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Coin d’Histoire, Bourama Diémé dit Adjudant Guinarou: Un héros de guerre dont la vie mérite d’être portée sur les écrans Par Mohamed Bachir DIOP

L’adjudant Bourama Diémé est l’un de ces soldats africains qui, par ses exploits et ses faits de guerre, a ajouté à la réputation d’invincibilité des combattants noirs. Ils sont pourtant des millions à avoir perdu la vie lors de la seconde guerre mondiale et pendant les campagnes militaires françaises en Indochine et en Algérie mais, cette réputation d’invincibilité leur colle toujours à la peau à cause des gris-gris qu’ils arboraient fièrement autour de leur ceinture. Mais il ne s’agit que d’une réputation surfaite au vu du nombre important de militaires noirs qui ne sont pas retournés chez eux. Et l’adjudant Bourama Diémé est de ceux-là.

Né en 1919 à Diouloulou, en Casamance, Bourama Diémé s’est engagé dans l’armée le 5 janvier 1939. Ayant eu connaissance des desseins expansionnistes et des théories racistes développées par Adolf Hitler, il était décidé à combattre avec l’armée française pour freiner les ambitions démesurées du Führer allemand. Il est donc incorporé au 16ème Régiment de tirailleurs sénégalais du lieutenant-colonel de Froissard-Broissia stationné à Cahors. Le 3 septembre 1939, après l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes, la France déclare la guerre à l’Allemagne. Commence ce que les historiens ont appelé la «Drôle de guerre». Bourama Diémé est envoyé avec son régiment en Alsace-Lorraine. Il participe à la prise du village allemand de Schweix, puis les troupes descendent prendre leurs quartiers d’hiver sur la Côte d’Azur.

En avril 1940, le 16ème Régiment des tirailleurs sénégalais est renvoyé en Lorraine pour consolider les positions françaises en compagnie du 24ème Régiments des tirailleurs. La bataille faisait rage et les français perdaient du terrain. En mai, les deux régiments sont envoyés dans le sud de la Somme où la bataille a commencé. Et le 28 mai, les français contre-attaquent. Le 16ème RTS où combat Bourama Diémé perd 350 hommes dans cette bataille.

Le 5 juin, il est encerclé dans la petite ville de Villers-Bretonneux. Les tirailleurs tentent une percée à la baïonnette. Certains y parviennent, d’autres pas. Ceux-là sont exécutés. Dans Mémoires de tirailleurs, Bourama Diémé témoigne dans son français de tirailleur : «Les Allemands, il vient là, ils font ein, zwei, drei, vier, allez kaput ! Ils creusent les trous. Ils tuent. Il mettent dedans».

Mais lui a de la chance. Il échappe aux exécutions mais il est fait prisonnier. La France le déclare mort à sa famille. Avec ses codétenus, il est d’abord envoyé à Berlin. Mais par peur de les voir contaminer la «race des élus», l’armée du Reich les transfère dans les Landes en 1941.

En mars 1942, Bourama Diémé s’évade et parvient à rejoindre Dakar trois mois plus tard. Au lieu d’en rester là, il s’engage dans les Forces françaises libres. Il prend part au débarquement en Provence, puis se retrouve affecté en Italie.

Après un autre court séjour à Dakar, il repart à Marseille, d’où il embarque pour l’Indochine en 1949. Quelques mois plus tard, il est blessé par un éclat de mine à l’œil gauche. La blessure est superficielle et lui vaut une réputation de magicien que rien ne peut abattre. En décembre, Bourama Diémé et ses compagnons d’armes sont retranchés dans un bunker, au poste de Bao Chuc, près de Vinh Yen. Les vietminhs attaquent. Au moment où la petite troupe de 50 tirailleurs qui se trouve là risque d’être anéantie, il sort, fusil-mitrailleur à la hanche, et lance en wolof : «Pas de quartier !», en encourageant les autres à chanter. L’ennemi s’enfuit, effrayé.

Pour ce fait d’arme, il est nommé sergent au feu et reçoit la croix de guerre avec palmes du général de Lattre de Tassigny et il est rapatrié au Sénégal. Mais il ne restera pas longtemps au pays. En 1952, il se porte volontaire pour repartir en Indochine. Il y cumule les exploits, aligne les médailles et rencontre sa femme, une Vietnamienne, qui lui donnera dix enfants.

Après la débâcle de Dien Bien Phu en 1954 ressentie comme une h, il quitte l’Indochine pour l’Algérie où il obtient ses galons de sergent-chef et une nouvelle médaille militaire. En 1956, lorsque le président Gamal Abdel Nasser nationalise la compagnie du Canal de Suez, son régiment est envoyé en Egypte pour reprendre le contrôle du canal.

Et en 1960, l’indépendance acquise, il est reversé dans l’armée sénégalaise avec le grade d’adjudant.

Bourama Dieme est réformé en 1964 à l’âge de 45 ans. Au Sénégal, il raconte ses campagnes, suscitant l’admiration de tous. Les griots chantent ses exploits. En 1989, il suit ses enfants pour s’installer à Sarcelles, en région parisienne. D’officier de la Légion d’honneur, il est élevé au grade de commandeur en 1991.

Mais, malgré cette nouvelle distinction, celui que ses camarades surnomment l’adjudant Guinarou vit chichement avec une pension d’environ 250.000 Francs Cfa par mois à cause de la cristallisation de sa pension d’ancien combattant. Cette somme n’est revalorisée qu’en 1993 lorsqu’il obtient, après de longues démarches, la nationalité française. Il s’éteint le 6 juin 1999. Sa femme, à qui l’État français n’a toujours pas octroyé la nationalité française, décède un an plus tard.

Fait exceptionnel, l’adjudant Bourama Diémé est choisi comme parrain par les élèves sous-officiers de la 225ème promotion de l’Ecole nationale des sous-officiers d’active stationnée à Saint-Maixent-l’École. Le baptême de promotion est célébré le 22 décembre 2004. C’est la première fois qu’un sous-officier africain des troupes coloniales est choisi pour parrain.

Il raconte dans une interview toujours avec son français de tirailleur : «Du village, à 20 ans j’étais dans l’armée française. Jusqu’à la fin de la guerre. J’étais prisonnier, évadé, débarquement canal de Suez au temps de Nasser. Je suis été partout. Tout des campagnes de la France. Il n’y a pas endroit où je mettais pas mon pied».

Cité pour une médaille, voici un extrait de ce qu’en disent ses supérieurs :  « A fait preuve d’une très heureuse initiative pour empêcher l’accès de la tour qui venait de s’écrouler en tirant à découvert par la porte de son blockhaus. Magnifique entraîneur d’homme, faisant chanter ses tirailleurs devant l’assaut ennemi, maintenant ainsi un moral admirable à l’intérieur de son poste ».

Voici l’homme que chantent encore les griots mandingues de Casamance. Il vivait à la Sicap Baobabs et, jusqu’à sa mort, tous ses enfants devaient respecter une sorte de règlement militaire dans la maison. Dîner à 18 heures, fermeture de la porte d’entrée à 20 heures et à 22 heures, extinction des feux et tout le monde au lit. Votre serviteur a connu le vieux Pa’ Guinarou car un de ses  fils était un ami très proche.

Le Devoir lui rend donc cet hommage mérité.