Décision du Conseil constitutionnel : Pastef face à Sonko
Décision du Conseil constitutionnel
Le serpent qui se mord la queue
La décision du Conseil constitutionnel annulant l’interprétation de la loi d’amnistie renforce ce sentiment de suffisance d’une formation qui se méprend sur sa représentativité et sa densité morale réelles et qui a conséquemment négligé des pans importants de la communication sociale.
Sonko rassuré sur l’imprescriptibilité de certains actes de torture, d’assassinat et de meurtre cherche encore des résidus de poudre sur la main des éventuels exécuteurs de militants pour assouvir sa soif de justice. Président de Pastef et chef du gouvernement, il est aujourd’hui en droit d’organiser individuellement et collectivement les victimes et leurs familles pour réclamer justice au gouvernement. Cruel dilemme : To be or Nor to be qui ne rebute pas cependant celui qui fait de l’épreuve de force son leitmotiv.
Ce vaudeville est d’autant plus ubuesque que Pastef n’a jamais fait mystère de l’inclinaison du fléau de la balance dans l’issue de la douloureuse parenthèse 2021-2024.
C’est la plus grande faiblesse du pouvoir actuel de se croire sorti de la cuisse de Jupiter, ce qui l’empêche de penser ses actes et de bien communiquer autour.
Ainsi de la proposition de loi interprétative : elle n’a pas fait l’objet de plaidoyer avant le dépôt de la proposition de loi ; conséquemment, elle a été perçue, interprétée et comprise comme une tentative de couvrir les agissements de Pastef et, par extrapolation, d’une responsabilité des dirigeants du parti accusés d’être les instigateurs. “Cela a amené à se demander si la pratique d’une justice à deux vitesses, contre laquelle Pastef s’est battu, n’était pas en train d’être ressuscitée, un reniement qui serait dangereux pour qui connaît l’attachement du Sénégalais au respect des convictions et des engagements” : nos études ont rapidement ramené dans les souvenirs la « loi Ezzan ». Le pouvoir a été incapable de réaffirmer et de démontrer que le prétexte de l’impunité est consubstantielle à la loi d’amnistie et qu’il était superfétatoire d’en rajouter pour amuser la galerie. Sauf à viser l’abrogation totale, promesse électorale difficilement réalisable : le nombrilisme n’a pas permis de saisir la perche tendue par Thierno Alassane Sall qui a, le premier, pris l’initiative de l’abrogation de la loi d’amnistie de 2024 ; cette même suffisance a accompagné les commentaires du président de Pastef à l’issue de la décision du conseil constitutionnel qui renseigne at nauseam qu’il sera difficile de tirer quelque chose de la tête du parti.
Pastef s’est également trompé sur le sens du vote de mars 2024 qui explique les erreurs et maladresses d’aujourd’hui, tant dans le logos que dans le comportement. Nos sources affirment que « Le régime Pastef commet la grande erreur d’analyse en pensant que les 54 % du candidat Diomaye sont une carte blanche ; tout le monde sait que ce score de crise n’est pas une carte blanche pour agir à sa guise dans un Parti-Etat ». L’alerte de Alioune Tine et de Pape Alé Niang sur les risques d’exclusion et sur le devoir de vérité leur a valu quelques remontrances au début. Pastef, comme l’a remarqué le président Diomaye, est une infime partie dans le score : « Il a aujourd’hui en face de lui la rue et non plus les contre-pouvoirs traditionnels que sont les syndicats, les partis, les notabilités religieuses et coutumières, la presse : cette rue qui tente de rallier avec plus ou moins de bonheur ces anciennes soupapes s’impatiente. Il est urgent que le président Diomaye et le Premier ministre Ousmane Sonko lui démontrent concrètement qu’elle peut espérer que la situation socio-économique du pays, inacceptable au vu de ses ressources et potentialités humaines et matérielles, va commencer à changer ; elle ne se contentera pas de promesses et de vision. Par l’exemple, des informations laissent à penser que les citoyens ne considèrent pas la décision du Conseil constitutionnel comme un camouflet mais plutôt un manque de rigueur dans la préparation, l’exécution et le suivi post-exécution des décisions gouvernementales ; leur suprême priorité est de constater concrètement que le pays a pris pour de bon la voie de la rupture avec les pratiques et mœurs de gouvernance politicienne ».
« Les autorités doivent faire preuve de vigilance en matière de communication publique et agir sur la base de renseignements de qualité car les erreurs/maladresses noircissent le bilan du régime», concluent nos sources.
La décision 1-C-2025 du 23 avril du Conseil constitutionnel est pourtant d’un parfait équilibre qui reste conforme à la lettre de la loi d’amnistie mais confirme le respect indéfectible de la personne humaine consacrée par la loi fondamentale. Pour autant, « les erreurs » s’accumulent dans un domaine qui fut « le champ de bataille de Sonko ; cette affaire va entacher un peu plus la crédibilité du régime. Mais l’opposition ne peut pas en tirer profit car peu crédible ». Convaincus de devoir se battre dans la durée, beaucoup de leaders feraient du bruit pour ne pas se faire oublier du pouvoir ; leur timide activisme serait au fond un appel d’air envers le pouvoir. Les prochaines rencontres politiques pourraient en donner un aperçu.
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Torture
Tous les chemins ne mènent pas à Rome
Les failles décelées par le Conseil constitutionnel suscitent de l’incompréhension quant à la qualité de l’expertise qui a élaboré le texte de la proposition ; ceci amène aussi à suggérer d’éviter de parler d’une saisine de la Cour pénale internationale en relation aux événements de 2021 à 2024 : elle n’est nullement compétente pour intervenir, contrairement aux positions de plusieurs chercheurs et interprètes du Droit.
« L’article 29 peut être considéré uniquement en cas d’intervention de la CPI pour soutenir des accusations de crimes contre l’humanité. Or, celle-ci ne peut pas intervenir au Sénégal car les critères de compétence requis à cet effet ne sont pas remplis : les événements de 2021 et 2023 sont considérés comme des événements à caractère interne au vu du Statut de Rome. Par contre, des conventions internationales comme celle sur la torture dont le Sénégal est partie peuvent valablement être invoqués par les victimes ».
L’idéologie dominante :
« …L’article 29 du statut de Rome du 17 juillet 1998 de la Cour pénale internationale (CPI) dont le Sénégal est signataire consacre l’imprescriptibilité de certaines infractions comme en cas de torture ou d’actes inhumains causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique et psychique inspirés par des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste. Dans la même logique, plusieurs instruments relatifs aux droits de l’homme qui reflètent des obligations juridiques qui existent déjà en vertu du droit international affirment que les États ne peuvent amnistier des violations flagrantes des droits de l’homme, qui incluent la torture et les meurtres… La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples s’inscrit dans cette même dynamique en affirmant qu’une loi d’amnistie prise dans le but de rendre caduques les poursuites relatives à une violation des droits de l’homme, bien qu’ayant des effets sur le territoire national de l’Etat concerné, ne peut soustraire ce pays de ses obligations internationales découlant de la Charte »—
La loi d’amnistie : un capharnaüm juridique. Par El Hadji Saër Sarr , Mars 8, 2024 | Contributions |
Pathé MBODJE