Immortel Badinter : Le verbe chair et vie
Robert Badinter le Souverain Maître
Le Verbe se fit chair,
le Verbe se fit vie
Artisan de la suppression de la peine de mort en 1981, l’ex-ministre de la Justice s’est éteint à 95 ans dans la nuit du 8 au 9 février 2024. Il a incarné le Verbe, au sens biblique de chair et de vie, et doit se réveiller comme il l’avait dit : « Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises.»
Le souverain
Me Fadel Fall résume la pensée de tous ses confrères : « Grand merci à un grand monsieur, patriote et souverain avant l’heure, un frère ».
Souverain. Le mot est fort : dans son acception la plus courante, absolue « il est au-dessus de tout, dont le pouvoir n’est limité par celui d’aucun autre », disent les bons dictionnaires.
Vovo Bombyx renchérit, moins pour lui que pour sa fille âgée d’à peine quelques jours à l’époque : « Un grand orateur. Un grand avocat. Le discours qu’il a prononcé le 17 septembre 1981 à l’Assemblée nationale française en faveur de l’abolition de la peine de mort est resté dans les annales.
Il faisait partie du collectif des avocats qui ont défendu le président Mamadou Dia et parmi lesquels se trouvait également le président Abdoulaye Wade.
Il a dédicacé à ma fille – elle était âgée de quelques mois- en 1989 ou début 1990, l’ouvrage qu’il a écrit avec son épouse, philosophe de formation, Elisabeth Badinter, « Condorcet : un intellectuel en politique » publié en 1988. Cela se passait à la librairie Aux 4 Vents, rue Félix Faure, en présence du président Kéba Mbaye dont il était l’invité. Paix à son âme ». Il ajoute : « Un juriste pénaliste (avocat) devrait pouvoir écrire un bel article sur lui : les avocats préfèrent toujours parler eux-mêmes des avocats ; des témoignages de sa plaidoirie lors du procès du président Mamadou Dia devraient pouvoir être recueillis ou doivent exister dans les archives du ministère de la justice ».
Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées.
À cet instant plus qu’à aucun autre, j’ai le sentiment d’assumer mon ministère, au sens ancien, au sens noble, le plus noble qui soit, c’est-à-dire au sens de “service”. Demain, vous voterez l’abolition de la peine de mort–Extrait du discours 17 septembre 1981.
Cette allitération sur demain est un refus de la mort, cette hantise d’immortalité qui va au-delà d’un plaidoyer devant le législateur. Demain est infini. Il est chair, il est espérance, il est vie. Il est ancien, au sens d’éternité.
Robert Badinter était le Verbe au sens biblique du terme, qui se fit chair, qui se fit vie : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu » (Jean 1, 1-2, Wikipédia). À écouter la voie du Maître ou à documenter les différentes écritures, on a l’impression d’entendre l’Éternel dicter sa table des lois à Moïse à la veille de l’Exode vers la Terre promise, l’espoir de tout un peuple, au sens d’humanité et d’humanisme, condamné à un éternel exil et qui souhaite rester en vie.
Vovo Bombyx s’arrête à l’hommage rendu à l’épouse quand, chez Badinter, la vie commence par l’ancêtre, la grand-mère, le dernier repère, le dernier refuge.
« Je regrette de ne pas lui avoir dit plus souvent combien je
l’aimais. » Ainsi parle Robert Badinter d’Idiss, sa grand-mère
maternelle. Si son petit-fils a tenu à lui rendre hommage dans un
livre, c’est parce que l’ingéniosité, la rage de vivre de cette femme
forcent l’admiration. Les broderies qu’elle vend au marché ne
suffisent pas à nourrir sa famille. Alors, elle se livre à la contrebande
du tabac. En 1899, quand son mari revient du front, naît la petite
dernière, Chifra. L ’argent manque toujours. L’époux est un joueur
invétéré qui perd ce qu’elle gagne péniblement. En 1907, après les
pogroms meurtriers de Kichinev, la capitale de la Bessarabie,
orchestrés par le tsar et ses ministres pour détourner la colère de la
population, les deux fils d’Idiss, Avroum (23 ans) et Naftoul (21 ans),
partent vers la France, pays de la liberté et des droits de l’homme.
Ces foules antisémites déchaînées qui s’emparent des enfants et leur fracassent le crâne, violent les femmes, et brûlent les maisons les contraignent à l’exil. »
Dominique M i s s i k a & M a u r i c e S z a f r a n : R O B E R T B A D I N T E R, L ‘ H O M M E J U S T E
Taillandier, France, 2021, Page 12