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Air Sénégal : I comme Icare

Air Sénégal

I comme Icare

L’absence de « performances » explique que Air Sénégal, tel Icare, se soit brulé les ailes de s’être rapproché imprudemment du soleil ; les tâtonnements observés jusque-là dans les restructurations administratives renvoient à l’éternel Sisyphe ; cela n’est toutefois pas une raison suffisante pour aller chercher une expertise ailleurs qu’au Sénégal doté de généreuses ressources humaines dans le secteur de l’aviation civile.

Les trois aspects du plan de redressement d’Air Sénégal reposent sur le recours à  «l’expertise » étrangère ; il s’agit  «d’améliorer d’abord la performance opérationnelle, ensuite la performance commerciale et enfin la performance financière pour que notre compagnie devienne rentable en fin 2023, au pire des cas en fin 2024 ». Cette position exposée le 5 décembre dernier par le ministre en charge de l’aviation civile survient au troisième échec dans le projet de création d’une compagnie aérienne nationale lancée en 2016.

Le recours à « l’expertise » étrangère dans ces activités est tout à fait singulier car le Sénégal est loin d’être démuni en techniciens aéronautiques expérimentés et capables de mener à bien un tel projet.
Voulons-nous vivre continuellement le supplice de Sisyphe à ce sujet ?
Certes, Air Sénégal connait plusieurs problèmes : pertes de bagages, retards dans les vols et des déprogrammations. Les changements de dirigeants ne semblent donner pour le moment aucun résultat. Sisyphe ou Icare ?

Problématique de la création

d’une compagnie aérienne

nationale viable

Apparemment, la solution pour la mise en place des structures d’exploitation des services de transport aérien et des activités connexes n’est pas encore trouvée.
Aller recourir à « l’expertise » étrangère dans ces activités est tout à fait singulier car le Sénégal est loin d’être démuni en techniciens aéronautiques expérimentés et capables de mener à bien un tel projet.
Nous en sommes au troisième échec dans le projet de création d’une compagnie aérienne nationale.
Voulons-nous vivre continuellement le supplice de Sisyphe à ce sujet ?
Il me semble opportun de faire quelques rappels en essayant de nous souvenir* des étapes par lesquelles notre pays est passé pour arriver à la situation actuelle bien éloignée des objectifs qui étaient visés.
Autant que je me rappelle, les services de transport aérien domestique, dans les années soixante-dix, étaient assurés par la Compagnie sénégalaise de Transport aérien (Costa) créée par un pilote français, M. Étienne Costa. Les avions exploités étaient des Doves des machines de Havilland 104.
Dans la vague des nationalisations des années soixante-dix, la compagnie est passée dans le secteur public et son premier directeur a été M. Fernand Brigau.
La compagnie, dont le capital était détenu majoritairement par l’État, prit le nom de Sonatra Air Sénégal (Société nationale de Transport aérien).
M. Brigau qui avait rejoint la compagnie Air Afrique fut remplacé par l’ingénieur de l’aviation civile Moussa Diouf.
Grâce à la coopération canadienne, la compagnie a pu acquérir deux avions Twin Otter DHC6 d’une capacité de 20 places. La flotte comptait aussi un Fokker F27. Tous ces avions étaient motorisés avec des turbopropulseurs ; il y’avait aussi un Douglas DC3, avion équipé avec deux moteurs à pistons en étoiles qui fut retiré pour des raisons d’image. Deux avions Hawker Sidley HS 748 de 50 places furent introduits dans la flotte et le Fokker 27 retiré au début des années quatre-vingts. Lors de la haute saison, de novembre à avril, la compagnie faisait appel à l’armée de l’Air pour répondre à la demande de transport entre Dakar et les sites touristiques, notamment le Cap Skirring.
Le réseau de la compagnie comprenait deux sortes de lignes : celles commerciales (Casamance et capitales des pays frontaliers au Sénégal et Praia) et deux lignes du Fleuve et du Sénégal oriental dites de services publics, lesquelles étaient subventionnées.
Ces limitations étaient dues au Traité de Yaoundé qui avait attribué à Air Afrique les droits de trafic internationaux du Sénégal.
Rappelons aussi que la compagnie Air Afrique était rentrée dans le capital de la Sonatra Air Sénégal.
Le Sénégal, avec les programmes d’ajustement structurel, a dû arrêter la subvention des lignes de services publics. Et compte tenu de leur caractère structurellement déficitaire, les services sur celles-ci cessèrent.
La compagnie connut par la suite des difficultés qui s’aggravaient d’année en année et bientôt était techniquement en faillite.
Il s’y ajoute de malheureux accidents qui ont dégradé l’image de la compagnie.
Devant ces difficultés, le Sénégal avait sollicité certains de ses partenaires traditionnels pour son redressement. Malheureusement, ces démarches ne connurent pas de succès.
C’est alors que la Banque mondiale exigea sa privatisation suivant les procédures préconisées par cette Institution.
Les appels à la privatisation furent infructueux**.
Les discussions avec les experts de cette Institution ne furent pas faciles parce que jalonnées d’incompréhensions, surtout lorsque la compagnie avait perdu la moitié de sa flotte suite aux accidents de Tambacounda et Yoff.
La Banque avait exigé la réduction de la moitié des effectifs qui étaient au nombre de 128.
Il a fallu expliquer que dans une petite compagnie comme celle-ci, en réduisant le personnel, elle peut ne plus être opérationnelle étant donné qu’à certains postes, il faut un nombre minimum de titulaires. À défaut, les opérations peuvent être bloquées à cause de l’absence d’une seule personne.
Par ailleurs, le problème de la compagnie était financier et non d’odre technique et si certaines compétences techniques étaient perdues, la privatisation serait vouée à l’échec.
Suite aux appels à la privatisation infructueux, avec l’approche préconisée par la Banque, j’avais suggéré que le Directeur général reprenne le dossier de la privatisation et le soumette aux attachés commerciaux des ambassades dont les pays disposent de compagnies aériennes susceptibles d’être un partenaire stratégique pour la relance du transporteur national.
Cette nouvelle démarche connut un remarquable succès.
Plusieurs propositions ont été reçues et en définitive, c’est celle de la Royal Air Maroc qui a abouti.
Ce projet fut une grande réussite et les effectifs de 128 agents étaient montés jusqu’à plus de 500.
Tout celà a été fait sans une contribution financière de l’État.
Ce rappel serait incomplet si nous n’évoquons pas une très bonne proposition que le plus grand exploitant d’avions Dash (de Havilland Canada), M. Deluce,avait faite : cet entrepreneur avait en exploitation une flotte de 400 avions en Amérique du Nord et une vingtaine en Afrique australe où nous l’avions rencontré.
Après une mission d’évaluation de la SONATRA par son expert, il avait décidé de s’engager pour sa reprise en y mettant tout ce qui était requis à ce sujet.
Malheureusement, des objections furent soulevées par certains pour dire qu’il n’y avait pas eu d’appels d’offres. Informé, M. Deluce se retira immédiatement en disant qu’il n’avait pas de temps à perdre.
Je ne peux passer sous silence la contribution M. Abdoulaye Ndiaye, lequel, avec des moyens limités, avait remarquablement redressé la compagnie en réalisant des résultats d’exploitation très positifs.
Lorsque ceux-ci furent exposés à l’expert de la Banque mondiale, Mme Bigitta Mitchell, dubitative, elle avait dit : « Je veux croire au miracle mais il me faut le voir ».
Je suis alors intervenu pour lui dire qu’il était très difficile pour quelqu’un d’honnête de travailler comme le fait M. Ndiaye et je l’ai invitée à consulter attentivement le dossier qui lui a été remis.
Lors de la rencontre qui a suivi, elle m’a dit : «  M. Ndiaye est un travailleur serieux et a obtenu de très bons résultats et nous allons l’aider ».
C’est ainsi que la Banque accorda à la SONATRA une subvention de deux cents millions pour l’achat de matériels de servitudes et d’équipements informatiques.
L’utilisation de ces fonds s’était faite avec rigueur et transparence au profit exclusif de la compagnie.
Rappelons que M. Abdoulaye Ndiaye a été pendant longtemps le Directeur général adjoint de la compagnie Air Afrique. Sa probité et sa rigueur ne lui ont pas valu que de la sympathie.
Le projet avec la RAM alla de succès en succès jusqu’au moment où des divergences apparurent entre l’État et la compagnie marocaine, lesquelles conduisirent à l’arrêt des activités d’Air Sénégal International avec, malheureusement, des pertes considérables.
N’ayant pas été acteur direct dans les projets suivants dans ce domaine, nous ne pouvons qu’être circonspects à leur sujet. Néanmoins, il peut être observé qu’au début des activités d’une nouvelle compagnie aérienne, il faut éviter les engagements lourds et à long terme, notamment en matière de flotte et un réseau trop étendu.
Dans tout ce processus, notre ultime objectif était de développer une coopération entre le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Mali, les trois pays représentaient 75% du trafic passagers d’Air Afrique, pour mettre sur pied une compagnie économiquement viable. Bien entendu, il faudrait aussi la possibilité d’accueillir d’autres pays qui accepteraient une gestion rigoureuse et saine de cette compagnie aérienne.

Compte tenu de tout ce qui précède, nous pensons que les cadres de l’aéronautique sénégalais n’ont pas a nourrir de complexes vis-à-vis de personnes étrangères, notamment ceux parmi eux qui, parfois, ont tenu des propos désobligeants ou de mépris à leur égard.

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Nda

* Ce texte fait appel aux souvenirs qui peut-être ne sont plus aussi précis qu’on l’aurait voulu.

** Signalons par ailleurs que notre vigilance avait permis d’eviter au moins deux pièges financiers qui étaient tendus à l’Etat lesquels étaient apparemment très intéressants sur le plan aéronautique.
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Ababacar Sadikhe DIAGNE

Ancien élève des classes préparatoires aux Grandes écoles.
Ingénieur de l’Aviation civile diplômé de l’Ecole nationale de l’Aviation civile (ENAC), Toulouse, France

et du Massachusetts Institute of Technology (MIT) Cambridge USA.