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Bolo Mary Sall, itinéraire d’une princesse Jaaraajo de Guédé à Ndaga: Pionnière des femmes émancipées du Fouta elle avait ébloui le Grand Maodo De notre correspondant à Thilogne, Habib KÂ

Vous commencez seulement à prononcer ces quatre syllabes, Bo Lo Ma Ri que s’ouvrent devant vous les plus belles pages de l’histoire glorieuse d’une grande étoile de renommée, native de Thilogne Ndaga, cœur du Bosséa, pilier du Fouta.

Celle du grand érudit El Hadj Thierno Saydou Nourou Tall, du Maodo Mamadou Dia, du dernier chef du canton du Bosséa, Thierno Saydou Kane, de Méye Baïdy Aly, du Dr Moustapha Touré, du richissime homme d’affaires thilognois Douga Sam.

Bolo Mari était femme de très forte personnalité, pleine d’assurance et de cran. Elle était très perspicace, très vive, très réactive en entreprenariat.

Femme de parole, son intégrité n’avait d’égal que sa loyauté, si bien qu’elle avait conquis l’estime et la considération d’illustres personnages qui marqueront le Sénégal pré-indépendance jusqu’aux années 80.

Bolo Mari est née sous une belle étoile avec une cuillère d’argent en sus : le titre de Jaaraajo. Comme la Grande Royale, comme les Linguères du Waalo, elle s’imposera dans un milieu féodal où le patriarcat donnait tous ces atours aux hommes. Elle va finir par bouleverser cette hiérarchie des valeurs avec son aura, son étoile, sa témérité, son flair du commerce, si bien qu’elle allait devenir incontournable, la porte d’entrée obligée dans Salaa. Elle fera plus tard de ce quartier le lieu unique et incontournable de fréquentation de tout le gotha politique, administratif, culturel, par l’entremise de ses représentants, le centre administratif de Thilogne.

Du dispensaire au chef-lieu d’arrondissement, tout cet espace était une propriété du Jaaraajo, et, avant toute donation à l’administration, bien que femme, elle est consultée pour approbation.

Qui est donc cette forte personnalité féminine qui a imposé ses empreintes dans le livre de l’histoire politique et économique de Thilogne, village, célèbre par ses illustres guerriers céddos, sa famille chérifienne, ses érudits coraniques ?

Quand les ancêtres de Bolo Amadou Mamadou Samba Jaaraajo quittaient Guédé pour s’installer à Salaa avec les frères marabouts Sawa et Malick Sy, ils étaient sûrs que c’était une prédilection, une vision qui leur recommandait le lieu. Salaa, Wouro Aly Gandang, de maison, est devenue un quartier qui rayonne dans Thilogne.

L’histoire de Bolo Mari est celle d’une femme libérée, autonome, très entreprenante, qui avait creusé son sillon dans le commerce et l’audace de ses investissements.

Alors qu’il n’y avait du pain qu’à Kaedy, ville voisine dans la Mauritanie où à Matam distante de soixante-cinq kilomètres, elle ouvre un four et fait venir un boulanger depuis le centre. Elle était, dans les années 50, distributrice d’huile, de sucre, de pétrole, de beaucoup de produits alimentaires qu’elle faisait transporter depuis Dakar. Elle avait également le contact d’un Libanais basé à Bambey avec qui elle collaborait.

Elle était riche. Elle avait des troupeaux, des moutons, des chevaux, élevait des variétés de poules, canards, pintades, jusqu’à une biche apprivoisée. Elle avait l’élan et la motivation des mamans Benz du Togo.

Dans un Fouta enclavé, sans structure étatique, sans banque, sans route, percer dans ces conditions relèverait du miracle. Et Bolo était riche, puissante.

Sa rencontre avec le Maodo ?

Avec le président Mamadou Dia, Bolo Mari avait des relations très cordiales, faites d’estime réciproque et pour le Maodo de fascination pour cette femme battante du Fouta qui n’avait rien à envier aux dirigeantes politiques de l’Union progressiste sénégalaise (UPS) du temps de sa splendeur et, à la différence de celles-ci, elle y mettait ses propres ressources sans rien attendre en retour, tellement elle était pétrie de conviction des bonnes intentions du Sénateur Dia.

L’année où le Bloc démocratique sénégalais (BDS) et l’UPS ont fusionné, en tournée dans le Fouta, le président Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor ont honoré Lam Toro Jaaraajo en faisant de l’étape de Thilogne une escale pour passer la nuit dans sa maison familiale.

Thilogne est un gros village satellite qui compte bien dans l’échiquier politique, en plus d’être chef-lieu de canton ou d’arrondissement.

Et c’est sur conseil de son ami, le président Dia, qu’elle construisit une maison qui sera cédée en bail à l’État du Sénégal et servira de bureau et de résidence au premier chef d’arrondissement affecté, Hamidou Racine Kane (Tebgout-Salde), puis suivront : Woppa Segua (Boundou), Bocar Bâ (Matam), Hady Bâ (Kanel), avant que les locaux de l’arrondissement ne soient construits.

De cet argent des loyers, Bolo ne touchera le moindre sou, son ami et marabout El Hadj Saydou Nourou Tall lui conseilla d’aller faire le Hadj avec.

Elle fait partie des premiers pèlerins en 1962/63 à se rendre à La Mecque par avion. Le voyage se faisait par bateau ou à pieds, nous précise Coumba Thiam qu’elle avait pris sous sa protection à l’âge de 8 ans qui gérait une de ses boutiques d’alimentation.

En hommage à Jaaraajo, un fils de celle-ci, franco-sénégalais, a créé une gamme de parfum de luxe pour femme labellisée « Bolo Marie »

Fidèle en amitié, avec la douloureuse mésaventure de 1962, Bolo rendait visite à son ami pour toujours puis faisait un tour chez leur ami commun El Hadj Saydou Nourou Tall, même quand les relations de celui-ci avec Dia s’étaient détériorées.

Bolo Mari était aussi interpellée pour des cas majeurs. Les Thilognois se plaignaient de la rudesse de l’administration de leur chef de canton et de certains de ses écarts ; ils ont sollicité que le prochain administrateur soit natif du Bossea, un des leurs. Samba Ciré Gobé et Samba Maïram Ngoné furent mandatés auprès de Thierno Saydou Kane qui exerçait à l’époque à Linguère. Bolo Mari était la seule femme autorisée à aller l’accueillir. Pour l’anecdote, elle portait à califourchon sur son dos son fils Bayla né en 1944.

Bolo vivait aussi à côté d’un grand frère Jaaraajo, Samba Thiewle, son grand frère, grand cultivateur, grand chasseur, craint de tous pour sa bravoure. Il préférait, les nuits, rester aux champs, les surveiller contre les animaux déprédateurs.

Une nuit, il eut la désagréable surprise de recevoir dans son champ la visite des gens invisibles, des sheytanes, nous rapporte Amadou, son fils né en 1939. De provocation en provocation, samba Thiéwlé tira un coup de son fusil en direction des visiteurs de nuit indésirables. Et leur foule d’entonner “Samba Thiewle, tu as tiré sur une femme enceinte, Samba Thiewle tu as tiré sur une femme enceinte”. Il confia à son fils Amadou que c’était la première fois de sa vie qu’il a senti perdre son sang-froid et il tomba malade.

Et l’on raconte qu’une de ses filles a fait d’abord onze fausses couches avant d’accoucher ; les guérisseurs disaient que c’étaient des représailles des Djins contre sa progéniture féminine parce que le père était trop blindé, inattaquable mystiquement.

Pour la petite histoire, Diabbe Sala Wouro Aly Gandang, c’est le nom dédié à un des patriarches qui n’avait pas de descendant. Il s’en est ouvert à la fratrie jaaraajo. Après consultations, ils l’ont rassuré que son nom sera immortalisé puisque désormais le quartier se nommera Diabbe Sala Ouro Aly Gandang. Diabbe, c’est un tamarinier qui se trouvait à l’ouest de la mosquée que le marabout Sawa Sy avait tracée dès qu’ils se sont installés.

Hadja Bolo Mari Sall est décédée en 1982 et laisse une très nombreuse famille, de fils et petits-fils qui se glorifient de leur ancêtre et les mariages inter-familles aidant, Bolo Mari a fédéré une bonne partie du groupe ceddo de Thilogne.

 

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