Abrogation de la Loi d’amnistie : Cachez ce sein
Abrogation de la loi d’amnistie
Aucun précédent
C’est le souhait d’une majorité
de Sénégalais d’abroger la loi d’amnistie de mars dernier qui prient que les victimes quittent l’Erèbe pour enfin le Paradis ; si aucun précédent n’existe, les souffrances physiques et morales encore ressenties nécessitent une lumière nouvelle. A quel prix ?
Les parents des victimes des violences couvertes par la loi d’amnistie de mars dernier ne parviennent toujours pas à faire le deuil de leurs disparus et invoquent l’abrogation de la loi. Certaines interprétations des violences de 2021 à 2024 estiment que les faits incriminés ne sauraient être amnistiés ; d’autres se reposent sur l’absence de jurisprudence. Précédent dangereux ?
L’absence de précédent n’apaise pas le différend au sein des communautés partageant pourtant le même paradigme ; là où le professeur Meïssa Diakhaté conclut en constant “que l’expérience d’abrogation d’une loi d’amnistie reste, jusque-là, introuvable dans la tradition juridique sénégalaise“, El Hadj Saër Sarr appelle au contraire à rejeter la loi d’amnistie adoptée le 06 mars portant sur les faits liés aux manifestations politiques ayant secoué le pays entre février 2021 et février 2024. Son argumentaire repose cependant sur une pathologie, les lois internationales, qui ne devraient pas prendre le dessus sur la souveraineté nationale, le normal, le vécu ayant ou devant avoir la primauté sur une aliénation partielle avec l’adhésion à des souhaits capitalisés à l’international. Surtout si, au dehors, on semble ne s’intéresser qu’ç des citoyens perçus comme étant de seconde zone.
Les lois internationales évoquées en la circonstance par El Hadji Saër Sarr, juriste et spécialiste en Droits de l’Homme, peuvent être considérées comme spécieuses et pathologiques, discriminatoires : elles imposent au Soudanais, à l’ivoirien et au Mauritanien ce qu’elles refusent à l’Israëlien ; les pauvres Allemands jugés à Nuremberg sont des Nègres blancs qui ont subi la justice du vainqueur dans un grand moment d’émotion d’un monde juif qui se perpétue au détriment du Palestinien. Il en est de même aujourd’hui au Sénégal. Le lien est en effet cet impossible deuil dans lequel se retrouvent une forte partie des populations sénégalaises et les familles des victimes qui ont eu l’impression que les gens se sont entendus sur leur dos ; au demeurant, les violences rapportées par les rescapés des émeutes du Sénégal entre 2021 et 2024 font craindre des cruautés qu’aucun voile ne saurait couvrir, surtout si celui du pouvoir veut divertir en revenant sur le primat du culturel sur le religieux ou le politique, domaines du rêve.
“… L’article 29 du statut de Rome du 17 juillet 1998 de la Cour pénale internationale(CPI) dont le Sénégal est signataire consacre l’imprescriptibilité de certaines infractions comme en cas de torture ou d’actes inhumains causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique et psychique inspirés par des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste. Dans la même logique plusieurs instruments relatifs aux droits de l’homme qui reflètent des obligations juridiques qui existent déjà en vertu du droit international affirment que les États ne peuvent amnistier des violations flagrantes des droits de l’homme, qui incluent la torture et les meurtres… La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples s’inscrit dans cette même dynamique en affirmant qu’une loi d’amnistie prise dans le but de rendre caduques les poursuites relatives à une violation des droits de l’homme bien qu’ayant des effets sur le territoire national de l’Etat concerné ne peut soustraire ce pays de ses obligations internationales découlant de la Charte. Partant de là nous sommes contre cette loi d’amnistie qui a pour objectif principal d’accorder l’impunité aux auteurs d’homicides, d’actes de tortures et de mauvais traitements contre des manifestants et des simples citoyens”. C’est tranché net.
Malheureusement, les exemples avancés souvent par Sarr et les juristes et droitsdelhommistes internationalistes semblent s’appliquer à des citoyens de seconde zone d’Etats pratiquement non intégrés dans les considérations généralement admises plus au nord et devant avoir valeur universelle. Ainsi des faits avancés en Argentine pour les militaires auteurs d’exactions sous le régime de la dictature, de 1976 à 1983, de la compétence universelle au nom de laquelle la justice française a pu connaître de faits malgré l’existence d’une loi d’amnistie comme dans Ély Ould Dah, un ancien gradé de l’Armée mauritanienne soupçonné d’acte de tortures et de barbaries sur des citoyens mauritaniens de 1990-1991 ; la position de la Cour de Cassation française est sans détours lorsqu’elle assène péremptoirement que la loi mauritanienne du 14 juin 1993 portant amnistie ne saurait recevoir application sous peine de priver de toute portée le principe de la compétence universelle ; (…) Qu’en effet, l’exercice par une juridiction française de la compétence universelle emporte la compétence de la loi française, même en présence d’une loi étrangère portant amnistie ». La même générosité avait été demandée pour le Soudanais el Bachir quand Joe Biden juge “scandaleux” le mandat d’arrêt requis contre Benjamin Netanyahu par le procureur de la CPI en mai dernier ; on a l’impression de revenir aux années 70 avec l’Opération Condor validée par les Etats-Unis au Chili, en Argentine, en Bolivie, au Brésil, au Paraguay et en Uruguay, d’assassinats et de lutte anti-guerilla dans ce qui était alors l’arrière-cour des Yankees. Tel Aviv joue aujourd’hui le même rôle de parapluie américain contre les puissances émergentes du Yémen, de l’Iran, de l’Arabie saoudite, du Liban et d’Oman ; déjà en 1981, la France et la communauté internationale s’étaient tues devant le bombardement de la centrale nucléaire d’Osirak, en Irak.
Sarr note quand même une timide tentative de l’Afrique de réaffirmer sa souveraineté, comme dans l’affaire Sidi Amar Ibrahima et autres contre la République du Niger quand une « demande » tendant à ordonner à l’Etat précité « de rechercher, poursuivre et juger les auteurs, coauteurs et complices des faits ayant entraîné la mort des requérants » avait été émise. Pour sa part, l’Etat du Niger a tenté d’opposer à cette demande « la loi d’amnistie » résultant de l’ordonnance 2009-19 du 23 décembre 2009. En réponse, la Cour de Justice rejette la demande au motif que « les faits de l’espèce, bien que constituant des violations graves des droits fondamentaux attachés à la personne humaine, sont loin d’être massifs et ne remplissent donc pas par conséquent les critères retenus en la matière par la doctrine et la jurisprudence internationales ; aussi la Cour convient-elle de dire que la loi d’amnistie invoquée par l’Etat du Niger a vocation à s’appliquer aux faits de l’espèce et, conséquemment, opte pour le rejet de la demande des Requérants tendant à ordonner à l’Etat du Niger de rechercher, poursuivre et faire juger les auteurs, coauteurs et complices, des faits au cours desquels Sidi Amar et Ousmane Sidi Ali ont trouvé la mort le 9 décembre 2007 dans la Région d’Agadez ».
C’est cependant ce sentiment d’équité et de justice, au sens d’équilibre et du respect de droits, même particuliers, qui anime certains auxiliaires du Droit, certains du champ politique (Aminata Touré) et tous ceux qui ne parviennent pas encore à faire leur deuil des faits couverts par la loi d’amnistie. Le particulier pourrait-il prendre le dessus sur le général, le pathologique du sociologue sur le normal ?
Nonobstant, 1.500 individus ne sauraient souffrir du seul harcèlement politique pour avoir arboré un bracelet ou pour avoir crié : “Sonko !” ; faire périr par le feu et le sang pour crier son mal-vivre n’explique pas une extradition depuis les États-Unis quand le présumé coupable trouve des moyens assez conséquents pour voler vers le Nicaragua.
Pathé MBODJE
Orientation bibliographique
La loi d’amnistie : un capharnaüm juridique. Par El Hadji Saër Sarr
par Mar 8, 2024 | Contributions
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