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Présidentielle : Le « fou » du Roi

Présidentielle 2024.

Ave, César, les « survivants désignés » vous saluent

Autant Bassirou Diomaye Faye est un coup fourré du Pastef pour briser le spectre du candidat « casaçais-sécessionniste », une sorte de confiance à reprendre auprès du peuple, autant Amadou Bâ est celui qui permet à Macky Sall de brouiller les pistes du projet libéral.

Entre un gouvernement dépassé, un dialogue ou « dealogue », une guerre de pouvoir et au milieu un échiquier, quel « fou » pour déplacer le roi ?
Professeur Mamadou Baudelaire Sow,  critique littéraire, et Samba Mbalo  « artiviste » exposent leurs opinions dans cet entretien dirigé par

Chérifa Sadany Ibou-Daba SOW,

Cheffe du Desk Culture

Quatre ans après avoir perdu au jeu d’échec, la rumeur court qu’Ousmane Sonko pourrait bénéficier d’une amnistie coïncidant avec l’entrée en scène de Karim Wade qui modifie les règles. Ce qui par conséquent rend ambiguë la position de Amadou Bâ et Diomaye Faye. Comment envisagez-vous le sort de ces doublures ou « survivants désignés » ?

Mamadou Baudelaire Sow :
Concernant le maintien des idéaux par substitution des hommes, c’est effectivement un jeu d’échecs. Un jeu d’échecs est composé de rois, de dames, de tours, de fous, de cavaliers et de pions. L’image est naturellement illustrative de la situation politique. Le sort maintenant de ces têtes de file désignées (que je préfère à survivant) est, rétrospectivement, la conséquence du poids de son désignant. Peut-être ajoutée à l’ingéniosité dont ils pourront faire preuve pour s’affirmer en tant que numéro un et se départir d’une image de doublure.
Le salut du Sénégal ? Dans l’éducation et l’instruction, organisées et méthodiques, dans tous les domaines, à chaque échelle.

Samba Mbalo :
A mon avis, Bassirou, Amadou et Karim ne sont pas tous des héritiers parce que Macky lui-même en est un. De qui veulent-ils hériter ? Abdoulaye Wade ?
Wade, dans l’histoire politique, n’a qu’un seul héritier et c’est Idrissa Seck, jadis patron de Macky Sall, et le mieux placé pour assurer une transition politique avec une vision libérale assumée et un vécu certifié. Autant Bassirou est un coup fourré du Pastef pour briser le spectre du candidat « casaçais-sécessionniste », une sorte de confiance à reprendre auprès du peuple, autant Amadou Bâ est celui qui permet à Macky de brouiller les pistes du projet libéral. Karim se place donc comme un élément perturbateur sans conviction qu’on dit préparer pour 2029.
C’est assez irréaliste mais le Sénégal est devenu une poudrière politique à la sauce intellectuelle déconnectée du peuple. Le deuxième de la dernière présidentielle élu en 2024 ne serait pas une surprise, puisqu’il redevient sage.

Comment percevez-vous, Messieurs, la situation politique du Sénégal depuis le report des élections, avec tous les non-dits et les soupçons qui entourent la constitution?

Mamadou Baudelaire Sow : Certainement avec le même sentiment de malaise de tous les Sénégalais. Il y a, depuis quelques années, un cheminement ambigu de la politique sénégalaise qui marche en crescendo et, malheureusement, le peuple se voit à la fois victime et dommage collatéral. Mais le problème majeur est peut-être dans le fait que ni le gouvernant, ni l’aspirant gouvernant, ni le gouverné, -du fait du structuration socio-culturelle encore quelque peu inadéquate à cela, ne peut entièrement mesurer, sinon en théorie, cette notion de démocratie que l’on brandit partout et pour tout. Et je pense qu’ici convoquer Montesquieu serait plus illustratif que convoquer Rousseau. Dans « L’esprit des lois » , nous pouvons lire : « C’est la modération qui gouverne les horaires et non pas les excès ». Et plus loin : « L’esprit de modération doit être celui du législateur ; le bien politique, comme le bien moral, se trouve toujours entre deux limites ».
Quant aux non-dits, je suis d’accord qu’ils font partie intégrante de la structuration de tout discours. Mais soyons aussi d’accord que dans une situation de malaise et d’angoisse telle que la nôtre, la clarté d’expression est plus une nécessité qu’un simple ornement du langage. Jean-Luc Chalumeau, à juste titre disait ceci : « Une société, même la plus polymorphe, ne peut se passer d’un discours capable de l’aider à penser sa propre incohérence ». L’espace socio-politique sénégalais, au stade actuel des événements, est à un point culminant d’incohérence. Pour les suspicions, j’attends, comme tout le monde, à être édifié.

Samba Mbalo : Le Sénégal à mon avis se trouve dans une situation inédite, comme l’illustre bien le proverbe entre le marteau et l’enclume. Une situation dans laquelle la Constitution est devenue un instrument de raison sur le peuple. Car, à l’origine, la Constitution est censée rendre un équilibre et une distance raisonnable entre les pouvoirs ; aujourd’hui, cette dernière déchire le pays : comment peut-on comprendre qu’en 2016, le régime de Macky Sall nous ait demandé de voter oui au référendum pour 7 ans après nous dire qu’il y a un dysfonctionnement qui nous emmène à un report ? Le Sénégal est maintenant pris entre le marteau de la politique et l’enclume du pouvoir. On aurait jamais dû changer la Constitution en 2016, comme l’Assemblée nationale n’aurait jamais dû voter ce report.

Quelle est votre opinion sur la manière sournoise dont les opposants du Sénégal se positionnent ?

Samba Mbalo :
Les opposants ont cessé d’en être quand ils ont décidé d’aller à des élections sans projets de société. A vrai dire, je ne considère pas cette classe politique opposée à Benno comme de l’opposition. Ils sont opposés à l’homme Macky Sall mais n’ont jamais été opposés à son projet de société et ça c’est bizarre comme démarche politique. Les élections pour eux, c’est une fin en soi, alors ils sont juste prêts à être embarqués dans une spirale de violence pour accéder au pouvoir.

Mamadou Baudelaire Sow :
Malheureusement, la ruse a toujours fait partie des stratégies politiques. Malheureusement aussi, la chandelle justifie les turpitudes du jeu, de même que la fin pour les moyens. Mais le comble devient accablant dès lors que les conséquences directes de ces ruses se ressentent sur le Sénégalais lambda dans son quotidien immédiat. Et bien-là, la ruse devient évidemment sournoiserie; et celle-ci est toujours malveillante.

 

De votre point de vue, qui serait le plus compétent entre Karim, Amadou et Diomaye pour battre ce jeu d’échecs auquel Macky Sall semble les inviter ?

Samba Mbalo :
Aucun des trois ! Seul Idrissa Seck est plus à l’aise avec les pions de l’échiquier.

Mamadou Baudelaire Sow :
Permettez-moi d’être bref : aucun protagoniste ne peut sortir gagnant et indemne de troubles continus. Que l’essentiel reste le Sénégal.

Le rapport intellectuel dans la politique semble vous fasciner, Monsieur Sow.

Tout à fait ! Vous savez, dans l’histoire des idées, il y a trois grands mouvements, trois grandes périodes qui m’ont principalement marqué : la Renaissance, les Lumières, le Surréalisme. Leur point commun est la libération totale de l’homme par l’acquisition des pleins potentiels cognitifs et cérébraux. Voici, à mon sens, le rôle de l’intellectuel ici et à tout point de vue : produire et susciter l’intellection pour amener à un humanisme intégral dont le soubassement axiologique est ce que St Augustin appelait la Trinité humaine : Être, exister pleinement dans toute la mesure de son humanisme. Savoir, réunir l’ensemble des conditions analytiques et intuitives qui, à travers les connaissances, mènent au savoir et donc à l’épiphanie. Vouloir, la volonté, force mouvante qui à son apogée, réduit l’impossible à un fait ordinaire.