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Opinion : Le Sénégal entre deux feux

Le Sénégal entre deux feux

« Nous aimons malheureusement

voir les rois chuter devant nos yeux »

Par Amadou Diop,

Analyste politique,

professeur en Communication politique.

Tel que l’histoire nous a pu le montrer bien des fois, quand une partie du peuple se radicalise et offre un niet catégorique à son dirigeant, peu importe son dévouement, sa motivation et son désir de faire montre d’un patriotisme sans faille, cette partie du peuple ignorera tout bonnement ses intentions. Devant les conséquences désastreuses de l’usure du pouvoir, l’homme, se convainquant de l’idée selon laquelle seul un nouveau visage permettra à la Nation de sortir la tête hors de l’eau, ne verra que cette option et refusera obstinément toute autre idée qui s’en écarterait.
En effet, nous aimons les rois pour un temps mais pas tout le temps. L’histoire nous a montré que même quand Yekini, l’ancien champion, détenait encore son statut d’invincibilité, il avait commencé à faire grincer quelques dents qui par la suite ont fini d’avoir raison de lui. Nous aimons malheureusement voir les rois chuter devant nos yeux. Bien des rois ont subi le même sort sous le sceau d’une idée certaine de révolution. Serait-ce pour rendre ces derniers plus humains et ainsi leur faire goûter un tant soit peu à nos échecs les plus enfouis ? Ne serait-ce pas parce que l’on voudrait vaille que vaille les voir dans un état de faiblesse, ce qui nous rendrait moins seuls devant les nôtres ? Nombreux seront parmi ces derniers qui considèreront que la fin justifiera les moyens, ils feront le choix de fermer les yeux sur tous les bienfaits pour ne se concentrer qu’à titre exclusif sur les méfaits du roi.
D’un autre côté, malgré l’influence grandissante de l’autre partie de la population, il y en aura qui eux défendront la légitimité du roi. Serait-ce sincère ou simplement un bon moyen de garder ses privilèges au côté dudit roi ? Nombreux seront ceux qui préféreront le silence dans cet autre camp, les calculs commencent à trotter dans les têtes au point de se faire entendre par le roi lui-même. Mais la fougue du roi peut leur faire peur, de telle sorte que leurs positions ne se dévoileront qu’une fois que le ciel aura montré plus de clarté. D’autres, plus attachés à une conviction profonde, ne voudront eux que parler d’un bilan positif de leur dirigeant, fermant également les yeux sur tout ce qui aurait comme rôle d’entacher celui-ci.
Pendant que d’un côté comme de l’autre, il existe un radicalisme à géométrie variable à défendre son camp, le reste du peuple observe, analyse, s’indigne en silence, tantôt rassuré ou déçu par un camp ou par l’autre. Et pourtant, en tentant de comprendre un peu plus la situation, et au regard même des statistiques de représentation du peuple, les partis politiques réunis ne dépassent pas deux pour cent de la population. Ils ne sont pas majoritaires, ils sont loin de l’être, ils ne sont grossis que par l’existence des médias qui en font leur gagne-pain car, de ce côté-là également, chacun choisit son camp en fonction des intérêts qui les lient.
L’on serait tenté de nous dire que ces deux pour cent de la population nous pompent l’air tout en oubliant notre responsabilité première, celle de choisir celui à qui nous confierons notre pays. Une grande responsabilité. Au lieu de cela, cette troisième voix représentée par ce peuple qui écoute, qui regarde, qui scrute sans jamais rien dire est conscient du fait que choisir, c’est éliminer ; mais la grande question à se poser serait de savoir si ce peuple a déjà fait son choix entre un souffle nouveau avec un autre roi et un nouveau souffle incarné par celui qui est déjà roi. Peu importe l’issue de ce dilemme, ayons toujours en tête que, dans l’histoire politique de notre pays, nous n’élisons pas à proprement parler mais que nous aimons voir les rois déchus, déçus par leurs défauts qu’ils ont fini d’étaler tout au long de leur règne. Nous voulons au début les voir comme des sauveurs mais à la fin, nous nous rendons compte qu’ils ne sont pas si différents de nous, c’est-à-dire imparfaits. Et l’imperfection n’est jamais pardonnée quand le peuple peine à joindre les deux bouts.
Mais est-il possible d’échapper à ce jugement quand l’homme aime l’idéal du parfait et qu’il se heurte à la fin à la dure réalité de la vie, un peu comme l’idée que l’on peut se faire d’une idole et que, après l’avoir côtoyée, on arrive en fin de compte par la démystifier et nous rendre compte qu’elle n’est pas si différente de nous. Nous n’aimons pas les rois, nous aimons l’idée que l’on peut se faire du roi. Tant qu’il ne portera pas son costume, il ne sera point critiqué mais dès l’instant où il le fera, il sera déchu et nous serons déçus.