Algérie, etc…)
La rentabilité des projets de GTA et de Sangomar n’a pas fait l’objet de communication particulière. Les hypothèses retenues dans le cadre du calcul de rentabilité n’ont pas été diffusées.
Prix et qualités des pétroles brut ?
Idem pour le LNG ?
Taux d’actualisation ?
Période d’actualisation ?
Rentabilité à monnaie courante?
Rentabilité à monnaie constante ?
Taux de change dollar/Fcfa retenu ?
Taux d’imposition (fiscalité appliquée) ?
Taux d’amortissement des équipements en fonction de leur nature ?
Les taux d’amortissement sont fixés par les textes ; or le Sénégal n’est pas encore un pays producteur de gaz ou de pétrole.
À l’époque (1963/1964), lorsque la Société africaine de Raffinage (Sar) a démarré ses activités de raffinage sur le site de Mbao, les taux d’amortissement avaient été fixés en fonction de leur nature (sea-line, pipe-line, installations de traitement, bacs de stockage, pompes et compresseurs, fours et échangeurs, etc…). Des textes ont-ils été déjà élaborés et des taux fixés qui permettent de calculer la rentabilité des projets (détermination des valeurs résiduelles à la fin de la période d’actualisation) ? Analyse de sensibilité (prix du pétrole brut, prix du gaz naturel liquéfié, taux de change).
Il est pour le moins curieux de constater (voir site de l’ITIE) que plusieurs postes d’investissement des projets ont été fixés en comparaison à d’autres sites situés à l’étranger, ce qui, bien sûr, constitue une méthode de détermination des investissements (effet de la localisation).
La loi n° 2022-09 du 19 avril 2022 relative à la répartition et à l’encadrement de la gestion des recettes issues de l’exploitation des hydrocarbures a été votée à l’Assemblée nationale ; elle est en phase avec l’article 25-1 de la Constitution qui fait du peuple l’unique propriétaire des ressources naturelles.
Le ministère du Pétrole et des Énergies s’est donné les moyens de contrôler l’activité future des exploitations gazière et pétrolière mais des retards ont été accusés dans la formation des hommes et des femmes notamment pour le « contrôle des coûts » gazier et pétrolier.
En effet, ce point est important, car les contrats de partage de production prévoient dans la gestion du « profit oil », un « recouvrement des coûts » qui représenterait au départ de l’exploitation des champs de gaz et de pétrole, 75% du « profit oil ».
Les recettes évoquées dans la loi sont liées au « profit oil » et on comprend alors toute l’importance du « contrôle des coûts ».
Quelle structure réalisera le « contrôle des coûts » ?
Quelle sera l’expérience de cette structure dans l’analyse des coûts qui seront présentés par l’opérateur ?
En principe, la société nationale Petrosen est un participant à la JV et il existe toujours un « comité d’opérations » qui valide les investissements, examine les coûts.
La représentation parlementaire actuelle ou future, à l’exception de quelques députés, ne dispose pas de toutes les compétences pour analyser et décider dans ce domaine très technique.
Il manque, selon nous, dans la chaîne de contrôle, un maillon qui pourrait jouer un rôle important : un « comité d’experts » qui serait placé sous l’autorité du parlement.
Un laboratoire national d’inspection qualitative dans le secteur des hydrocarbures sera créé prochainement et le ministère du Pétrole et des Énergies a pris des initiatives dans ce domaine (appel d’offres) ; ces initiatives méritent d’être saluées, même si cette recommandation avait été faite lors de l’adoption de la loi 98-31 du 14 avril 1998 (libéralisation du sous-secteur hydrocarbures).
De même, des structures vont être créées qui pourront assister le gouvernement (ministère du Pétrole et des Énergies, ministère des Finances et du Budget, ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération, etc…) dans le comptage des productions d’hydrocarbures (pétrole, gaz naturel, gaz naturel liquéfié).
Le « comité experts » pourra exploiter toutes les informations qui seront collectées dans le cadre du système d’informations qui sera créé.
La direction générale des Douanes mettra en place des procédures de déclaration qui couvriront aussi bien la production du pétrole, du gaz associé, du gaz naturel et du gaz naturel liquéfié.
L’accord de coopération inter-États (Sénégal/Mauritanie) signé au mois de février 2018 permettra aussi bien aux douanes mauritaniennes que sénégalaises d’exercer des contrôles sur les activités de production (GTA).
Le démarrage effectif des productions prévu au cours du premier trimestre 2024 (site de GTA) et juin 2024 (site de Sangomar), devrait laisser du temps au gouvernement du Sénégal pour s’organiser afin de contrôler toutes les activités liées à la commercialisation du gaz naturel liquéfié (BP Gas Marketing) et du pétrole brut (Woodside et Petrosen)
« Gouverner c’est prévoir »…
Vovo Bombyx
12/9/2023