Coin d’Histoire: Habib Bourguiba « Le combattant suprême » Par Mohamed Bachir DIOP, Rédaction centrale, Le Devoir
Fondateur de la Tunisie moderne, il s’est laissé enfoncer dans un culte de la personnalité qui finira par le perdre
Bourguiba, de son nom complet Habib Ben Ali Bourguiba, est né le 3 août 1903 à Monastir. Il a dirigé la Tunisie pendant 30 ans (de 1957 à 1987) d’une main de fer. Avocat formé en France dans les années 1920, il revient en Tunisie pour militer dans les milieux nationalistes. En 1934, à l’âge de 31 ans, il fonde le Néo-Destour, fer de lance du mouvement pour l’indépendance de la Tunisie.
Plusieurs fois arrêté et exilé par les autorités du protectorat français, il choisit de négocier avec la Quatrième République, tout en faisant pression sur elle, pour atteindre son objectif. Une fois l’indépendance obtenue le 20 mars 1956, il contribue à mettre fin à la monarchie et à proclamer la République, dont il prend la tête en tant que premier président le 25 juillet 1957.
Dès lors, il s’emploie à mettre sur pied un État moderne. Parmi les priorités de son action politique figurent le développement de l’éducation, la réduction des inégalités entre hommes et femmes, le développement économique et une politique étrangère équilibrée, ce qui en fait une exception parmi les dirigeants arabes. Ceci n’empêche pas le développement d’un culte de la personnalité autour de sa personne —il porte alors le titre de « Combattant suprême » —et l’instauration d’un régime de parti unique pendant une vingtaine d’années.
Bourguiba obtient son baccalauréat en 1924 avec une note de seize sur vingt en philo. Il obtient alors une bourse pour aller poursuivre des études en France.
Dès son arrivée à Paris, il s’inscrit à la faculté de Droit de Paris et entre à la Sorbonne pour suivre des cours de psychologie et de littérature. Conscient qu’il était venu s’« armer intellectuellement contre la France », il se consacre au droit et à la découverte de la civilisation française. Dans ce cadre, il se rend fréquemment aux débats politiques, lit les journaux et suit de près l’évolution politique de la Troisième République. Sensible aux idées de Léon Blum au lendemain du congrès de Tours, il s’oppose au bolchévisme et s’intéresse à la démarche de Gandhi qui essaye de transformer le Congrès national indien en une puissante organisation de masse.
C’est en 1926 qu’il rencontre sa femme, Mathilde, une veuve de 35 ans, donc plus âgée que lui. Il emménage chez cette dernière et vit en concubinage.
Pendant l’été 1926, il rentre à Monastir mais ne s’intéresse plus aux péripéties politiques du pays. Son père décède en septembre et il reçoit un télégramme de Mathilde qui lui annonce qu’elle est enceinte. Cette situation ainsi que la responsabilité parentale qui lui incombe l’inquiètent. Cependant, il décide d’élever l’enfant, malgré la suggestion de ses amis qui l’incitent à abandonner Mathilde. Celle-ci donne naissance à un garçon qu’ils prénomment Jean Habib. Il obtient respectivement une licence en droit et le diplôme supérieur d’études politiques de l’École libre des sciences politiques.
C’est à l’âge de 26 ans, en août 1927, que Bourguiba retourne en Tunisie, non seulement avec sa compagne Mathilde et son fils mais aussi avec une connaissance approfondie de la vie politique française sous la Troisième République. Lors de son séjour, il est en effet séduit par les valeurs libérales de la république radicale-socialiste et laïque, longtemps véhiculées par son frère Mohamed. Dès son retour, il épouse Mathilde et s’installe à Tunis. Sa famille et son entourage acceptent mal son mariage avec une Française plus âgée que lui, alors qu’il était promis à Chedlia Zouiten (fille de sa cousine germaine Aïcha Bourguiba).
Dans un premier temps, il ne s’intéresse guère à la politique mais plutôt au travail, au logement et à sa famille, tout avocat débutant devant faire trois ans de stages chez un autre professionnel. Pendant près d’un an, d’octobre 1927 à octobre 1928, Bourguiba enchaîne les stages : il est d’abord engagé par un certain Me Cirier, qui le congédie au bout de six semaines, puis chez Me Pietra, associé à Me Scemama, qui le confine aux travaux d’écriture et ne le paye qu’au bout de deux mois. Bourguiba démissionne pour travailler chez Me Salah Farhat, secrétaire général du Destour, et cela jusqu’à ce que Me Sebault l’engage pour 600 francs par mois, ce qui mène Bourguiba à travailler pour lui un an de plus que ses trois années obligatoires.
Dans le contexte de l’ordre colonial régnant en Tunisie, le jeune Bourguiba ressent les effets de l’inégalité, notamment par une phase de chômage de près d’un an. Cette inégalité le choque et le mène à entreprendre des discussions avec ses amis tunisiens mais aussi français, qui tous se mettent d’accord sur la nécessité d’entreprendre une démarche réformiste visant à faire de la Tunisie un pays analogue à la France, à savoir libéral, moderne et laïc. Cependant, il se montre attaché à l’identité nationale. En effet, lors de sa participation, le 8 janvier 1929, à une conférence donnée à l’association culturelle L’Essor par Habiba Menchari, une jeune femme dévoilée qui plaide pour la cause de l’émancipation de la femme, il n’hésite pas à défendre le port du voile en affirmant que la Tunisie court à la déchéance de sa personnalité et doit veiller à préserver ses coutumes et traditions qui demeurent les dernières défenses d’une identité nationale en péril. Cela surprend alors les libéraux.
La polémique qui s’ensuit oppose pendant près d’un mois Bourguiba dans L’Étendard tunisien à Durel dans Tunis socialiste. Ce dernier s’étonnant qu’il ait épousé une Française, Bourguiba éclaircit les choses en déclarant qu’ils étaient là pour donner à leur fils l’éducation et la culture nécessaires pour en faire un Tunisien.
Bourguiba, qui multiplie ses articles dans L’Étendard tunisien et la Voix du Tunisien, dénonce les tentatives visant la personnalité tunisienne.
Dans un article du 23 février 1931, il explique que pour « un peuple sain, vigoureux, que les compétitions internationales ou une crise momentanée ont forcé à accepter la tutelle d’un État fort, le contact d’une civilisation plus avancée détermine en lui une réaction salutaire. Une véritable régénération se produit en lui et, grâce à une judicieuse assimilation des principes et des méthodes de cette civilisation, il arrivera fatalement à réaliser par étapes son émancipation définitive ».
Militant du Destour, le parti le plus en vue, il ne tarde pas à entrer en conflit avec ses dirigeants qu’il trouve un peu trop « modérés ». Avec quelques amis, il crée alors le Néo-Destour dont il est élu Secrétaire général. C’est là que commence sa vraie carrière politique car c’est ce parti qui le conduira au pouvoir dès l’indépendance acquise.
Il sillonne le pays et se démarque rapidement des caciques du Destour par sa nouvelle méthode de communication. Les masses, ayant toujours été laissées à elles-mêmes, sont séduites par son discours et y adhèrent. Des cellules se créent et une structure se met en place dans tout le pays, faisant du Néo-Destour une machine plus efficace que toutes les formations nationalistes l’ayant précédé.
Réformiste en diable, il transforme la Tunisie en République, dès qu’il est élu Premier ministre d’un gouvernement autonome qui doit négocier l’indépendance mettant fin à la dynastie traditionnelle des Beys, ces rois tout puissants qui règnent sur le pays depuis plusieurs siècles.
Il accepte que les femmes entrent dans le système politique, rend l’école obligatoire et intègre les écoles coraniques dans le système scolaire public.
Mais, pendant les 30 ans de son règne, il n’accepte pas la contradiction et emprisonne à tour de bras ses opposants les plus irréductibles tout en créant une autre opposition « fantoche » qui ne s’oppose guère car étant aux ordres.
La fin de sa présidence, marquée par sa santé déclinante, la montée du clientélisme et de l’islamisme, se conclut par sa destitution, le 7 novembre 1987, à l’initiative de son Premier ministre Zine el-Abidine Ben Ali.
Installé après sa destitution dans une résidence à Monastir, il meurt le 6 avril 2000 et repose dans le mausolée qu’il s’était fait construire.
Source: Wikipédia