Coin d’Histoire – Maître Waldiodio Ndiaye, l’homme du discours de la place Protêt face à de Gaulle Par Mohamed Bachir DIOP, Rédaction centrale, Le Devoir
Un redoutable homme politique au parcours méconnu
Les Français écrivent son nom avec un « v », Valdiodio, mais cela se prononce Waldiodio et ses nombreux homonymes à travers le pays sont surnommés Waly par leur entourage proche. Maître Waldiodio est l’auteur du fameux discours en faveur de l’indépendance immédiate du Sénégal lors de la visite du général de Gaulle en 1958. Son discours retentissant avait mis en colère le président français qui, agacé, par le ton répliquera : « Je m’adresse à vous les porteurs de pancartes, si vous voulez l’indépendance, prenez-la ! ». À la plus grande joie de l’un des plus célèbres d’entre eux, maître Mbaye Jacques Diop qui deviendra plus tard maire de Rufisque.
Waldiodio Ndiaaye, Saloum-Saloum d’origine, est né à Rufisque le 7 avril 1923. Son père, un prince du Saloum, s’appelait Samba Langar et sa mère, Linguère Adjaratou Sira Mbodj, est une descendante des Guelwars sérères.
Très jeune, son père l’envoie faire ses études primaires à Kaolack où il obtient son certificat d’études avant de poursuivre ses études secondaires au lycée Faidherbe de Saint-Louis. Il passe son baccalauréat comme candidat libre car, citoyens français d’office à la faveur de la loi sur les « quatre communes », il est obligé de faire son service militaire car la conscription est de rigueur dans la République française. C’est donc lorsqu’il effectue son service militaire qu’il obtient le bac en 1947, ce fameux sésame qui lui permet de poursuivre ses études supérieures en France. Lors de l’examen, il sort major des épreuves. Il compte dans sa promotion de grandes figures de l’histoire du Sénégal tel que le savant Cheikh Anta Diop ou encore l’écrivain Birago Diop.
Muni d’une bourse pour faire des études de dentiste, il change d’avis une fois en France et s’inscrit en Droit et en Philosophie à l’université de Montpellier.
En janvier 1951 il soutient une thèse intitulée « La notion de citoyenneté dans l’Union française » qui lui vaut la mention très bien avec les éloges du jury et devient Docteur en Droit. Malgré les recommandations de ses professeurs, il n’obtient pas de bourse pour s’inscrire au concours de l’Agrégation. Il rentre donc au Sénégal et épouse Claire Onrozat, rencontrée à l’Université de Montpellier, avec qui il aura quatre enfants.
Il ouvre alors un cabinet d’avocat à Kaolack et s’engage en politique en intégrant le BDS (Bloc démocratique sénégalais) qui se muera plus tard en UPS (Union progressiste sénégalaise) après avoir noué une alliance avec le BPS (Bloc populaire sénégalais). Il est alors élu Conseiller territorial en 1952 puis son mandat est renouvelé en 1957.
Il occupe d’importantes fonctions au Bloc démocratique sénégalais (BDS) et à l’Union progressiste sénégalaise (UPS). En 1957, avec la loi Cadre, il devient ministre de l’Intérieur du premier gouvernement du Sénégal et il assume, de septembre 1958 à mai 1959, cumulativement les fonctions de ministre de l’Intérieur, ministre de l’Éducation nationale ainsi que l’intérim de la présidence du Conseil. C’est l’année d’après, en 1958, qu’il prononcera son fameux discours face au général de Gaulle :
« Nous disons indépendance, unité africaine et confédération. Il ne peut y avoir aucune hésitation, la politique du Sénégal, clairement définie, s’est fixé trois objectifs qui sont dans l’ordre où elle veut les atteindre : l’indépendance, l’unité africaine et la confédération (…) Les avant-projets constitutionnels ne nous laissent pas sans inquiétude (…) Demain, tous les « oui » ne comporteront pas une renonciation délibérée à l’indépendance et tous les « non » ne traduiront pas une volonté de rupture complète. Il y a là une possibilité de malentendu, aussi grave dans l’un ou l’autre cas. Le gouvernement du Sénégal ne se prononcera que lorsqu’il aura connaissance du texte définitif ».
Naturellement, de Gaulle prendra la mouche et sa réponse traduit clairement son agacement face à ce qu’il considère comme une humiliation personnelle. Car, selon certaines sources, il était tombé d’accord avec Senghor pour rester dans « l’Union française » et que ce dernier tiendrait le discours politiquement correct lors de sa visite à Dakar. Mais Senghor évitera soigneusement de se présenter à ce meeting sur la place Protêt, de même que Mamadou Dia, tous les deux ayant décliné « diplomatiquement » l’invitation à y participer. Son courage avait été vivement salué par les « porteurs de pancartes » qui l’ont acclamé à tout rompre.
Voici un extrait de ce Mamadou Dia disait de lui :
« L’homme exerçait sur moi une certaine séduction à laquelle m’obligeait sa parfaite droiture, sa désinvolture de collégien, son courage, un franc-parler qui n’était en rien l’expression de la moindre méchanceté. Et, par-dessus tout, cette connaissance pointilleuse de tous les dossiers, qui venaient en Conseil des ministres : les siens comme celui de n’importe lequel de ses collègues ».
Le 15 mai 1960 il est élu Maire de Kaolack. C’est l’un des architectes de la réforme administrative qui supprime les pouvoirs féodaux, lui qui était pourtant issu du milieu princier traditionnel.
Le 4 avril 1961, il sera chargé de débaptiser la place Protêt pour en faire la place de l’Indépendance. Il est nommé ministre des Finances en novembre 1962, un mois avant la crise politique de décembre 1962 entre Senghor et Mamadou Dia.
Alors que le président du Conseil, Mamadou Dia, incarne le sommet de l’État dans un régime parlementaire bicéphale (la politique économique et intérieure pour lui, la politique extérieure pour le président de la République), ses relations avec le président Senghor s’enveniment peu à peu. Le conflit repose essentiellement sur la politique économique du gouvernement et le sort à réserver aux députés « affairistes » ayant commis de nombreux abus. Ces députés s’étaient octroyés des augmentations de salaire, avaient pris des crédits dans des banques (qu’ils ne remboursaient pas) et des actions dans des sociétés anonymes, directement ou par l’intermédiaire de leurs femmes ou de leurs enfants. Tout ceci était contraire à la ligne politique du parti. Mamadou Dia leur demanda à plusieurs reprises de rembourser leurs crédits et de rendre leurs actions, mais en vain.
De plus, le 8 décembre 1962, le président du Conseil, Mamadou Dia, prononce un discours sur « les politiques de développement et les diverses voies africaines du socialisme » à Dakar ; il prône le « rejet révolutionnaire des anciennes structures » et une « mutation totale qui substitue à la société coloniale et à l’économie de traite une société libre et une économie de développement » et revendique une sortie planifiée de l’économie arachidière. Cette déclaration, à caractère souverainiste, heurte les intérêts français et inquiète les puissants marabouts qui interviennent dans le marché de l’arachide. Cela motive Senghor à demander à ses amis députés de déposer une motion de censure contre le gouvernement. Jugeant cette motion irrecevable, Mamadou Dia tente d’empêcher son examen par l’Assemblée nationale au profit du Conseil national du parti, en faisant évacuer la chambre le 17 décembre et en faisant empêcher son accès par la gendarmerie. Malgré ce qui est qualifié de « tentative de coup d’État » et l’arrestation de quatre députés, la motion est votée dans l’après-midi au domicile du président de l’Assemblée nationale, Lamine Guèye.
Mamadou Dia et Waldiodio Ndiaye sont arrêtés le lendemain par un détachement de paras-commandos, avec trois autres ministres, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Alioune Tall. Ils sont traduits devant la Haute Cour de justice du 9 au 13 mai 1963 ; alors que le procureur général ne requiert aucune peine, Mamadou Dia est condamné à la prison à perpétuité tandis que Waldiodio Ndiaye et les autres ministres coaccusés sont condamnés à 20 ans d’emprisonnement. Ils seront détenus au centre spécial de détention de Kédougou. Le procureur général de l’époque, Ousmane Camara, est revenu sur le déroulement du procès dans son livre autobiographique publié en 2010 :
« Je sais que cette haute cour de justice, par essence et par sa composition, a déjà prononcé sa sentence, avant même l’ouverture du procès. La participation de magistrats que sont le président Ousmane Goundiam, le juge d’instruction Abdoulaye Diop et le procureur général ne sert qu’à couvrir du manteau de la légalité une exécution sommaire déjà programmée ».
Lors de leur incarcération, des personnalités comme Jean-Paul Sartre, le pape Jean XXIII ou encore François Mitterrand demandent leur libération. Mais Senghor reste sourd jusqu’au 27 mars 1974, année à laquelle il décide de les gracier et de les libérer. Ils sont amnistiés en avril 1976, un mois avant le rétablissement du multipartisme dans notre pays. Parmi leurs avocats durant cette période, on compte Abdoulaye Wade et Robert Badinter ; ce dernier sera même l’avocat personnel de Waldiodio Ndiaye.
Après sa libération en 1974, Waldiodio reprend sa carrière d’avocat.
En 1981, il participe à la fondation du Mouvement démocratique populaire (MDP) avec Mamadou Dia, mais s’éloigne de celui-ci en 1983 et rejoint le Parti socialiste (PS). Lors de l’élection présidentielle de 1983, il apporte son soutien au président sortant Abdou Diouf.
Il meurt l’année suivante, le 5 mai 1984, à l’hôpital Principal de Dakar et il sera inhumé à Kaolack, ville dont il a été le maire pendant plusieurs années.