GMT Pile à l'heure

La Ligne du Devoir

Aline Sitoe Diatta, Reine et Prêtresse De Kabrousse: Cent ans déjà…

Un siècle nous sépare, aujourd’hui, de sa naissance en 1920 à Kabrousse, village côtier, situé au Sud de Cap Skirring, en Casamance.

Aline Sitoe Diatta s’est engagée, un jour, pour survivre et assurer une subsistance à sa famille, comme docker au port de Ziguinchor…

Il est rare au Sénégal, en Afrique et dans le monde, qu’une jeune femme embrasse, si tôt, un tel métier…

Nous pouvons, à un siècle de distance, imaginer sa force physique mais surtout sa force mentale qui devait atteindre des niveaux insoupçonnés.

Aline Sitoe DIatta a vécu et grandi à Kabrousse, son village natal, et à Dakar où elle est arrivée pour exercer un métier connu et répandu : le métier de domestique.

‘’ Les mots viennent du littoral’’ : un jour à Dakar – à quelle heure ?- Aline Sitoe Diatta, a entendu une voix et une seule…

Qui parlait ? D’où parlait-il ou d’où parlait-elle ?

Aline Sitoe Diatta a répondu à l’appel et elle a regagné son village natal Kabrousse.

A la mort du Roi, elle a été sacrée Reine et son sacre, un jour, sera aussi raconté.

Elle avait des dons particuliers et ses prédictions se réalisaient : elle était devenue également Prêtresse…

C’était l’alliance, parfaite, de l’autorité spirituelle et du pouvoir temporel pour citer Ananda K. Coomaraswamy qui est né à Colombo au Sri Lanka (Asie)

Sa vie a changé et elle a su opposer, en galvanisant les populations bien au-delà de son village natal, une résistance farouche à la colonisation française, qui a débuté réellement au Sénégal, à St Louis, en 1659, avec l’installation du premier comptoir commercial.

La terre de Kabrousse est devenue ‘’sa’’ terre, sa terre immaculée, la terre à défendre, sa terre nourricière…

La Reine et Prêtresse de Kabrousse, Aline Sitoe Diatta, n’avait ni armes ni armée…

Après avoir donné du fil à retordre au colonisateur français, comme tous les héros de la résistance africaine, elle fut arrêtée le 8 mai 1943 et emprisonnée.

La seconde guerre mondiale (39/45) battait son plein et des soldats sénégalais livraient âprement bataille, sur différents théâtres d’opérations, pour défendre la France…

L’administration coloniale décida, en 1943, d’organiser la déportation à Tombouctou de la Reine de Kabrousse.

Tombouctou, la ville des 333 Saints…

‘’Son voyage’’ vers Tombouctou, le dernier voyage, n’a pas été encore vraiment raconté : les historiens le feront lorsque le moment viendra et ce moment est peut-être venu…

La Reine de Kabrousse s’est éteinte, dans les sables chauds de Tombouctou, le 22 mai 1944…

Curieusement – c’est un signe – la position géographique des deux sites, Kabrousse et Tombouctou, crée une relation à élucider :

Kabrousse : 16° 43’14 ‘’ Ouest

Tombouctou : 16°46’00’’ Nord

Cette relation ‘’géographique’’ et donc terrestre, que nul ne connaissait, est un prétexte ; elle est constatée, un siècle après ‘’la venue au monde’’ de Aline Sitoe Diatta, devenue Reine et Prêtresse de Kabrousse.

Hélène Nioulesse DIATTA, fille unique d’Aline Sitoe DIATTA

Lorsque je suis entré, le 2 mai 2001, dans ‘’Tombouctou la mystérieuse’’, j’ignorais totalement que la Reine de Kabrousse était enterrée dans cette ville : à qui la faute si tant est que cette faute me soit imputable…

A Tombouctou, j’ai pu visiter le puits de Buctu, la femme célèbre, qui vivait à proximité de ce point d’eau et qui constitue le mythe fondateur de la ville fondée à l’aube du 12ème siècle.

J’ai pu visiter les mosquées célèbres de Tombouctou : Sankoré, Sidi Yahia, Djingareyber.

Les années ont passé et je m’autorise à établir une relation forte entre les deux femmes de Tombouctou qui ne se sont pas connues : Aline Sitoe Diatta et Buctu.

La rencontre a eu lieu, par-delà les siècles invisibles ; les mythes gouvernent notre terre ‘’ bleue comme une orange’’ (Paul Eluard)

J’ai parlé de la ‘’voix de Aline Sitoe Diatta’’ : je ne l’ai pas entendue mais j’ai marché dans Tombouctou, près d’elle certainement et, sans imaginer jamais sa présence royale…

L’homme est complexe, le visible chemine avec l’invisible et il arrive – ce choix est d’ordre divin – que la fonction sacerdotale se double d’une fonction royale, autorité spirituelle et pouvoir temporel encore une fois…

Le temps de la rotation, celle qui permettra, de passer de Tombouctou à Kabrousse, géographiquement parlant, est arrivé, cent ans après…

Aline Sitoe Diatta, la Reine et Prêtresse de Kabrousse, ‘’dort à Tombouctou’’ comme le poète Antonio Machado, l’espagnol, ‘’dort à Collioure’’ dans le Sud Est de la France…

‘’ Voyageur, le chemin, ce sont les traces de tes pas, c’est tout.’’ (A. Machado)

L’Emir Abd el Kader, l’Algérien, un autre grand résistant à la pénétration coloniale et auteur de l’ouvrage de référence : ‘’ le livre des haltes’’, a ‘’vu’’ ses cendres transférés de Damas, où il était enterré depuis 1883 à côté de son Maître Ibn Arabi, vers Alger, au cimetière de El Alia où il repose, depuis le mois de juillet 1966.

Le Président Houari Boumediène, président de la République Algérienne démocratique et populaire, et arrivé au pouvoir en 1965, faisait partie de ceux qui portaient, sur leur épaule, le cercueil de l’Emir Abd el Kader, illustre fondateur de l’Algérie moderne.

Je me suis recueilli sur la tombe de l’Emir Abd el Kader en 2015, à ‘’Alger la blanche’’ avec retard, mais j’ai ‘’fait mon acte et mon acte était beau’’…

Je rêve depuis des années – 2005 plus précisément – de pouvoir, enfin, me recueillir sur la tombe de la Reine et Prêtresse de Kabrousse, à Kabrousse même…

Au mois de juillet 2005, au Théâtre Daniel Sorano, à l’occasion de la cérémonie du ‘’Lion d’Or’’, le ‘’hasard’’ m’avait placé à la gauche de la fille unique de la Reine de Kabrousse, Aline Sitoe Diatta, sa fille, Seynabou Gnawless Anne Marie Diatta, décédée à Dakar le 1er mars 2015 et enterrée à Kabrousse.

La paix reviendra à Tombouctou.

La paix, toujours l’œuvre des hommes et des femmes, reviendra au Mali.

Ici commence Kabrousse…

Ici commence le retour de la Reine de Kabrousse, Aline Sitoe Diatta (paix à son âme)…

Jean Michel SECK