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Muhammad Boun Abdallah Dionne : Une vie en chemin de croix

Boun Abdallah

Fin de transition

Toujours prêté à sa juste valeur, mais jamais rendu au juste prix, Mouhammad Boun Abdallah Dionne est un homme de transition, une longue parenthèse qui ne se referme pas sans quelque douleur.
Son décès hier à Paris où il était évacué ne referme pas une douloureuse parenthèse pour un homme d’une vie consacrée à porter sa croix, entre un Christ trahi et Sisyphe remontant la pente et que Camus essaye  d’imaginer heureux dans “L’homme révolté”.
Curieux sort, cruel sort, mauvais sort. “Boun n’était pas dans ça”.

Le porteur d’eau du président Macky Sall a quitté la Primature. Mouhammad Boun Abdallah Dionne avait été reconduit le 6 avril 2019 à son poste, le temps de liquider le poste de Premier ministre dans l’architecture démocratique sénégalaise : Macky Sall estime qu’il est frein à son désir de regarder les Sénégalais les yeux dans les yeux, pour leur conter fleurettes. En termes de délicatesse, on aurait pu trouver mieux.

D’autant qu’on a voulu sauter le verrou du Premier ministre pour en justifier a posteriori l’inutilité et se débarrasser ainsi de l’homme : en acceptant de discuter directement avec certains ministres à l’insu du premier d’entre eux, le président de la République a créé un climat de collaboration délicat entre Boun Abdallah Dionne et certains.

Scientifique jusqu’au bout des ongles, le Premier ministre a voulu donner toute la logique à l’heuristique en permettant à l’auteur d’une procédure de venir défendre son œuvre.

Car du 6 juillet 2014 au 4 mai 2019, Mouhammad Boun Abdallah Dionne aura été encore une fois une parenthèse, longue transition comme toujours dans son compagnonnage avec le président Macky Sall. Le directeur de cabinet du Premier ministre Macky Sall de 2005 à 2007 sera un court instant celui du président Macky Sall à l’Assemblé nationale, entre 2007 et 2008…avant une éclipse non racontée qui ressemble à un exil en Algérie où il est représentant de l’Organisation des Nations-Unions pour le Développement industriel (Onudi). Certains membres du bureau de l’Assemblée nationale de l’époque sont encore très remontés contre le Dc : “Il est parti sans dire au revoir”.

Le désormais ex-Premier ministre, qui aura marqué le poste par sa longévité, trouve un pis-aller : un arrêté aurait pu suffire pour le placer à côté de son mentor qu’il a connu pratiquement sur les bancs de l’Université, tous deux étant sortis du Conservatoire national des Arts et Métiers, Macky Sall directement, l’Institut d’Informatique d’entreprise qui a couronné Boun Abdallah Dionne étant alors rattaché au Cnam ; ils se retrouvent ensemble au sein de la cellule des cadres d’un certain Parti démocratique sénégalais. Le protocole d’Etat exigera un décret pour nommer un Pm ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République. Là, il jouera exactement même rôle, sans en avoir le titre.

Le ressort était déjà brisé en 2018. Mouhammad Boun Abdallah Dionne ne veut pas trop s’épancher sur ses relations avec le président de la République au lendemain de son départ pour l’Afrique du Nord ; en se penchant toutefois sur le vide autour du chef de l’Etat (Madame Senghor, assistante depuis Pétrosen, «Madame Barry », renchérit l’autre), un ange passe. Un fait demeure : Mouhammad Boun Abdallah Dionne est un homme de transition, toujours en service, toujours en détachement ; d’Ibm (1983) vers la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) d’abord, en 1986, d’où, à partir de 1997, il sera prêté au gouvernement du Sénégal.

Rappelé en urgence pour porter sa candidature à la Présidentielle, il sera encore une fis laissé au bord de la route : sa performance selon les critères de choix du candidat de la majorité le désignaient comme porte-étendard ; on en préférera un autre, le contraignant à une candidature pour son propre honneur.

Il aurait souhaité rester à dîner :

“Muhammad, qu’aimerais-tu à dîner ?

-“Rester en vie”.

Curieux sort, cruel sort, mauvais sort pour celui qui portait sa vie comme le Christ portait sa croix, le lendemain d’une haute trahison.