GMT Pile à l'heure

La Ligne du Devoir

Algérie : Boumerdes en plaque

Boumerdès : ‘’Sénégal Midi” 1974-1979

Sur la plaque, aucun
nom ne manquera

Sur la plaque qui sera posée un jour à Boumerdès, celles et ceux qui passeront pourront lire : “Sénégal Midi’’… (1974-1979).Et tous les noms seront gravés, en lettres dorées : aucun nom ne manquera…

Le Bâtiment central de l’INHC de Boumerdès où était installé en 1962, le GPRA. Nos salles de cours et toutes les Chaires de l’INHC se trouvaient dans ce Bâtiment central. Tout à fait au bout du Bâtiment central se trouvait le mythique espace «Sénégal-Midi ». Les étudiants sénégalais de l’INHC se retrouvaient tous les jours après le déjeuner à la cantine au lieu-dit «Sénégal-Midi» De grandes discussions et de grands débats étaient organisés à «  Sénégal-Midi »…

La grande fresque réalisée par un artiste de l’ex-URSS qui a su représenter, à merveille, l’Algérie et les richesses de son sous-sol (pétrole et gaz entre autres).

Bâtiment central de l’INHC

“Sénégal Midi’’… est un espace à baptiser à Boumerdès, ville située à l’Est d’Alger la Blanche.
Boumerdès, ex-Rocher noir, est une ville adossée à la mer, contrairement à Alger la Blanche, capitale de l’Algérie, une ville construite en amphithéâtre qui descend vers la mer, comme le soleil quand il vient finir sa course de lumière…
Alger la Blanche et les hauteurs d’Alger…
Boumerdès, rocher noir posé dans la mer Méditerranée, comme l’autre rocher posé dans la mer à Toubab Dialaw, le “rocher de El Hadj Omar’’…
Tous les rochers ont une histoire “géologique’’, même le rocher de Gibraltar et les “colonnes d’Hercule’’…
“Sénégal Midi” a été, de 1974 à 1979, pour les étudiants sénégalais de l’Institut national des Hydrocarbures (InH) et de l’Institut algérien du Pétrole (IaP), mais également, de temps à autre, pour certains étudiants fidèles de l’Institut national des Industries légères (InIl), un espace riche de réflexion et d’échanges, plongé dans un autre espace historique, celui du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GpRa, 1962).
“Sénégal Midi” a été, de 1974 à 1979, le “rendez-vous de la science’’, celle qui “coulait’’ des amphithéâtres proches et qui venait vérifier “ses thèses’’ toutes fraîches au soleil de midi… Les neurones étaient en marche. Aucun étudiant sénégalais de Boumerdès ne sait dire comment l’histoire de “Sénégal Midi” a commencé…
Un jour, ils ont décidé ensemble, après le restaurant, de venir occuper cet espace qui est devenu au fil des semaines, des mois, des années, “Sénégal Midi’’… Je crois, et la confirmation viendra bientôt, que nous “cherchions le soleil’’ du Sahel…
Cet espace très connu de tous les autres étudiants des deux instituts, INH et IAP, aura marqué ceux qui venaient là se poser après les “cours du matin’’…
Les enseignements du pétrole et de ses origines commençaient…La “liaison carbone-hydrogène’’ n’était plus un mystère…
Derrière nous, comme une “ombre tutélaire’’ qui veillait sur les futurs ingénieurs, il y avait la fameuse “pompe à tête de cheval’’, de couleur rouge, des puits de pétrole dont la pression de la “couche productrice’’ avait baissé et qui permettait de faire remonter le pétrole à la surface…
Hydraulique souterraine, hydraulique générale…
Ceux qui venaient à “Sénégal Midi’’…ont gardé tous les beaux souvenirs de cette belle époque.
Ils venaient “construire l’Afrique’’, cette Afrique qu’ils croisaient tous les jours, sur l’esplanade de l’INH, cette esplanade qui reçut au mois de mai 1975 les présidents Kim Il Sung (Corée du Nord) et Houari Boumediene (Algérie).
Passaient tout près de “Sénégal Midi’’…les étudiants de l’Angola, les étudiants du Bénin, les étudiants du Cameroun, les étudiants du Gabon, les étudiants du Mali, les étudiants de la Guinée, les étudiants du Niger, les étudiants du Congo, les étudiants du Tchad, les étudiants du Burundi, les étudiants de la Mauritanie…
L’Afrique était là, elle se construisait sous nos yeux et les liens étaient tissés, des liens d’amitié, de fraternité, comme une toile d’araignée géante…
Cette “Afrique-là’’, comme l’avait écrit Jean Ikellé-Matiba, journaliste camerounais à Bonn au cours des années 70, avançait à Boumerdès aussi…
Et tous ces amphithéâtres, à proximité de “Sénégal Midi’’…qui reçurent, entre autres, le Pr Alfred Sauvy, démographe réputé et respecté à travers le monde, le “père’’ de l’expression “Tiers-Monde’’ que d’autres, sans malice, appelaient “le troisième monde’’… Mais également le journaliste talentueux, Paul Balta, à l’époque correspondant du journal “Le Monde’’ à Alger.
Vint à nous, je n’ai pas retenu son nom, le directeur du célèbre Institut des Relations internationales de Moscou (URSS).
Vinrent à nous un représentant des pays de l’OPEP, organisation puissante créée à Bagdad (Irak) au mois de septembre 1960… et tant d’autres intellectuels de renom, qui vinrent de tous les horizons…
À quelques centaines de mètres de notre espace, juste après le “Bâtiment central’’ historique qui avait abrité les membres du gouvernement provisoire algérien, en 1962, il y avait la “Salle des Actes’’ qui reçut un soir le grand poète algérien Djamal Amrani que nous écoutions sur la chaîne de radio “Alger chaîne 3”. Une belle radio qui nous a accompagnés. Il avait lu de sa belle voix les poèmes qu’il avait écrits ; il était ce soir-là sur la scène installée dans la “Salle des Actes’’ tout de noir vêtu…
Le poète et écrivain Djamal Amrani a publié son premier ouvrage en 1960, aux “Editions de Minuit’’ et cet ouvrage était intitulé ; “Le Témoin’’… Djamal Amrani était le beau-frère de Ali Boumendjel, héros et martyr de la guerre d’indépendance de l’Algérie. Il avait produit sur nous, jeunes élèves-ingénieurs, une grande impression.
Nous avions également assisté à une représentation musicale du célèbre groupe musical de l’Angola, le groupe Kissanguella… Un des étudiants angolais de l’INH les avait rejoints sur scène.. Il était guitariste et chanteur…Il est devenu ingénieur…

Souvenirs, souvenirs…

“Sénégal Midi’’… nous a permis de jeter sur le monde qui venait un “autre regard’’ car nous discutions également les thèses du Pr Samir Amin, l’auteur de “L’accumulation à l’échelle mondiale’’ mais aussi les thèses du célèbre théoricien de l’économie marxiste, Ernest Mandel.
“Sénégal Midi’’…a été pour tous les étudiants sénégalais de 1974 à 1979 leur deuxième “institut du savoir’’…
Avec le recul qui sied, il est plus facile aujourd’hui de comprendre comment nos jeunes “esprits’’ ont été façonnés dans ce moule.
Il y a eu véritablement “sédimentation’’ en matière d’acquisition des connaissances même si le fondateur de l’Armée rouge a écrit dans “Littérature et révolution’’ (1924) que “la culture s’accroît plus par mutation que par sédimentation…’
Au moment où j’écris ces lignes, me reviennent en mémoire les visages disparus aujourd’hui de ceux qui furent avec nous à “Sénégal Midi’’…de 1974 à 1979… Si un jour, ce jour-là viendra, nous parvenons à convaincre les autorités de l’espace historique de Boumerdès, nous ferons graver une plaque avec tous les noms de ceux qui “furent assis avec nous’’ à “Sénégal Midi”…
Ceux qui liront ces lignes bientôt et qui étaient avec nous à Boumerdès pourront revivre, par la pensée, les “heures sublimes de “Sénégal Midi’’… …
Sur la plaque qui sera posée un jour à Boumerdès, celles et ceux qui passeront pourront lire :

“Senégal Midi’’… (1974-1979).

Et tous les noms seront gravés, en lettres dorées : aucun nom ne manquera…

Vovo Bombyx
7/12/2023