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Les bonnes feuilles d’été – Livre-Abdourahmane Seck Homère, Le Passé Décomposé: Mémoire & Souvenirs

Abdourahmane Seck Homère a procédé 13 mai 2020 à la passation de services avec son successeur à la présidence du Conseil d’Administration de Pétrosen, le second de sa vie. Une première fois, il avait en effet démissionné de son poste à la Saed, à la suite des difficultés de cohabitation entre Macky Sall et le président Abdoulaye Wade, en 2008.

Libre désormais de tout engagement administratif, il va vivre le repos du guerrier, en gardant quand même sa base politique de Rufisque.

Pathé Mbodje a consacré un ouvrage à l’homme et en propose ci-dessous quelques extraits…Après le premier envoi du 13 mai 2020.

CHAPITRE PREMIER

Saint-Louis, Le Dépit…Amoureux

C’est de dépit que Abdourahmane Seck Homère a demandé son affectation à Saint-Louis : l’adjoint au chef du service des contrôles de la division de l’Urbanisme et de l’Habitat du ministère du tout-puissant Mady Cissokho est resté à son premier poste d’affectation, à Dakar, jusqu’à sa mutation à Diourbel, après un bref stage au Sine-Saloum. En mission avec un technicien canadien du nom de Duquette, le séjour d’une semaine dans la capitale du Baol le séduit tant qu’il porte son choix sur Diourbel pour son premier lieu d’affectation. Cette année fut exceptionnelle puisqu’elle déterminera par les dix-huit autres de vie professionnelle dans la région, surtout auprès des khalifes généraux du Mouridisme, du vénérable Serigne Abdoul Lahatt à l’Immortel Serigne Saliou.

En bon lébou génie des eaux, il est fasciné par la résidence de service du régional auquel il espère succéder sous peu. L’homme était en effet à deux ans de la retraite, 58 ans, et, à la veille, voici que le khalif général Abdoul Ahad Mbacké demande la prolongation en sa faveur. Abdourahmane Seck Homère demande son affectation à Saint-Louis où il devient le régional de l’Urbanisme et de l’Habitat.

Seck Abdourahmane Homère est diplômé de l’École des Travaux publics versée au Sénégal deux ans après l’éclatement de la Fédération du Mali, cette matrice fédérale qui a formé les premiers cadres des Travaux publics et en Génie civil africains, du Congo à la Haute-Volta en passant par le Dahomey, le Niger et la Mauritanie.

Abdourahmane Seck Homère se perd en témoignages émouvants envers un vieux Saint-Louisien qui l’a littéralement formé, Abou Kader Diallo, qui, avec MakhaSarr de Dagana, Boubou Sall de Podor, constitue la fierté et la caution morale, en dehors de ses instituteurs de la coloniale, à Rufisque.

Renforcé par les éléments versés à son service avec la fermeture de la Mission agricole du Sénégal d’un certain Jacques Diouf, le régional revisite la curatelle et le code civil napoléonien, recense toutes les vieilles bâtisses de l’ancienne capitale du Sénégal. La visite d’un architecte belge du nom de Grégoire coïncide avec celle d’un certain Amadou Moctar Mbow, adjoint de René Maheu, directeur de l’Unesco ; Saint-Louis venait d’être retenue comme patrimoine mondial de l’Humanité et l’heure de la Rénovation avait sonné. Ironie de l’histoire : l’étude qu’il présente lui reviendra beaucoup plus tard, quand son ministre la lui présentera sous forme de thèse étrangère qui en revendique la paternité.

Le responsable régional s’appuie sur le schéma du Bureau central de l’équipement d’Outre-mer pour établir le plan directeur de Saint-Louis. C’est le déguerpissement vers Ngallèle, la clé de la rénovation de Saint-Louis avec Guet Ndar et l’embryon de l’Université Gaston Berger. Abdourahmane Seck Homère pense d’abord sécurité avec le projet de camp du Groupement mobile d’intervention prévu à l’entrée Nord de Saint-Louis, à Khor, exactement, l’aménagement de l’île de Diouck où serait construite l’université de Sanar.

Dans son projet d’extension de Saint-Louis, Petit Seck vise la justice sociale avec la reconstruction de l’unité familiale. Au groupe ad-hoc mis sur pied en la circonstance, dans un souci de pluridisciplinarité, on enjoint le premier remblai hydraulique du Sénégal qui permettait d’un même coup de draguer le fleuve et de créer le remblai. Avec le déplacement de populations de Guet Ndar et de Ndar Tout, le pari sur le futur vise l’octroi de parcelles à tous les membres d’une même famille, jusqu’aux…bébés, pour éviter la désappropriation des uns favorisée par le droit d’aînesse. Le seul bémol est que Ngallèle sera un point important de recensement et de réinstallation de Sénégalais d’origine maure, avec la délimitation de la frontière en 1971. Là aussi, le régional fait preuve d’une ingéniosité originale pour contourner les diverses homonymies qui pourraient fausser la justice dans le recensement et la réinstallation des populations : aux Ahmed, Ahmadou, Mouhamed, Abdallah, Ould, prénoms communs à tous, il préférera « le mari de… », sachant que nos compatriotes-là mourraient monogames !

Homère manifeste ainsi l’esprit pan-africaniste et la politique de bon voisinage du Sénégal qui reconnaît la libre circulation et le droit d’établissement. Cette ouverture et cet enracinement seront également un trait de caractère de l’homme ; est-ce à dire que la synergie culturelle est aussi un facteur de progrès en ces années ? En tout cas, à voir les différents attelages où chacun tire à hue et à dia, on comprend les dysfonctionnements administratifs actuels.

Par ailleurs, Ngallèle ne sera jamais occupé dans cette période et il a fallu déterrer les bornes et les réinstaller à GokhouMbathie. Parallèlement et en collaboration avec Ibrahima Mbengue, le dernier administrateur du Bas-Sénégal, Pikine voit le jour. Enfin, devant les risques d’aliénation du patrimoine de l’État par une minorité, le régional de l’Urbanisme et de l’habitat s’occupe du dossier des maisons sous curatelle.

« La curatelle, du latin curator (curare : « soigner ») et du haut français curatela, est une mesure établie par la justice à destination d’une personne dans le but de l’aider dans la gestion de ses affaires personnelles, voire de la représenter » (Wikipédia). Parce que « les règles du Code civil sur l’état des personnes s’appliquent aux Français, qu’ils résident en France ou à l’étranger », renseignent les Encyclopédies. La justice sociale recherchée par le régional de l’Urbanisme et de l’Habitat devait donc revenir sur cette conception étriquée et unilatérale de la propriété.

Le transfert des populations du littoral fluvial à Gokhou Mbathie ne s’est pas fait sans difficulté ; pendant 40 ans, toutes les tentatives antérieures avaient échoué, plus par superstition que par non-faisabilité. Seule la capacité de persuasion de Petit Seck a permis de venir à bout des difficultés, parfois même malgré l’opposition du gouverneur d’alors, Thierno Birahim Ndao. La méthode participative y a beaucoup contribué, le respect dû aux populations concernées et…les longues litanies de Diouma Bâ, marabout peul rencontré par hasard sur le chemin entre Louga et Saint-Louis et qui s’est engagé auprès du régional.

De retour de Louga où il passait ses fins de semaine auprès de son épouse Soda Gaye, Abdourahmane Seck Homère remarque un vieux faisant du stop ; il s’arrête, s’enquiert de la destination de l’auto-stoppeur qui lui affirme vouloir se rendre à Saint-Louis pour soins. En bon samaritain, Homère accompagne son ami du moment, veille au grain et achète les médicaments ordonnés. Habitué hebdomadaire du trajet, le régional est prié de passer une prochaine fois, à l’aller ou au retour. Ainsi naquit l’amitié entre les deux hommes. Mis au courant du projet de recasement des populations de Guet Ndar et Ndar Tout vers Gokhou Mbathie, Diouma Bâ passera une semaine à Saint-Louis à faire le tour de Guet Ndar et de Ndar Tout à prier pour son Abdourahmane.

Parallèlement, Homère continue son travail de sensibilisation, d’information et de sensibilisation auprès des jeunes, des notables et des religieux ; ses exposés emportent l’adhésion des populations qui acceptent le projet de transplantation. Sauf que, à deux jours de la date retenue, le gouverneur entre dans la danse et demande de tout arrêter : le bon sens populaire affirmait alors que le gouverneur qui se lancerait dans une pareille opération serait immédiatement relevé par l’autorité centrale. Tête de turc, Abdourahmane Seck continue son travail de sape, recueille l’accord des populations et le recensement a lieu. D’autant qu’une forte indemnité accompagne l’opération, à raison de 200.000 francs « aux gens qui ont construit » et ainsi, les occupants des rives et de la berge du boulevard fluvial furent transplantés vers des parcelles viabilisées, avec eau et électricité, grâce au remblai hydraulique. C’est dire que tout ne fut pas facile dans la conception de l’urbanisme et des activités du régional.

Abdourahmane Seck Homère n’est pas à proprement parler le prototype lébou, géant d’un mètre 90, généreusement doté par la nature et d’une noirceur de jais, l’ébène, en ces heures-là, ayant une connotation culturelle particulière dans la zone du Fleuve ; lui, il est moyen, assez sportif à l’époque et assez dynamique. Saint-Louis l’adopte sous le sobriquet de « Petit Seck ».

En 1977, le Petit Seck est affecté à Thiès, quelques mois à peine après avoir pris épouse à Saint-Louis, la dame Oumou Diallo.  C’est tout naturellement donc qu’il y revient en 1981, période où le technicien se fait un peu plus politique, la situation dans la vieille capitale s’étant densifiée en son absence avec les Oumar Ndiaye, Momar Sourang, les débuts d’un certain Jacques Diouf pas loin de là avec le projet pour le développement rizicole qu’il manageait (Adrao). Abdourahmane Seck Homère réalise l’Université de Sanar, le second stade de Saint-Louis et établit le plan directeur de Richard-Toll avec l’arrivée de Mimran et de sa Compagnie sucrière qui aliène pratiquement la totalité des terres environnantes.

Thiès fut sur le plan professionnel une expérience des plus originales. Ville de garnison, l’ancien royaume de Lat-Dior Ngoné Latyr Diop est une zone vierge sur le plan généalogique : aucune racine profonde et verticale d’une quelconque famille ancienne, aucune bourgeoisie locale durablement installée sinon de façon purement horizontale, d’où une facilité à gérer l’urbanisme local ; à Thiès, on était soit des chemins de fer, soit du camp militaire. Le régional lance ainsi en 1977 le programme d’assainissement de Thiès avec un Jean Colin qui rejoint la capitale régionale après avoir été maire de Joal, pour se donner une stature régionale ; la ville connait une extension et une évolution rapides avec Mbour 1, Mbour 2 et Mbour 3, la cité Hersant et le lycée Malick Sy. Abourahmane Seck Homère évolue d’autant plus facilement que le prélat local, Mgr François Dione, est dans le fer et le béton, d’où l’hôpital Saint-Jean de Dieu.

C’est là aussi que le Petit Seck éprouvera ses premières frictions avec les autorités administratives, en particulier le gouverneur Bécaye Diakhaté. Latyr Ndiaye affecté à Ziguinchor, Bouba Ndiaye, pour le Cadastre, Cheikh Mbacké Dièye, pour les Impôts et Domaines et Homère pour l’Urbanisme et l’Habitat se penchent sérieusement sur le problème du foncier dans la cité du rail. L’opinion publique parlerait aujourd’hui des travaux titanesques avec le premier tracé de l’autoroute Thiès-Dakar en passant par Sindia. Il faudra alors déplacer la cité Hlm de la route de Mbour avec un recul de 120 mètres avec la sortie de Thiès.

Soucieux de sécurité comme pour Saint-Louis naguère, le trio s’attaque à la base militaire vidée de ses premiers occupants destinataires et squattée par les civils, avec comme préoccupation majeure la protection de Dakar par Thiès. L’avis de spécialistes en la matière, en l’occurrence les militaires eux-mêmes, réconforte Abdourahmane Seck Homère et ses amis. Au demeurant, une voix autorisée finit de faire pencher le fléau de la balance sécuritaire, celle de Pathé Seck rencontré à Saint-Louis (sous-officier), à Thiès (commandant de compagnie) et à Dakar (commandant de compagnie). « Un homme d’exception », se souvient Homère, avec sa traditionnelle « promenade du jeudi ».

La situation sécuritaire fortement préoccupante de Nouakchott à Niamey doit inciter à reconnaître aujourd’hui la vision prémonitoire de ceux d’hier : Thiès constitue en effet le bouclier le plus solide pour la cohésion et la nationale, Dakar étant solidement adossée à la mer. Qui constitue un rempart imprenable. C’est peut-être aussi la compréhension du beau-fils avec sa nouvelle ville qui renforcera dans les faits la cité du rail.

S’il a rencontré des hommes d’envergure comme le général Pathé Seck et ses instituteurs de Rufisque, Homère reconnaît par ailleurs la valeur épistémologique d’un Makha Sarr, et humaine d’un Boubou Sall. Au cours d’une mission à Dagana pour la conception du plan d’urbanisme de la ville, en 1973, Abdourahmane Seck Homère est frappé par la pédagogie du maire MakhaSarr ; à Ponty, lui apprend-il, nous avons favorisé l’approche participative à l’élaboration de tout projet de développement. Cette méthode disparaitra malheureusement des annales de l’administration et ne resurgira que vers les années 90, avec les projets de la coopération des Organisations non-gouvernementales qui ont champignonné autour de ces années-là, mais qui se voulaient distincts de l’interventionnisme d’État. Auparavant, il était de bon ton de faire le bonheur des populations sans leur avis. Abdourahmane Seck en prend de la graine, dans le cadre de tout nouveau schéma d’urbanisme : parler aux gens par quartier qui donnaient aussi leur vision de leur quartier. Il l’avait presque réussi à ses débuts avec le déguerpissement de Ngallèle et cela avait été la clé de la réussite de la rénovation de Saint-Louis avec le schéma directeur BCEOM.

À Touba, village traditionnel, l’ingéniosité consistait à faire de la Mosquée le centre de la ville vers lequel convergeaient toutes les voies. Pendant 18 ans, en étroite collaboration avec les khalifes généraux Abdou Lahat Mbacké et Serigne Saliou Mbacké, Abdourahmane Seck Homère redessine la configuration de ce gros bourg devenu pays : 160.000 parcelles seront créées sous son magistère, 60.000 avec le troisième khalif, et 100.000 avec Serigne Saliou.

Abdourahmane Seck Homère n’est pourtant pas un urbaniste stricto sensu mais un géomètre ; il est de la même promotion 68 que Ousmane Tanor Dieng, section ‘G’. Il est affecté au ministère de Mady Cissokho, division Urbanisme, parce que M. Giroud, le patron, voulait densifier son service en élargissant les offres ; Abou Kader Diallo est assez large d’esprit, en fin de carrière, pour lui révéler les ficelles du métier. Cette présence du géomètre dans l’urbanisme, favorisée par la réforme Faure de 1968, lui vaudra quelques vétilles de la part de son corps d’origine qui se sentira trahi et qui s’en souviendra.

C’est ainsi que, soucieux de parfaire ses connaissances, Abdourahmane Seck Homère a suivi une formation en Hollande à l’issue de laquelle il s’est perfectionné en photogrammétrie à l’institut des sciences de la terre. Mais quelles péripéties pour arriver à ça ! Aliou Dia, du collectif des géomètres du Sénégal, s’est opposé au départ du candidat Seck qui ne ferait plus partie du corps, pour avoir intégré l’Urbanisme ; Dia se voudra intraitable, bien que Homère ait réussi les tests. Et c’est là que Djibo Kâ entre en scène. Les deux hommes s’étaient connus à Saint-Louis, avec Djibo Kâ comme adjoint au gouverneur chargé du développement. Au moment du projet d’études en Hollande, l’ancien adjoint était à Dakar, au cabinet du président Senghor, adjoint de Moustapha Niass et c’est son intervention qui sera décisive pour amener Alioune Dia à signer le document permettant à Abdourahmane Seck Homère à aller poursuivre ses études au pays des polders.

Pathé MBODJE

Abdourahmane Seck Homère,

Le Passé Décomposé

Mémoire & Souvenirs

Épuisé