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Moi, émigré

Emigration irrégulière : L’Afrique pressurée

La vie d’un émigré

La chronique de notre correspondant en France

Je fus jadis ce fougueux qui a voulu coûte que coûte aller à l’aventure pour changer ma condition de vie. Et pour ce faire, je ne pensais point dans ma vie ne vivre que pour enrichir un autre pays que le mien aussi difficilement. Mon envie insatiable de vouloir partir vers un eldorado fictif et inaccessible était provoquée par plusieurs facteurs. Indirectement, ma famille qui applaudissait à deux mains n’a jamais cessé de me couvrir d’éloges, durant mes premiers envois pécuniaires, en m’encourageant et en priant pour moi.
Relativement jeune, j’eus par chance le privilège d’obtenir un visa pour la France.
La curiosité doublée de l’envie de trouver un ailleurs plus florissant devenait une force qui me galvanisait, me taraudait l’esprit et me remplissait de joie, au point que j’étais aux anges.
Arrivé en Europe pour la première fois, ma préoccupation première a été de téléphoner pour faire paraître ma nouvelle ascension sociale d’émigré. Car, le simple fait d’abandonner mon « Yallus » natal, baobab fétiche de mon quartier de Ngouye-daga, où les langues se déliaient à propos de mon départ au « Kaw », en France, était déjà synonyme de réussite. Certains qui n’ont pu me rejoindre par avion ou par pirogue m’enviaient déjà pour l’opportunité que j’eue d’aller en voyage à l’étranger, alors qu’ils croupissaient toujours dans la misère et dans l’informel.
D’abord, le délice de monter à bord d’un avion et le tout agrémenté à l’intérieur par des cafés onctueux, des sourires émanant d’hôtesses et aussi des turbulences occasionnées par des trous d’air, étaient un mélange de rêves, d’espoir et quelques fois de peur bleue.
Mais, je tenais bon !
La découverte de la Métropole, de ses va-et-vient incessants, de ses grandes avenues bordées de grands arbres, des lampadaires et des enseignes rouges de carotte tabac comme symbole des buralistes ouverts tout le temps, réduisirent considérablement ma bourse.
Mes premiers voyages dans le métro et en train pour rechercher et retrouver des amis et parents disparus furent une corvée ineffable. L’ambiance des premiers contacts se heurta au dépit des autres qui, manifestement, auraient souhaité que nous restâmes éternellement, par jalousie, sous l’arbre à palabre.
L’envie d’un autre ailleurs plus « vivable » était plus forte que la lassitude de rester et vivre de thé jour et nuit, mais aussi d’être l’éternel misérable dans cette Afrique, où règne la politique de la main tendue.
Le prétexte pour ceux qui sont déjà installés en Europe fut le manque de temps pour des salamalecs et bavardages insipides devenus impossibles par rapport à leurs calendriers déjà trop chargés. Leur hardiesse ne laissait place à aucun hébergement aux autres visiteurs. Que d’émigrés renvoyés dans la rue par leurs propres parents ! Le prétexte était lié à l’étroitesse des appartements et au manque criard de moyens.

L’autre difficulté consistait à chercher des papiers pour parfaire ses rendez-vous au niveau de l’administration.
Quitter son lieu d’hébergement tôt le matin devenait une corvée quotidienne, puisque tout le monde était assujetti à une telle tâche. Les rues grouillaient de monde et le triptyque évoqué était : « dodo, boulot et métro » !
Rentrer le soir emmitouflé de vestes ou de paletots comme tous les milliers de Français durant les périodes d’hiver était ce qu’il y avait à faire pour véritablement se sentir vrai « parigo ».
A défaut d’obtenir le « papier légal », on cherchait des connaissances afin d’emprunter des papiers pour pouvoir travailler. Corvée quasiment inatteignable, durant des mois ou des années.
Certaines espèces de boulots précaires consistaient à s’engouffrer dans les stands de compatriotes bienveillants comme vigiles ou comme vendeurs fortuits de différents objets. La seule alternative permettant de se transformer en marchant ambulant ou en vendeur de calebasses, de « Jimbé », de tam-tams, de statuettes, de shorts, de colliers et autres vêtements africains, seule alternative qui s’offrait à nos yeux. Aussi ce gros risque ne nous permettait pas d’échapper aux contrôles de police.
En hiver, le givre et le gel n’épargnaient à personne la rigueur du mauvais temps. Des apprentis maçons de circonstance et ouvriers bons à tout faire trouvaient des besognes précaires dans des chantiers clandestins. Malheureusement, ce genre de travail occasionnait des blessures ineffaçables au niveau des émigrés.
Il y avait des émigrés qui vivotaient avec de maigres pécules mensuels tandis que d’autres s’étaient frayés opportunément une liaison avec quelqu’un ou quelqu’une qui avait la nationalité du pays d’accueil.
Au Sénégal, ceux qui ne comprenaient pas exactement l’enfer dans lequel faisaient face la plupart des émigrés habillés comme des vedettes s’impatientaient sur le retard des envois. Les émigrés, eux, se contentaient très souvent d’envoyer d’étonnantes photos prises devant des palaces ou à côté de somptueuses voitures Rolls-Royce, pour frimer.
Aujourd’hui, pour cette corvée intenable en dehors du pays natal, certains audacieux opulents miroitent leurs richesses hasardeuses. C’est pourquoi beaucoup d’Africains tentent l’inimaginable en empruntant furtivement le chemin périlleux des océans.
La plupart des fonceurs périssent sans embrasser leurs rêves fantasmagoriques, laissant derrière eux des parents dans le dénuement et le deuil.

Tidiane SÈNE,
Toulouse