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Abasse Ndione : Hôpital, Silence !

Décès de l’écrivain-technicien de santé Abasse Ndione

Une plume acerbe nous manquera pour toujours

Abasse méritait amplement de porter cette canne et le manteau rouge,  contrairement à certains qui n’ont ni l’envergure, ni la prestance, encore moins le mérite de s’en saisir. En lui apparaissaient les titres de ndèy jireew, ndèy jambuur, jaraaf, lamann, saltigé, grand seriñ.

(1946-2024), 78 années de vie sur terre qu’Abasse aura vécu pleinement en rendant d’énormes services à sa Communauté mais surtout pour parler plus généralement à l’humanité toute entière, particulièrement à la communauté littéraire.

Du lycée jusqu’à l’université, ses œuvres figurent en bonne place dans les programmes. Ses œuvres littéraires collaient parfaitement à nos propres réalités. On n’avait besoin d’aucun nom de code pour y accéder tellement simplicité et rigueur caractérisaient ses romans. Abass écrivait comme il est. Sa sobriété dans tous ses actes fascinait toujours.

La vie en spirale

«Laay Gooté pénétra en coup de vent dans la chambre.
– On a giflé Dappassa, s’écria-t-il. C’est fini les gars, je cesse de fumer. On ne termina même pas le thé. On prit place dans la Simca pour aller à Ximbé. Le chanvre indien et la façon d’en trouver fut l’unique sujet de notre conversation durant le trajet. Le spectre des jours sombres se profilait à l’horizon. La dernière source était tarie et la pénurie de chanvre indien était pire que celle de l’eau.»

Ramata est un roman policier d’Abass Ndione, paru en octobre 2000 aux Éditions Gallimard dans la collection La Noire. Son intrigue se déroule au Sénégal, patrie de son auteur. Il a été adapté au cinéma sous le même titre par Léandre-Alain Baker en 2009.

Mëke mi

À l’assaut des vagues de l’Atlantique.

Une triste nouvelle vient s’abattre sur la collectivité léboue et sur toute la communauté littéraire d’ici et d’ailleurs.

Un citoyen du monde vient de rendre l’âme.
Sa lébouité en bandoulière enfouie au fond de sa gibecière qu’il préservait jalousement comme un trophée de guerre. Il s’en servait comme un glaive dont il ne se séparait jamais par peur que cette lébouité-là à laquelle il tenait beaucoup ne fût point altérée ni même contaminée par les agressions des vents du Sud, du Nord du Centre et de l’Est.

Abasse Ndione était un personnage emblématique que rien ni personne ne pouvait métamorphoser tellement sa dose de lébouité consommée était profondément imbibée dans tout son corps. Malgré ses nombreuses pérégrinations à l’intérieur comme à l’extérieur du pays et loin de ses bases affectives, les terres de sa chère presqu’île du Cap-Vert dont celle bargnoise qu’il chérissait tant. Celles-ci auront finalement obtenu gain de cause sur toutes les autres : natif de Bargny, il rendit l’âme à Keur Ndiaye Lô pour retourner dans sa terre natale pour y être enterré. Les terres de ses ancêtres sont si fières d’avoir vu naître, puis grandir et enfin mourir un fils d’une telle envergure.
C’est après un long séjour en Casamance où il exerçait sa profession d’infirmier qu’il prendra la décision de rentrer au bercail. Bargny sa ville natale qu’il aimait immodérément.
J’ai découvert pour la première fois cet homme en 1972 ; c’était à l’occasion d’une assemblée générale pour notre association sportive et culturelle (Asc-Saint-Étienne) qui réunissait plusieurs quartiers. C’est suite à cette rencontre que l’idée de débaptisation du club avait été soulevée. L’année d’après en 1973, cette décision est entrée en vigueur. L’Asc Pancùur venait d’être portée sur les fonts baptismaux grâce à la perspicacité, l’efficacité et le dynamisme d’une génération de jeunes, dont nous, enfants que nous étions, voudrions leur ressembler. C’était inimaginable de leur manquer de respect tellement à nos yeux ils étaient des références vu les nombreuses qualités qu’ils incarnaient.
Son sens du partage et son attachement viscéral à sa culture léboue sont des qualités inhérentes qu’il aura acquises dès sa tendre enfance. Bercé par les brises de l’océan Atlantique, les versets de Coran perceptibles depuis le foyer ardent du grand patriarche soufi Mame Thierno Yoro Ndiaye et enfin la fraicheur de l’air provenant des vastes champs de manguiers, de mil, de sorgho et de maïs entre Finkoon, Gundukuy, Canda,  sous les regards médusés des gardiens du temple amsondëng, mattulé, sepp ràglu.

Abasse Ndione était l’homme dans toute sa plénitude qui incarnait cette parfaite illustration : ” Le fagot de bois qui s’éternise dans un marigot ne se transformera jamais en crocodile “. Dans n’importe quelle situation où il se trouvait, rien ni personne ne parvenait à le déconnecter de son royaume d’enfance Bargny et de sa presqu’île du Cap-Vert. Abasse méritait amplement de porter cette canne et le manteau rouge,  contrairement à certains qui n’ont ni l’envergure, ni la prestance, encore moins le mérite de s’en saisir. En lui apparaissaient les titres de ndèy jireew, ndèy jambuur, jaraaf, lamann, saltigé, grand seriñ.
Je le dis parce qu’il aura beaucoup œuvré à l’éveil des consciences somnolentes autour de nombreux sujets tabous qu’il abordait toujours frontalement sans mettre de gants. Homme véridique et jovial d’une générosité légendaire. Une belle plume vient de se briser mais ses œuvres si précieuses chemineront longtemps encore avec des générations et des générations jusqu’à l’extinction du soleil. Abasse n’aura pas vécu inutilement car sa vie durant ses efforts inlassables sur le plan intellectuel et littéraire auront toujours servi à plusieurs générations d’élèves et d’étudiants d’ici et d’ailleurs.

Jaraboot cher frère Abass et encore merci pour tout ce que tu auras apporté à ta communauté. Ta vie sur terre aura été pleinement accomplie. Paix à ton âme. Repose en paix mon frère! ALLAHOUMMA IGHFIRLAHÔ WAR-HAMHÔ. Que nos prières t’accompagnent et t’éloignent des affres de la tombe afin que tu ne sois point éprouvé par Nakkir et Mounkir!

Ndiapaly GUÈYE