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Culture : Picasso ? Non : Mamadou Wade

Mamadou Wade

Il est zéro heure sur les cimaises, le jour se lève

Par Jean-Michel SECK,

Mécène

Publication 29/12/2013

L’artiste peintre Mamadou Wade nous a quittés le 5 août 2024.
L’homme féru d’art et de culture Jean-Michel Seck avait écrit le texte ci-dessous  à l’occasion de son exposition à la Galerie nationale au mois de décembre 2013.

– Picasso ! ,  s’est écriée Joséphine Charlotte, la fille aînée de Manouche, ma mère, devant une des œuvres, de grande qualité, qui s’offrait à son regard, hier soir à la Galerie nationale d’Art.

– Non : Mamadou Wade, lui répondis-je, regard prodige, regard fétiche, regard symbolique… Joséphine Charlotte, ma sœur, venait de se replacer, en l’espace d’une seconde, dans l’ambiance qui fut celle du Musée Dynamique recevant l’exposition Picasso en 1972 ; elle était en classe de Terminale A et leur professeur de philosophie, Mme De Moulin, avait organisé une visite de l’exposition pour toute la classe de Terminale A4 du lycée Blaise Diagne.

Plus de quarante années se sont écoulées entre les deux événements : Mamadou Wade n’est pas Pablo Ruiz Picasso et Pablo Ruiz Picasso n’est pas Mamadou Wade… A chacun son style et surtout à chacun son inspiration éclairée : les muses sont partout et les ruses aussi… Ainsi va la peinture dans tous ses états, ainsi va la peinture dans tous ses éclats, de verre, de bois, de toile, de jute et de métal… L’œil écrit et dessine : les arts visuels prennent le relais de l’écriture, traduite en peinture, à la Galerie nationale d’Art ; Mamadou Wade, l’artiste-peintre, succède à Amadou Lamine Sall, le vaillant poète !

Cette heureuse succession est un signe qui ne trompe pas, car l’art ne possède qu’un seul cœur qui s’exprime tantôt par le verbe, tantôt par la trace, laissée aux premières lueurs du jour, sur la toile encore fraîche, par l’artiste-peintre. Je pourrais retracer les “univers magiques’’ du poète Amadou Lamine Sall et de l’artiste-peintre Mamadou Wade, car plusieurs fils invisibles relient les œuvres produites par ces deux artistes de talent, qui s’apprécient et se vouent un réciproque respect dans la vie réelle. Les mots viennent du littoral : je l’ai écrit, il y a quelques semaines, dans une brève note de lecture consacrée à Makhily Gassama, à l’occasion de la publication de son bel ouvrage intitulé “Politique et Poésie au Sud du Sahara’’.

Les couleurs aussi viennent du littoral : la couleur bleue… Les œuvres que Mamadou Wade “donnent à voir’’ (Paul Eluard) à la Galerie nationale d’Art, sortent littéralement de terre, la terre colorée de Mékhé et, de l’eau – œil d’eau- pour ne pas écrire que les œuvres sortent comme des fusées de la mer, la mer bleue, qui inonde plusieurs toiles de l’artiste-peintre et qui dessine, à son insu parfois, des formes humaines, des “Royales’’ et des “Grandes Royales’’, des formes élégantes, “Elégance africaine’’ quand tu nous tiens… Les critiques d’art nous diront, dans quelques jours, ce que révèlent et que nous ignorons les toiles aux reflets d’or de l’artiste-peintre Mamadou Wade. Mamadou Wade a connu sa “période bleue’’ comme sait l’expliquer mieux que quiconque le professeur de philosophie et critique d’art réputé, Abdou Sylla, qui a écrit une thèse sur l’esthétique et qui préside aux destinées de l’Association des critiques d’art du Sénégal. Mamadou Wade a connu sa “période rouge’’ avec ses références constantes à la musique de jazz dont les racines sont d’abord africaines… Mamadou Wade, et c’est plutôt rare, “peint le jazz’’ à merveille : l’œuvre intitulée “le saxo de Mballo’’ en est une belle et ravissante illustration ! Je prendrai le risque, cette fois sur le terrain des arts visuels, et non sur celui de la littérature, en tant que simple amoureux de l’art, sous toutes ses formes “visibles et invisibles’’, d’une lecture principale des œuvres de toute beauté, produites par notre ami Mamadou Wade, qui a reçu des formations rares et denses : la Maison des Arts à Dakar, la Manufacture des Gobelins à Paris, l’Ecole des Beaux- Arts d’Aubusson, l’Académie Royale de Bruxelles, l’Institut Sorikov à Moscou..?

Il a été formé à l’Ouest et à l’Est et sa peinture porte toutes les forces accumulées sur ces terres lointaines et qui ont su le rendre invincible : il avance et ne recule jamais… Le premier mouvement de l’artiste sur sa toile, son “mouvement continental ’’, consiste à jeter sur elle la terre “rouge’’ de sa terre natale, Mékhé, et la couleur aux reflets d’or et d’argile est très présente dans les créations de l’artiste ; l’artiste laisse éclater sur la toile les couleurs de Mékhé, la route du Nord, comme une étoile qui sert de guide à l’artiste-peintre et à tous les hommes de la terre.

Le deuxième mouvement de l’artiste, son “mouvement insulaire et marin’’, lui permet de quitter sa terre natale et de rejoindre la presqu’île de Dakar où, bien sûr, la mer domine, le bleu domine... Les deux couleurs citées et que l’artiste “sait travailler’’ et rendre sur ses toiles, définissent une trajectoire, un chemin que l’artiste emprunte et qu’il va parcourir avec des êtres qu’il sait convoquer ;  il détient seul ce secret- à l’aide des ses “tablettes du savoir’’ posées à même le sol ; il faut être proche du centre de la terre, proche du noyau de l’écorce terrestre, proche de l’alliance du fer et du nickel… Les trois mouvements évoqués peuvent s’observer, par le regard, lorsqu’il est “dirigé’’.

Le Professeur Awa Marie Coll Seck, alors ministre de la Santé et de l’Action sociale, a parlé de Mamadou Wade comme d’un grand homme, un artiste de talent, un ambassadeur de la culture du Sénégal : elle a mille fois raison et les artistes qui se voient aujourd’hui proposer par elle la Couverture médicale universelle lui seront éternellement reconnaissants. Elle a été humble, une qualité rare de nos jours car elle nous a avoué que, dans le domaine des arts visuels, elle était encore dans sa phase d’acquisition des connaissances, “d’accumulation primitive’’, pour utiliser un concept que mes amis qui me liront reconnaîtront. Le ministre de la Santé et de l’Action sociale a invité les scientifiques– elle est scientifique de formation- à s’ouvrir à l’art et à la culture en général : l’invitation est belle et souveraine ! Mon “œil’’ a été éduqué par tous les artistes du Village des Arts, par le Pr Abdou Sylla et par André Breton, toujours lui sur mon chemin, qui a écrit une œuvre majeure : “Le surréalisme et la peinture’’.

Rémi Sagna, directeur de Cabinet, représentant le ministre de la Culture et du Patrimoine classé, nous l’a appris hier soir : Mamadou Wade a été au départ de toutes les grandes initiatives culturelles du Sénégal ! Je peux le confirmer : Mamadou Wade était avec nous en 2006, sous la lumière vive de la case posée sur l’eau du Soumbé, pour nous soutenir et nous conseiller utilement dans la réalisation avortée de notre grand projet culturel qui consistait à relier “culturellement’’ quatre grands déserts : le désert saharien (Algérie), le désert du Ténéré (Niger), le désert mauritanien et le “faux désert’’ de Lompoul (Sénégal). Les Artistes Solidaires, amis de l’artiste-peintre Mamadou Wade, Madeleine Devès Senghor, Ibou Diouf, Zulu Mbaye, Seyni Diagne Diop, Chuckley Vincent Secka, Djibril Ndiaye ont “fait leur acte’’ et ont montré la voie, la voie de la solidarité et leur exemple fera “tache d’huile’’… La Galerie nationale d’Art qui deviendra une place culturelle forte grâce à l’ambitieux projet que mûrit Mme Madjiguène Niang Moreau, la directrice, accueille depuis le 17 décembre 2013 (grand clin d’œil au président Mamadou Dia et à l’histoire politique du Sénégal) et jusqu’au 31 décembre 2013, les œuvres de l’artiste-peintre Mamadou Wade.

Son ami Seyba Traoré, le Maître de Cérémonie, celui que j’ai reconnu et qui jouait déjà, au début des années 70, au Collège Sacré-Cœur, dans la pièce célèbre de Molière, les “Fourberies de Scapin’’, a décrit Mamadou Wade, du fait de sa naissance à Mékhé, comme un homme de confluences culturelles multiples : il a également mille fois raison !

Il manquait hier soir à la Galerie nationale d’Art  un grand homme venu des contrées lointaines de la “culture universelle’’ : André Malraux, le théoricien du “Musée Imaginaire’’ et les Malruciens regroupés au sein des Amitiés Internationales André Malraux, auraient apprécié les œuvres magistrales de l’artiste-peintre Mamadou Wade !

Le Sénégal a son Musée Dynamique et je reste solidaire du combat mené par Oumane Sow Huchard dit Soleya Mama, afin qu’il soit rendu à la culture et aux artistes de tous les continents de notre petite terre. “La terre est bleue comme une orange’’ (Paul Eluard) : ces deux couleurs qui sont aussi celles de l’artiste Mamadou Wade ont conquis nos cœurs hier soir lors du vernissage de l’exposition “œil d’eau’’

La pluie est tombée hier nuit sur Dakar : le ciel aussi était de la partie..

Il est zéro heure sur les cimaises et le jour s’est levé….