GMT Pile à l'heure

La Ligne du Devoir

« TAAJABONE » de Fatima Bathily (Sénégal, 21’30): Entre solitude et culpabilité Chérifa Sadany Ibou-Daba SOW

Il est très astucieux de passer par l’émigration clandestine pour mettre la lumière sur le deuil post-traumatique.

Saly est une jeune mère qui culpabilise pour la mort de son époux péri en mer – une rupture inattendue qui enfante plein d’interrogations chez elle. Malgré le soutien mystique et moral de sa mère, elle n’arrive pas à se refaire une nouvelle vie, jusqu’au jour de la fête de ‘’Tamxarit’’ qui marque le Nouvel an musulman, d’où le titre « Taajabone ».

Produit dans le cadre de la troisième édition d’Up courts métrages organisée par CINEKAP (structure de production indépendante basée à Dakar), ce drame intime multiplie les connotations africaines : le xalam, le moulin, le tam-tam, le couscous, etc.

« Jusqu’à ce que la mort nous sépare » : accepter ce pacte veut-il dire faire le deuil de son amour quand l’aimé est mort ?

En misant sur la psychologie du personnage, la réalisatrice, dans un style pudique et épuré, arrive à nous faire réaliser l’importance d’accepter une brutale et fatale rupture amoureuse. Pour cela, Fatima Bathily aide le spectateur à s’interroger sur l’état émotionnel et psychologique d’une personne qui perd son partenaire amoureux. Peut-on aimer à nouveau ? Peut-on vraiment refaire une vie auprès d’un autre après avoir perdu le premier amour ? Saly va-t-elle continuer à briser le verre inutilement ou bien va-t-elle enfin pouvoir tourner la page ?

Pour elle en effet, ce qui est le plus dur n’est pas de perdre l’être le plus cher mais de se sentir responsable de sa mort. Partagée entre solitude et culpabilité, le visage de Saly, performance de l’actrice, témoigne sans trop en faire de l’intensité de son chagrin. Elle n’est pas la seule d’ailleurs. Les acteurs dans ce court métrage ne sont pas dans l’excès. Ils expriment bien l’harmonie familiale, la solidarité fraternelle et le rôle de l’oncle sur l’orphelin.

Le traumatisme illustré dans la séquence où Saly marche hâtivement dans la rue à la recherche de la maison d’une femme qu’elle pense perdue en pirogue rappelle une séquence de « Sagar » de Pape Abdoulaye Seck dans laquelle Amina, l’épouse « traumatisée » par ses fausses couches, cherchait son bébé imaginaire dans un dépôt à ordure.

C’est dans ce type d’émotions que « Taajabone » est un film attachant. L’émotion est à son comble lors du générique de fin avec les paroles de la chanson à succès interprétée par la chanteuse sénégalaise Dieyla : elles nous enseignent la beauté de l’amour et l’éphémérité de la vie dont il faut profiter (avec les personnes que nous aimons) pour avoir de beaux souvenirs, parce qu’au bout du compte ce n’est pas nous qui choisissons lesquels on garde.