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Edition : Que révèle le livre de Sadany Sow ?

Présentation du livre “La mâchoire carrée” paru

aux éditions “Nuit et Jour”

Que révèle le livre ?

Par Dialika Haïlé SANE

Avec “La mâchoire carrée”, Sadany Chérifa Sow signe un ouvrage qui s’apparente, au premier abord, au genre littéraire de la romance ou du roman sentimental mais qui, en réalité, est une satire de la société sénégalaise et du mariage en particulier…Le mariage, une institution de plus en plus fragile et fragilisée.

Dès le début du roman, Sadany nous immerge directement dans une situation, une soirée précisément, où on assiste à un cas de violence psychologique dans le couple que forment Nestor et Katie, nos protagonistes : Katie fait tomber le portable de Nestor, et ça le rend fou !
Le décor est posé.
On comprend tout de suite que leur histoire ne va pas de soi : Nestor est quasi-tyrannique, nerveux, froid et pervers. Il contrôle les moindres faits et geste de sa femme.
Tandis que Katie, sous son emprise, se montre maladroite, vulnérable, déstabilisée…

Les hommes comme Nestor savent flairer leur proie. Il l’épouse à peine un mois après leur première rencontre…
Il affirme aimer sa femme Katie, mais la tendresse ne dure jamais.
La caresse laisse place à la gifle, si ce n’est le contraire.
Il la flatte pour mieux la mépriser la seconde d’après.
Katie est comme un instrument ou un trophée avec qui il se pavane et dont il se sert vulgairement pour amadouer ses partenaires financiers et gagner des contrats.

Comme beaucoup de femmes qui se résignent et accepte de “mougn“, d’endurer toute situation, Katie déclare : “J’ai donc pris la décision de subir pour mon fils, pour ma mère, pour mon père. Mais Dieu sait que je suis détruite de l’intérieur” : elle vit entre humiliation, coups et blessures, et chantage au quotidien.

Le lecteur étouffe en suivant Katie dans son couple comme un spectateur impuissant ou un voisin qui sait, mais ne dit rien.

Si on sort du fond, pour aborder la forme, ce qui est frappant dans ce roman, c’est que la voix narrative, à savoir « qui raconte le récit », a une dimension plurielle ; techniquement, on parlerait de polyphonie narrative.
On a donc dans ce roman une fragmentation du récit avec plusieurs voix narratives qui se relaient. Ce choix de l’auteure permet de créer des effets recherchés au fur et à mesure que l’histoire avance. Et surtout, cela permet de mieux rentrer dans la psychologie des personnages.

Le récit commence avec un narrateur à la 3ème personne, extérieur à l’histoire, le fameux narrateur omniscient qui sait tout, voit tout, commente et juge, parfois par le biais de réflexions sarcastiques. Ce narrateur prend presque parti puisqu’il est plus empathique avec Katie et moins tolérant avec Nestor.

Alors qu’on s’y habitue, le narrateur délègue sa voix aux personnages principaux : on a, au détour d’une page, un récit à la 1ère personne avec Katie qui raconte des bribes de son passé, les événements et ses émotions. Nestor prend ensuite le relais et raconte à sa façon sa vision des choses. Et plus loin, un nouveau protagoniste et narrateur du nom de Rachid fait son entrée. Il est présenté comme le sauveur de Katie! Que veut-il ? Pourquoi convoite-t-il une femme mariée ? Sera-t-il son amant ?

Ce qu’il y a à révéler sans divulguer l’intrigue, c’est que Rachid est à l’opposé de Nestor: il est doux, modéré et protecteur et…marié ! Tandis que Nestor et Katie paraissent plus comme un couple archaïque, Rachid (le challenger) se révèle plus aimant avec sa femme. Sa femme qui se revendique d’ailleurs féministe mais jusqu’à quel point ?

Donc du duo, on passe au trio, puis au quatuor…dans ce chassé-croisé amoureux, savoureux et rempli de rebondissements et de tension dramatique.

Le livre est bâti comme un film avec 18 chapitres qui s’apparentent à des scènes, mais des scènes de vie intime où le lecteur s’immisce, épie, écoute, approuve, désapprouve.

De sa plume habile et agréable, fluide et incisive, cash et déchainée, Sadany Sow dépeint sans concession la lutte quotidienne des couples dans une société entre tradition et modernité, les troubles psychologiques banalisés, la culture de l’acceptation de la souffrance particulièrement chez la femme et celle de la déchirure entre l’accomplissement professionnel tant recherché qui demande des sacrifices et le fait d’être une bonne mère et une bonne épouse qui demande aussi des sacrifices.

Pour conclure, avec “La mâchoire carrée”, Sadany nous secoue et nous pousse à nous interroger sur nos valeurs morales et sur le mariage dans cette société.

Ce roman satirique est un régal écrit par une jeune femme sensible et sensée qui sait observer le monde et en a capturer en 184 pages une histoire qui touche.