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1955 : Le cinéma sénégalais entre en Seine

Le cinéma sénégalais de 1955 à nos jours

 

Rétrospective sur le legs

des anciens

Paulin Vieyra

Considéré comme l’un des plus anciens et des plus dynamiques d’Afrique, le cinéma sénégalais est incontournable par la qualité de ses créateurs et la valeur de ses films. Ce cinéma est pionnier et précurseur en Afrique sub-saharienne, c’est un habitué des festivals nationaux et des récompenses internationales. 

Par Moussa NDIAYE Manou,

auteur-réalisateur

Le début du cinéma sénégalais remonte avant l’indépendance avec “Afrique-sur-Seine” de Paulin Soumanou Vieyra. Tourné en France et sorti en 1955, ce film marque le début du cinéma sénégalais car il a été réalisé notamment par un Sénégalais, avec un fil conducteur tournant autour de jeunes africains vivant à Paris.

Une scène de Borom Sarett
La Noire

L’œuvre ouvre alors la voie pour une future génération de cinéastes brillants. Ainsi, Paulin Soumanou Vieyra voit sa carrière décoller et il devient le précurseur du cinéma sénégalais. Mais quelques années plus tard, en 1963, peu de temps après les indépendances, Sembene Ousmane lui emboîte le pas et sort “Borom Sarett”.  L’un des premiers exemples d’un cinéma militant dénonçant la société africaine, ce court-métrage met en scène une journée de mésaventure d’un charretier ordinaire dans les rues de Dakar. C’est plus tard, en 1966, que Sembene sort son premier long-métrage “La Noire de…” qui est aussi le premier long-métrage de l’Afrique noire. Ainsi, avec ce film qui a été salué à sa sortie par le public (Prix Jean Vigo), Sembene devient le père du cinéma de l’Afrique subsaharienne. Il se place sur le terrain de la critique sociale et politique, avec l’histoire d’une jeune Sénégalaise qui quitte son pays et sa famille pour venir en France travailler chez un couple qui l’humiliera et la traitera en esclave, la poussant jusqu’au suicide. 

Safi Faye
Samb Makharam

Après que les précurseurs comme Vieyra et Sembene ont ouvert la voie, le cinéma sénégalais rentre alors dans son âge d’or avec l’événement de vague de réalisateurs. 
Entre-temps, de 1970 jusqu’aux années 80, de nombreux courts métrages de fiction et documentaires vont voir le jour au lendemain des indépendances. 
Des réalisateurs comme Ababacar Samb Makharam, motivé par la puissance du cinéma qu’il prend comme arme, s’engage pour une cinéma qui s’interroge sur les valeurs africaines. Cette période a vu l’entrée en action des femmes comme Safi Faye, première réalisatrice africaine, qui réalise en 1972 “La passante” et “Kaddu Beykat”  en 1975.
Le cinéma devient une arme de contestation pour les premiers cinéastes sénégalais

Djibril Diop Mambety

Mais c’est avec le réalisateur Djibril Diop Mambety que le cinéma sénégalais sera radicalement en rupture avec les formes narratives de son époque. Son premier long-métrage “Touki Bouki”  sorti en 1973, raconte avec insolence le désir d’un jeune couple pour une Europe à la fois réelle et fantasmée dans le contexte d’une société sénégalaise partagée entre les limites de l’indépendance, les inégalités sociales et les ambivalences des traditions et de la modernité. Ainsi, le réalisateur Mambety devient la figure de proue d’un contre courant et de la nouvelle vague sénégalaise et africaine en générale. Il braque sa caméra et sur un cinéma totalement libre et artistique dans sa démarche.
Il dira à cet effet : 《Il faut choisir entre la recherche et le constat : pour moi le cinéaste doit aller beaucoup plus loin que le constat. Je crois par ailleurs que c’est à nous tout particulièrement de réinventer le cinéma. Ce sera difficile car notre public est habitué à une certaine forme de langage.》
D’autres cinéastes comme Ben Diogoye, vont suivre la voie des tendances et influences tandis que d’autres comme Samba Félix Ndiaye et Ousmane William vont s’illustrer dans le cinéma documentaire. 

Mais à partir des années 80, la fermeture des salles de cinéma arrive comme un coup de poing qui met le cinéma sénégalais à genoux.

Le cinéma sénégalais continue de se concrétiser avec l’émergence de réalisateurs et l’abondance des productions de films tels que “Tableau Ferraille” (1996) de Moussa Sène Absa, “TGV” (1998) de Moussa Touré et “Mossane” (1996) de Safi Faye.

Alain Gomis

La production sénégalaise reprend son cours et connaît une effervescence remarquable sur le plan national et international avec la sortie des long-métrages “Karmen Gei” (2001) de Joseph Gaï Ramaka, “Le prix du pardon”  (2002) de Mansour Sora Wade et “Madame Brouette”  de Moussa Sène Absa. 
Cette même veine de réalisateurs porteurs du legs des anciens a continué de tenir le flambeau du cinéma sénégalais durant toutes les années 2000. 
Ainsi, la transmission et la relève sont assurées par deux jeunes réalisateurs qui s’illustrent à travers les festivals internationaux. Ce qui a valu au cinéma sénégalais deux étalons d’or de Yennenga, avec “Tey”  (2013) et “Félicité”  (2017) d’Alain Gomis. Sans oublier le grand prix du jury du festival de Cannes pour “Atlantique”  (2019) de Mati Diop.

Pour conclure, nous pouvons retenir que le Sénégalais est  l’un des plus anciens et des plus en vue d’Afrique, les films issus de cette industrie étant régulièrement récompensés au sein de festivals africains et internationaux, notamment européens. Le premier film sénégalais date de 1955, le Sénégal n’a donc pas attendu la décolonisation pour créer des films et c’est particulièrement entre les années 1960 et 1980 que le cinéma sénégalais va se donner l’image d’un cinéma riche. Et cette richesse constitue le legs laissé par les anciens aux jeunes cinéastes qui s’émancipent et émergent de toutes parts au Sénégal.