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Danse : Engagement en monde trouble

Culture de la danse contemporaine

Adèle, la bien-aimée !

L’imaginaire mène le monde

Danseuse originaire de France, Adèle de Boisgrollier est diplômée de l’École de Danse contemporaine de Montréal. Elle partage ses activités entre la France et le Sénégal.
Elle a notamment dansé pour Cyril Dion et monte ses propres projets en collaboration avec Kepp’art Culture. Elle est portée par la conviction que l’art crée les imaginaires et que l’imagination façonne les mondes.

Entretien dirigé par

Chérifa Sadany Ibou-Daba SOW,
Cheffe du Desk Culture

Pouvez-vous nous parler de votre projet ?

Le projet est une seconde édition qui fait suite à une édition pilote réalisée en février 2023. Il s’agissait alors d’une semaine d’atelier de danse contemporaine dispensé par mes soins au Centre culturel Maurice Guèye de Rufisque auprès de 15 danseurs. À l’issue de l’atelier, j’ai constitué un groupe de 6 danseurs pour aller faire une restitution au festival de Kabadio.
Face au succès de l’initiative, tous les acteurs ont exprimé l’envie de la reconduire l’année suivante. J’ai donc pris l’année pour développer un projet professionnel. Les danseurs se sont constitués en association sous le nom de Kepp’art culture.

Il faut donc avouer que vous avez réussi votre intégration. Pouvez-vous revenir sur le bilan ?

Effectivement ! Cette année, nous avons donc fait 2 semaines de résidence de création pour nous concentrer sur un travail chorégraphique qui a abouti à la création “Buujhuman”.
Nous avons réalisé une semaine en Casamance du 03 au 11 février pendant laquelle nous avons présenté la pièce à 3 occasions :
– Festival de Kabadio,
– Festival de Kartong (Gambie),
– Carnaval de Kafountine.
Nous avons également réalisé des actions de médiations culturelles. Nous sommes allés proposer des ateliers de danses urbaines dans 5 écoles primaires de brousse et avons organisé des temps d’échanges avec une dizaine de danseurs de Abéné.
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La pièce chorégraphique est résolument engagée puisqu’elle remet en question l’omniprésence des déchets dans nos vies et propose une réflexion sur nos modes de consommation.
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Quel est l’objectif de ce projet culturel et en quoi la pièce chorégraphique est-elle intéressante ?

L’idée était de promouvoir un échange culturel entre Rufisque et la Casamance, et d’y proposer des danses urbaines et contemporaines peu représenter là-bas.
La pièce chorégraphique est résolument engagée puisqu’elle remet en question l’omniprésence des déchets dans nos vies et propose une réflexion sur nos modes de consommation. Cependant, nous allons continuer à diffuser la pièce dans la région de Dakar pour les prochains mois (MCU, Centre culturel Maurice Guèye, la Case du conteur…) et pensons faire une nouvelle résidence pour approfondir le travail chorégraphique.
L’échange avec la Casamance sera reconduit pour 2025.

Comment avez-vous découvert le Sénégal ?

J’ai découvert le Sénégal en 2021 par un stage à l’école des Sables. Tombée amoureuse du pays, j’y suis restée et j’ai progressivement pris racine.
J’ai notamment passé 6 mois en Casamance, du côté de Abéné, où j’ai intégré une troupe de danse guinéenne et fait les festivals de la région avec eux deux années de suite.
En France, j’engage mon art dans une démarche artiviste et j’ai notamment dansé pour Cyril Dion.

Continuer à danser dans un monde en trouble est un engagement en soi.
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Une question d’actualité : la situation politique du Sénégal ne vous freine-t-elle pas dans votre démarche ?

Merci pour cette très bonne question. Ma première idée était de faire une pièce sur les manifestations car c’est un sujet qui m’interpelle, et quand j’y pensais vers le mois de mai, cela touchait autant la France que le Sénégal. Je suis revenue sur cette idée après considération du contexte actuel. Mais concrètement, nous n’avons rencontré aucun frein à nos activités du fait du contexte.
Autrement, “the show must go on”, continuer à danser dans un monde en trouble est un engagement en soi. L’idée qui me porte dans tout mon travail est que l’art nourrit les imaginaires et que c’est de l’imagination qu’émerge nos sociétés. L’art est un levier politique.

Quelle est votre perception de l’évolution de la danse contemporaine au Sénégal, mais surtout de la culture dans sa globalité ?

La danse contemporaine au Sénégal est en plein essor, notamment avec l’école des Sables en tête de file.
La danse contemporaine en général est une forme floue dont la définition va varier selon l’artiste. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment les danseurs d’ici peuvent se l’approprier et en façonner leur propre définition. Naturellement, la diffusion de la culture contemporaine reste très centralisée à Dakar, d’où mon projet en Casamance.
Malgré le fait que je sois moi-même étrangère, ma priorité reste de faire bénéficier ce projet au territoire sénégalais. Beaucoup d’artistes préfèrent encore quitter le pays par manque d’opportunités.

Ce projet est façonné d’échanges culturels puisqu’il y a celui entre les danseurs et moi et celui entre nous et notre public casamançais. L’échange entre les interprètes et moi est globalement fluide puisque la danse qui nous rassemble est un langage fondamentalement universel.
Bien sûr il y a des petits ajustements, et certaines évidences ne le sont pas forcément. Le plus grand défi se trouve dans notre échange en Casamance. Y proposer de la danse contemporaine est une aventure formidable et ne laisse personne indifférent. On reçoit des réactions très fortes et globalement positives.