GMT Pile à l'heure

La Ligne du Devoir

Julien Jouga : Dialogue outre-tombe

Julien Jouga

L’international de la chorale,

la voix du dialogue islamo-chrétien

 

Le 23 décembre 2001, Julien Jouga, chanteur, chef de chœur et compositeur catholique quittait ce monde, trois jours après le président Léopold Sédar Senghor dont il était très proche.
Connu pour ses compositions en langues locales sénégalaises, il a aussi marqué les esprits comme acteur du dialogue islamo-chrétien.

Né le 5 février 1931, Julien Jouga est le premier Africain élu au Bureau mondial du chant choral au sein de Fédération internationale de la chorale.

Neveu de Mgr Joseph Faye, premier préfet apostolique de l’Église de Ziguinchor, dans le sud du Sénégal, il a grandi dans une famille catholique pratiquante. Très jeune, il a été formé par Mgr Joseph Faye lui-même aux chants grégoriens.

À 19 ans, en 1950, intègre la chorale St-Joseph de Médina, à Dakar, qu’il dirigera jusqu’à sa mort en 2001. Se confiant sur sa passion pour le chant sacré et sa longévité à la tête de cette chorale, il expliquait : « En plus de la formation, le maître de chœur, il y a d’abord, comme socle, des dons que l’on sent en soi, pour développer certaines aptitudes musicales. Il faut savoir mener un groupe, avec de l’autorité sans en abuser, mais aussi être rigoureux ».

Amitié avec Doudou Ndiaye Rose

Proche de Léopold Sédar Senghor, premier président Sénégalais, celui-ci lui demande, en 1972, d’organiser et d’animer une soirée de gala. Cet événement marquera le début d’une longue relation amicale et musicale avec un grand nom de la musique sénégalaise, le virtuose Doudou Ndiaye Rose, percussionniste classé, en 2006, consacré « Trésor humain vivant » par l’Unesco. Doudou lui propose de l’accompagner, avec ses enfants, dans l’exécution d’un chant dédié à la Vierge Marie « Simieno Mariama ». Pendant plus de 35 ans, les deux hommes, Julien le catholique et Doudou le musulman, jouent ensemble, constituant ainsi des symboles vivant du dialogue islamo-chrétien.

En 1996, les deux hommes enregistrent « Jamm » (La paix en wolof) un titre qui a connu un grand succès au Sénégal et qui est maintenant utilisé comme générique du journal dans certains médias.

Un hommage à Cheikh Ameth Tidiane

Plus tard, Julien composera une désormais célèbre reprise de « Lambi wa fass », un hommage à Cheikh Ameth Tidiane, grand théologien, fondateur de la confrérie musulmane soufie de la Tijaniyya. « J’ai moi-même entendu Julien expliquer qu’il l’a repris d’un aveugle à l’époque où il enseignait au lycée des jeunes filles de Saint-Louis devenu aujourd’hui lycée Ahmed fall. L’aveugle s’installait contre le mur du lycée et chantait pour mendier », rapporte à propos de ce chant, le journaliste sénégalais Martin Faye.

À sa mort, le 23 janvier 2001, son ami Doudou Ndiaye Rose lui a rendu un vibrant hommage : « Nous avons visité beaucoup de lieux chrétiens, et il respectait toujours les différences confessionnelles. Partout où nous allions, Julien Jouga s’assurait qu’on ne me serve pas de viande de porc ou de repas préparés avec de l’alcool. Il était quelqu’un de correct, d’honnête et de sincère ».

Lucie SARR,

La Croix, 10 janvier 2020