L’Éditorial de Pathé Mbodje : Ne réveillons pas les morts
Éditorial
Ne réveillons pas les morts
Ces dernières années, les crises politiques se répètent et se ressemblent : une dizaine de morts en janvier-février 2012 après l’annonce de la candidature du président sortant Abdoulaye Wade à un troisième mandat ; 14 morts en mars 2021 suite à l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko ; 4 morts en juillet 2022 lors des manifestations contre l’invalidation des candidats des listes d’opposition aux législatives ; enfin, 23 morts début juin 2023 après la condamnation du même Ousmane Sonko pour « corruption de la jeunesse ».
Il est vrai que le Sénégal est devenu un peuple de zombies ayant perdu leurs illusions ou déçus d’avoir entrevu le paradis pour se morfondre à l’Érèbe. Il ne faudrait pas pour autant réveiller les morts pour en faire nos souffre-douleur, nos porte-faix. Depuis mars 2024 en effet, déterrer des cadavres est devenu un sport national pour laisser puer de vieilles plaies qui refusent de cicatriser : dossiers, décrets, décisions, ententes, contrats, plus rien ne trouve grâce aux yeux des populations pour évacuer un trop-plein enduré au nom de la chose jugée.
Et quand on entretient sciemment la confusion entre alimentation en eau potable (Aep) et système d’assainissement d’une ville, on se perd dans la plomberie pour ajouter aux fuites d’eau et à la stagnation des eaux de ruissellement.
Un glissement sémantique érigé en droit positif veut que “Le droit de résistance à l’oppression est un droit constitutionnel par le fait de son inclusion dans le préambule de la Constitution (CC 23 juin 1993)”. L’exercice de ce droit n’est pas organisé par la loi, avertit l’autre. Pourtant, les organisateurs de la guérilla urbaine entre 2021 et 2024 ont prétendu résister et appelé à la résistance populaire pour gérer une pure affaire de mœurs devenue affaire d’État parce que c’était constitutionnel aussi, plus sous forme d’Habeas corpus qu’au regard du Code napoléonien qui consacre la puissance de l’État-https://www.enqueteplus.com/content/demantele-par-la-s%C3%BBrete-urbaine-le-groupe-%C2%AB-commando-de-pastef-%C2%BB-projetait-des-attentats?
Tel Jupiter ou Zeus, le nouveau pouvoir se retrouve dans La Besace du fabuliste, invitant tous ceux qui ont à redire de leur composé physique ou moral à s’agenouiller devant sa grandeur acquise. En radotant tel un vieillard sur un passé qui se veut porteur d’avenir.
Ainsi,
– une solidarité en eau de zones excédentaires vers les zones déshéritées n’est plus le programme de revitalisation des vallées fossiles mais une autoroute de l’eau ;
– au nom du père, du fils et de la mère, il faut remettre au goût du jour d’anciennes histoires foncières vieilles d’un siècle, à la faveur d’un changement avec un régime que l’on entrevoit moins regardant sur le plan de l’esthétique, malgré l’intervention d’un procureur pour décrucifier le fils, Adam, premier homme sur terre ;
- habitué à rire tout seul de ses farces insipides, l’autre du Grand théâtre recevant les acteurs culturels promet de ressusciter “les jeunes martyres assassinés lors des événements de février-mars 2021 au Sénégal”, comme indiqué dans un mémorandum trônant un peu partout dans quelques officines ;
- enfin, ne nous voilons pas la face : la rupture, la vraie, devrait aider à retrouver nos racines avec le primat de la culture sur le cultuel qu’elle détermine en dernière analyse : le Sénégal, le vrai, est pluriel où Philippe est aussi Diogoye, Pascal Kotimagne, Bamba Mbakhane…
La pondération du président de la République Bassirou Diomaye Faye remet le fléau de la balance au milieu : reconnaissant les mérites de la démocratie sénégalaise, il laissera le jeu se poursuivre, se fixant un objectif immédiat pour la fin 2024. Une différence d’agenda à la tête de l’Etat fait s’agiter l’un alors que l’autre freine des quatre fers. Raillant le programme impossible d’une césure du bicéphalisme, on ne semble pas comprendre pourquoi une telle idée a germé dans l’esprit fécond des Sénégalais qui ne se retrouvent plus dans le bicéphalisme. Il faut craindre pour le Sénégal.
P. MBODJE