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Amadou Bâ : La rançon du silence

Amadou Bâ
Le long silence des sanglots

Ceux qui voulaient en faire leur Jeanne d’Arc pour sauver le Sénégal s’irritent de son refus d’être un agitateur. Mais son long silence inquiète aussi ceux qui vivent de complotite et qui pensent que Amadou Bâ mûrit quelque chose. Tout ceci dérange le principal concerné. 

« Les sanglots longs des violons de l’automne Blessent mon coeur d’une langueur monotone. Tout suffocant et blême, quand sonne l’heure,   Je me souviens des jours anciens et je pleure ;  Tt je m’en vais au vent mauvais qui m’emporte deçà, delà, pareil à la feuille morte ».
Paul Verlaine, Poèmes saturniens, Chanson d’automne (1866).

« Ce qui me dérange, ce sont tous  ceux qui veulent que tout foire et qui pensent pouvoir se servir de moi à cette fin ». Par respect pour la République et ses lois et pour la démocratie, Amadou Bâ a donc décidé de rejoindre son monastère pour vivre dans la réflexion sur ses nouvelles responsabilités politiques.

Son long silence intrigant a fini par inquiéter. Un ancien porte-parole avait vendu la mèche en l’estimant dangereux parce que aussi silencieux et mystérieux que le Sphinx.
Ce silence des grands cimes avait troublé partisans et adversaires, copains et coquins, qui l’accusaient de délit d’ambition présidentialiste, vieille rengaine qui l’avait déjà opposé à Macky Sall à la Toussaint 2020.

Lui s’était emmuré dans le silence, n’étant sans doute pas en campagne électorale permanente. D’autant qu’au fil des élections, la proche en a ressenti le coût. En lançant d’ailleurs son groupe “Nouvelle responsabilité“, il en avait révélé un bout, avançant n’être pas aussi riche que l’on pense, même s’il est loin de se plaindre : son cursus administratif devrait lui permettre de voir venir. 

Cette vieille problématique rejoint le statu-quo ante du leader qui s’occupe de tout et qui laisse les militants et sympathisants parler, en faisant, toutefois jouer l’entraide. Une analyse fine de la nouvelle réalité post-mars 2024 suggère que  Pastef a rompu cette chaîne, avec une détermination militante qui frôle le suicide altruiste, dans ce “don de soi”, ce qui le conforte dans cette attitude du moine reclus que n’agréent malheureusement pas ceux qui le suspectent d’être Crésus devenu oncle Donald ou Harpagon et qui ragent.

Ce silence, Amadou Bâ l’avait imposé à sa cellule de communication et à ceux qui lui prêtaient l’idée d’un exil intérieur par une cellule de consultance internationale qui le mènerait forcément trop souvent hors du pays.

Le silence de Amadou Bâ est celui d’un amour du Sénégal et du respect de la démocratie ; ce qui le dérange et qu’il ne confie pas, ce sont tous ces Cassandre qui prédisent et veulent que tout s’écroule au Sénégal et qui veulent le mettre en avant dans ce combat qu’il refuse de mener. Pour lui, il faut « laisser le gouvernement travailler »,  c’est rester dans le strict respect de la démocratie.

Contre-argument  : le délit d’ambition qui, avec lui, avait emporté Aminata Touré Mimi, Mouhamadou Makhter Cissé et bien d’autres suspectés de lorgner le fauteuil du président. Et c’est peut-être là que réside le problème quand alliés et adversaires fantasment sur une fortune supposée qui pourrait être le point d’appui en espèces sonnantes, trébuchantes et convaincantes dans une éventuelle course vers le palais de la République, même s’il préfère ne pas aborder le sujet.
S’il a été à date assez suspicieux vis-à-vis du pouvoir, Amadou Bâ est resté dans le même tempo le 31 mars dernier : c’est en forgeant qu’on devient forgeron ; il s’agit donc de « laisser le gouvernement travailler», ce qui accentuerait le doute général depuis un an : malheureusement, quand on sort de ses ambiguïtés, c’est toujours à son détriment et certains en sont arrivés à une conclusion que le pouvoir pourrait tirer de lui-même en se rendant compte que les problèmes sont toujours là et qu’il faudrait peut-être les partager avec le maximum de Sénégalais responsables.
Quand on fait remarquer que le ticket Diomaye-Sonko est durablement installé grâce à Medvedev, on suppute sur une rapprochement possible avec le président de la République mais pas avec son binôme, ce qui ajoute encore aux portes ouvertes ouvertes mais non refermées.

Stop ou encore ? La route est sinueuse, surtout de l’autre côté, dans la préparation de l’opinion à d’éventuels déboires de l’ancien Premier ministre. Personne ne lèvera le petit doigt. Il est temps d’alerter le pouvoir d’éviter la pente glissante. La cellule de communication est désastreuse des deux côtés : moins que la solidité des arguments, la redondance des arguties inquiète quand le pouvoir veut coûte que coûte avoir raison aujourd’hui qu’il est aux affaires dans les problématiques auxquelles il a eu quelque intérêt professionnel : les épouvantails agités sont tellement gros que personne, au final, n’y croit ou doute raisonnablement ; sauf que ce doute laisse croire à une vérité décalée plus proche de l’intox que de l’info. Le camp Amadou Bâ tombe souvent dans le piège dans sa problématique d’arrière-garde quand on croit découvrir la boussole en réorientant faussement le débat politique.

Verlaine avait servi de prétexte pour achever Hitler. Ceux du pouvoir avaient le choix des armes de leur combat victorieux, quelque ambigües qu’elles aient pu être. Auchan a fermé des surfaces en France pour venir négocier avec le chef de l’État Bassirou Diomaye Faye et non le Premier ministre les voies du maintien de la présence plus large de la France au Sénégal. C’est un choix et des plus subtils ; Amadou Bâ a aussi le sien, entre ses amis et les autres, copains ou coquins.

Pathé MBODJE