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Paysage politique: La faillite des partis

Minés par des crises internes, disqualifiés par les populations, freinés dans leur ambition par la mort des idéologies, les partis politiques sénégalais sont en perte de vitesse et peinent aujourd’hui à mobiliser. L’impasse dans laquelle ils se trouvent est tellement profonde qu’ils sont obligés de payer pour mobiliser dans leurs différentes manifestations.

Les leaders sont tellement lynchés qu’il y en a qui hésitent à prendre la parole et à s’exprimer sur les sujets d’actualité. Si partout dans le monde les États font face à une sorte de rejet citoyen, c’est parce qu’ordinairement les partis politiques et les syndicats qui servaient de réceptacles aux mouvements d’humeur et aux revendications populaires n’ont plus la légitimité qu’ils avaient auparavant. Il y a un désenchantement universel qui rend de plus en plus aléatoire la foi en l’homme politique. Si les grandes luttes politiques pour l’émancipation et le bien être des peuples peuvent s’opérer en dehors des partis et sans leader politique, pourquoi continuer à militer dans un parti ? Si le citoyen se forme politiquement davantage sur les réseaux sociaux que dans les instances trop bureaucratiques d’un parti politique, pourquoi devrait-il encore suivre un homme politique ?

Les partis sont de plus en plus perçus comme des bureaucraties politiques davantage tournées vers la satisfaction des intérêts de quelques groupuscules vers la prise en charge réelle de la demande sociale. Peu importe que cela soit vrai ou faux, la perception déborde les catégories logiques du vrai et du faux : elle enveloppe son objet et lui donne un sens totalement arbitraire, mais très souvent fonctionnel. Note façon de percevoir la réalité détermine les choix que nous faisons dans la vie : voilà pourquoi la meilleure façon d’être maître des hommes, c’est d’être maître de leurs perceptions. Or la façon dont la politique est perçue dans notre pays est tout sauf noble : le désenchantement est tel que la seule alternative était de se tourner vers d’autres idoles. La démocratie sénégalaise est- elle en train de vivre une mutation dans laquelle une nouvelle façon de faire la politique éclipse les partis politiques traditionnels ?

Mais la plus grande menace qui pèse sur la survie des partis politiques et à chercher dans leur genèse même. Le PS, le PDS, la LD, AJ/PADS, le PIT, l’AFP, etc. sont nés soit sur la base de fusion soit sur la base de scission. Dans les deux cas, ces partis ont été créés non autour d’idéologies et de visions distinctes, mais autour des frustrations ou des ambitions des personnes qui les ont créés. Or un parti fondé par une personne dans l’unique but d’accéder au pouvoir perd une partie de sa vitalité lorsqu’il accède à ce pouvoir. Ces partis cités sont, de façon ombilicale, liés aux personnages historiques qui en ont été les géniteurs. Le pouvoir est un enjeu politique, mais quand il n’est pas soutenu par une forte idéologie, sa perte entraine la perte ou la dislocation de l’instrument politique qui a servi à sa conquête. Inversement, quand l’enjeu du pouvoir est trop grand, le parti se fissure pour des raisons liées généralement au partage de ce pouvoir.

La dislocation qui rythme la vie des partis politiques s’inscrit donc dans l’ordre de la fatalité. Ce qui est intriguant, c’est que l’alternance à la tête du pari a très souvent été fatale à son rayonnement : c’est la piste prometteuse de réflexion pour la science politique dans notre pays. Il y a d’ailleurs des partis qui sont agonisants voire littéralement morts avec la disparition de leur leader. Que sont devenus le RND du professeur Cheikh Anta Diop, le PAI de docteur Majmoud Diop, le PLP de Me Mbaye Niang etc. ?

Dans le langage populaire on a instillé des termes très négatifs pour désigner la façon dont la politique est faite : la distinction entre homme politique et politicien ne repose sur aucune rigueur scientifique, mais elle est fonctionnelle surtout sur le plan émotionnel. Comme dit Platon, « l’un des préjudices d’avoir refusé de prendre part à la vie politique est que vous finissez par être gouverné par vos subordonnés. ».

C’est sans doute ce que les intellectuels, les lanceurs d’alerte, brefs les nouvelles voix de l’espace politique sénégalais ont compris que les partis politiques et les syndicats, même dans les cas où ils ne participent pas à l’exercice du pouvoir, apparaissent aux yeux du peuple comme largement comptables de la situation du pays. Et comme la seule source de légitimité reste le peuple, ils ont entrepris la déconstruction méthodique des idoles politiques et de leurs structures. Cette déconstruction dut d’abord sémantique : il s’est agi de travailler un vocabulaire péjoratif pour penser et qualifier la politique. Il est en de même pour le concept de « doorkat » en wolof : dès qu’un homme politique parle, on lui renvoie l’image d’un entrepreneur qui chercher à se faire connaître pour marchander des strapontins. Ensuite la tâche des nouvelles figures de la politique au Sénégal a été la supplantation de l’opposition interne par l’opposition entre pays du sud trompés et exploités par les pays du nord. Les citoyens sont mobilisés donc autour d’enjeux à la fois nationaux et internationaux.

La nature ayant horreur du vide, la faillite des partis politiques a consacré la naissance d’une pluralité de voix traçant chacune sa propre voie en dehors ses sentiers sinueux et souvent sans issue de la politique. Société civile, lanceurs d’alerte, activistes, journalistes d’investigations, etc. fourmillent de partout pour occuper le champ politique avec un discours nouveau. Affranchis de cette corvée millénaire qui pèse sur l’homme politique de devoir toujours proposer des politiques alternatives à celles qu’on critique, les nouvelles voix de la politique investissent abondamment dans le rôle de contre-pouvoir. On ne promet rien au peuple, on cherche plutôt à l’éveiller et à lui désigner l’origine et la cause de ses malheurs. Cette posture est d’autant plus crédible qu’elle n’exclut pas de dire au peuple sa part de responsabilité dans la situation du pays. Alors que l’homme politique juge et prend position généralement par démagogie, les nouveaux acteurs politique prétendent parler au nom de la vérité et des intérêts du peuple. Si le premier levier d’un parti politique c’est l’intérêt à gouverner, celui des nouvelles voix est par contre le désintérêt apparent par rapport au pouvoir politique. La perte du pouvoir pour le PS et le PDS a été comme une sorte de descente aux enfers qui a commencé cependant dans la gestion même de ce pouvoir. Il en est de même pour les autres partis, notamment ceux qui se réclament de gauche : dès qu’ils ont goûté au fruit interdit qu’est le pouvoir, ils ont entamé leur chute et leur cassure. On dirait que le pouvoir politique est maudit. La LD a connu sa première scission du temps de l’exercice du pouvoir avec Wade et sa deuxième (plus grave d’ailleurs) avec l’avènement de Macky Sall au pouvoir. Pour AJ la crise a été plus grave car ce parti a été purement et simplement pulvérisé en de nombreux petits morceaux difficiles à recoller. Le PIT est quant à lui dans une situation similaire à celle de l’orphelin incapable de prendre en charge son destin après la disparition des parents. Le retrait de Dansokho à la tête de ce parti a fortement impacté sur sa visibilité ou sa prestance sur la scène politique. Les grands débatteurs comme Sémou Pathé Gueye, Maguette Thiam, etc. manquent cruellement à ce parti qui continue encore à s’enfoncer dans l’abîme politique d’un parti d’intellectuels. Quant à l’AFP sa seule raison d’être étant la frustration de son leader suite à la dévolution de la direction du PS à un de ses rivaux, le parti n’a jamais réussi à dépasser le score de sa première participation à une élection présidentielle. Pour la multitude de petits partis qui existent, leur insignifiance électorale est la cause principale de leur disparition programmée : un parti qui ne croît pas électoralement est appelé à disparaître. Cette disparition peut prendre la forme d’un entrisme (fusion avec d’autres partis ou création de plateformes ou coalitions durables) ou simplement une léthargie qui la fait oublier.

Nous sommes donc dans une phase doublement transitoire pour les partis politiques. D’abord la disparition naturelle ou symbolique des figures historiques qui les ont créés et qui ont en même temps façonné la démocratie conformément à la vision qu’ils avaient de la politique. Ensuite la métamorphose du discours et de l’offre politique qu’exigent les citoyens de la société de communication dans laquelle nous vivons.

Baye Saliou THIAM