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Prestigieux, Lamine Coura Guèye !

10 Juin 1968 – 10 Juin 2023

Il y a 55 ans disparaissait Maître Lamine Guèye,

premier président de l’Assemblée nationale

 L’émotion était si grande et la consternation si forte ce jour au Sénégal, que s’estompèrent rapidement à l’annonce de sa mort les violentes manifestations de Mai et Juin 68

Lamine Coura Guèye, comme l’appelaient si affectueusement les gens de sa génération, a vécu de 1891 à 1968.
Brillant avocat et homme d’État sénégalais, Lamine Guèye a été sans conteste un des plus prestigieux dirigeants politiques du Sénégal et de l’Afrique Occidentale Française.
Intelligent et grand intellectuel, homme politique d’une grande intégrité, Lamine Guèye appartient à cette race de d’homme d’Etat dont le Sénégal et l’Afrique se glorifient d’avoir mis à la face du monde.
Dans son action politique, il a attaqué les aspects autocratiques et discriminatoires de la domination coloniale, mais jamais la domination coloniale elle-même.
Il a été de 1960 à 1968 (à sa mort), le premier président de l’Assemblée Nationale du Sénégal.
C’est parce que Maître Lamine Guèye n’a pas eu la chance d’être président de la République du Sénégal qu’il n’est pas très bien connu de la jeunesse actuelle.
C’est pourquoi, il est nécessaire d’évoquer sa vie et son œuvre afin de lui rendre l’hommage et la reconnaissance qu’il mérite amplement.
En effet, il ne faut pas oublier qu’il fait partie des premiers universitaires que compte notre pays. Il a fait ses études universitaires bien avant Léopold Sédar Senghor.
Il est le premier africain à obtenir le Doctorat d’Etat en Droit en 1921.

Mais qui est Lamine Guèye?
Lamine Guèye est né le 20 Septembre 1891 à Médine au Soudan français (actuel Mali), d’un père commerçant, Birahim Guèye, et de Coura Waly Cissé.
Il est issu d’une famille sénégalaise originaire de Saint-Louis, ce qui fait de lui, une des figures historiques de cette ville.
Il est envoyé très jeune à Saint-Louis. En 1897, dès l’âge de 6 ans, il fréquente l’école de Amadou Ndiaye Sarr, imam de Saint-Louis située dans le quartier Sud, à la rue Neuville.
C’est là qu’il apprend les versets du Coran, un peu de littérature et de théologie musulmanes.
Toute sa vie, il restera fidèle à la confrérie tidjane.
Son éducation islamique a pu se faire aussi grâce au concours de certains Mauritaniens qui étaient en relation avec sa famille et qui lui servaient de répétiteurs, en dehors des heures de classe, pendant les vacances.
Lamine Guèye rappelle ses apparitions chez El Hadj Malick Sy, au premier étage de l’immeuble qu’il occupait, rue André Lebon, près de la Grande mosquée de Saint-Louis.
Il écrit : « C’est dans le but d’améliorer mes modestes connaissances en arabe que je suivais, aux côtés de Babacar Sy, son fils et premier khalife, Amadou Lamine Cissé Diakha et Khalil Kamara, ses savants commentaires sur le Saint Coran ».
En 1903, il entre en maternelle. Il obtient le Certificat d’Etudes Primaires en 1906 puis le Brevet Elémentaire en 1907 à l’École Faidherbe (École primaire supérieure et commerciale).
Il devient instituteur-stagiaire à l’Ecole Duval.
S’agissant de sa vie familiale, Lamine Guèye avait épousé une de ses cousines Salimata Guèye.
Il s’est par la suite marié avec Adélaïde Sarr, une cousine de Maurice Guèye, maire de Rufisque.
Mais c’est en France qu’il va épouser en 1930, une jeune guadeloupéenne Marthe Dominique Lapalun. Il aura avec elle un seul garçon, Iba Guèye né à Dakar le 15 Avril 1931.
Il adopta par la suite une fille, Renée, qui sera l’épouse de Maître Carlton, avocat au Barreau d’Abidjan.
Son fils unique Iba Guèye devait mourir très jeune le 23 Septembre 1962.
Lamine Guèye poursuit alors ses études et sa formation.
Après sa réussite au Certificat d’Etudes primaires, Lamine Guèye passe un an à l’Ecole Faidherbe.
Il obtient le Brevet élémentaire en Juillet 1907 en même temps que Amadou Duguay Clédor Ndiaye, Papa Mar Diop, Hamet Sow Télémaque, Cheikh Mademba.
Cette même année, le pouvoir colonial décide de supprimer ce diplôme pour éviter que leurs titulaires ne prétendent au grade d’instituteur du cadre européen.
Alors, le seul moyen qui restait pour les africains de continuer leurs études était d’entrer à l’Ecole normale créée en 1903 à Saint-Louis et qui recrutait au niveau des établissements supérieurs de l’A.O.F.
C’est cette Ecole normale qui deviendra la célèbre école William Ponty transférée d’abord à Gorée et ensuite à Sébikhotane.
En tant que titulaire du Brevet, Lamine Guèye débute comme instituteur à Dakar. Il passe ensuite le Certificat d’Aptitude à l’Enseignement dans les écoles de l’A.O.F.
D’une manière fortuite, un arrêté du Gouverneur du Sénégal affecte Lamine Guèye, à peine âgé de 18 ans, comme instituteur suppléant à la Médersa ou Ecole d’Enseignement supérieur musulmane ouverte à Saint-Louis en Novembre 1907.
Dans cette médersa, il faisait des traductions en français de textes arabes.
Par la suite, il a occupé des postes d’instituteur dans différentes villes du Sénégal.
Après avoir obtenu le 22 Avril 1916 un congé pour passer un examen, il quitta Dakar pour se rendre à Bordeaux le 16 Mai 1916.
Il revient le 08 Janvier 1917 au Sénégal.
Entre-temps, il a réussi à obtenir la première partie du Baccalauréat de l’Enseignement Secondaire le 28 Octobre 1916 et le Brevet Supérieur le 11 Novembre 1916.
Il est incorporé le 10 Février 1917 dans l‘armée française. Il servira au 5ème Coloniale de la 2ème Compagnie, Caserne de Serin à Lyon.
Alors, Lamine Guèye met à profit son séjour à Lyon pour passer la deuxième partie du Baccalauréat au Lycée d’Ampère.

Un homme au parcours exceptionnel

En servant dans l’armée à Lyon (ville où il passe ses examens) Lamine Guèye s’inscrit en même temps à l‘Ecole nationale des Langues Orientales.
Après avoir obtenu un congé pour examen à compter du 17 Juillet 1919, il se rend à Marseille où il réussit à passer la Licence en Droit en 1919-1920.
Puis il soutient sa thèse de Doctorat en Droit à la Faculté de Droit de l’Université de Paris le 21 Décembre 1921, sur le thème : « De la situation politique des Sénégalais originaires des communes de plein exercice telle qu’elle résulte des lois des 19 Octobre 1915, 29 Septembre 1916 et de la jurisprudence antérieure. Conséquences au point de vue du conflit des lois françaises et musulmanes en matière civile ».
Il devient alors le premier juriste noir de l’Afrique française.
Il décrocha aussi deux diplômes d’Etudes Supérieures Spéciales en Droit Privé en 1919 et en Droit romain en 1933.
Si Lamine Guèye a poursuivi très rapidement ses études universitaires, cela est dû au fait qu’il a bénéficié du Décret du 10 Janvier 1919 écourtant le cycle des études des étudiants ayant été mobilisés pendant la guerre.
Il sera affecté à l’école normale William Ponty en Septembre 1920 en qualité de Professeur de Mathématiques pendant dix ans.
Parmi ses élèves, on peut citer : Félix Houphouët Boigny, Mamadou Konaté, Jean Félix Tchicaya, Mamba Sano qui sont devenus ses collègues à l’Assemblée nationale française en qualité de députés de la Côte d’Ivoire, du Soudan, du Moyen Congo et de la Guinée.
Après avoir démissionné de son poste d’instituteur, Lamine Guèye est admis comme avocat en 1921.
Il exerça ce métier jusqu’en 1931.
Par Décret du 1er Décembre 1931, il est nommé Conseiller à la Cour d’Appel de l’Ile de la Réunion.
Durant six ans, Lamine Guèye exerça les fonctions de président de la Chambre correctionnelle de la Cour d’Appel.
Toujours est-il que Maître Lamine Guèye a toujours gardé sa vocation d’enseignant, en donnant des cours de Droit.
Il avait l’intention de préparer l’Agrégation de Droit.
Sur les conseils de Blaise Diagne, il profita d’une période sabbatique pour passer deux Diplômes d’Etudes supérieures spéciales de Droit romain et d’Histoire du Droit en 1933.
En février 1937, il est nommé Conseiller à la Cour d’Appel de la Martinique.
C’est en octobre 1940 qu’il se résout à quitter définitivement la Magistrature pour rentrer au Sénégal où il reprend sa robe d’Avocat.
Les premières plaidoiries de Maître Lamine Guèye, jeune avocat de trente ans, ont été consacrées à des procès politiques ou étroitement liés à la politique.
Nous pouvons citer :

– Le procès des municipalités de Dakar et Rufisque contre les établissements Maurel et Prom ;
– Le procès de Galandou Diouf contre Gaston Saucet devant le tribunal de Dakar pour violences et voies de fait ;
– Le procès devant le tribunal de Saint-Louis opposant Amadou Dugay Clédor Ndiaye, Maire de Saint-Louis à la Compagnie Française de l’Afrique Occidentale (CFAO).
Aussi, en 1922, Maître Lamine Guèye a été chargé d’assurer la défense du marabout Chérif Hammalah en état d’arrestation au Soudan.
Il s’agissait de défendre la liberté pour un africain de pratiquer la religion de son choix dans le respect des lois de la République.

Un homme politique remarquable

A son retour au Sénégal, Maître Lamine Guèye adhère à la S.F.I.O. (la Section Française de l’Internationale Ouvrière) en 1923.
En 1925, il devient maire de Saint-Louis.
Il sera battu par Blaise Diagne aux élections législatives de 1928, puis aux élections municipales de 1929.
Déçu par ces revers politiques, il quitta le Sénégal pour occuper des fonctions de magistrat à l’île de la Réunion.
Le 22 mai 1934, une délégation d’universitaires et d’étudiants africains envoie une lettre à Lamine Guèye lui demandant de se présenter au poste de député du Sénégal après le décès de Blaise Diagne.
Cette lettre était signée entre autres par le Docteur Birago Diop, Docteur Abdoulaye Bâ, Léopold Sédar Senghor, Amadou Karim Gaye, Ousmane Socé Diop, etc.
Lamine Guèye se représente aux élections législatives mais il est battu par Galandou Diouf.
En 1935, il réorganise le Parti Socialiste sénégalais afin d’y attirer la jeune élite sénégalaise.
En 1937, il devient le chef de la branche sénégalaise de la S.F.I.O.
En 1946, soutenu par la S.F.I.O., Lamine Guèye remporta facilement la représentation des communes urbaines et siège au Palais Bourbon avec Léopold Sédar Senghor.
Ils joueront dans le Groupe parlementaire des Africains colonisés, un rôle non négligeable dans l’élaboration d’une nouvelle constitution et dans la lutte pour l’indépendance.
Le 10 Novembre 1946, il se présente aux élections municipales de Dakar et devient Maire de Dakar avec son colistier Léopold Sédar Senghor.
Il a octroyé de nombreuses bourses à des Africains qui voulaient poursuivre leurs études secondaires ou universitaires en France.
Beaucoup de futurs cadres de notre pays ont pu en bénéficier, comme Boubacar Guèye, Cheikh Anta Diop, Maître Babacar Sèye, Doudou Thiam, Ousmane Goundiam, le Professeur Assane Seck, Maître Valdiodio Ndiaye, Abdoulaye Chimère Diaw, Thierno Birahim Ndao, Douta Seck, etc…
Lamine Guèye restera maire de Dakar pendant seize ans, jusqu’en 1960.
Après la deuxième Constituante (Mai 1946 – 25 Octobre 1946), Maître Lamine Guèye préside la Commission des Territoires d’Outre Mer.
Il proposa à la Commission de la Constitution où siège Senghor un Projet de Loi qui affirme à son Titre 8,
1) les principes de l’autodétermination ;
2) l’institution d’un collège électoral unique ;
3) l’élargissement de la citoyenneté à tous les ressortissants des (DOM –TOM) Départements et Territoires d’Outre Mer.
C’est l’adoption de cette constitution le 13 Octobre 1946 qui créa l’Union Française.
La loi Lamine Guèye  (la 1ère), est la loi n° 46-940 du 7 Mai 1946, tendant à proclamer citoyens français tous les ressortissants des Territoires d’Outre Mer. Elle est adoptée par l’Assemblée nationale constituante le 25 avril 1946, promulguée par le président du Gouvernement provisoire de la République française, Félix Gouin, le 7 Mai 1946, publiée au Journal Officiel de la République Française le 8 Mai 1946  et entrée en vigueur le 1er Juin 1946.
Elle sera intégrée à la Constitution de la Quatrième République.
La deuxième « Loi Lamine Guèye », quant à elle, visait à modifier la définition des cadres de fonctionnaires. Cette loi visait essentiellement à rendre illégale toute discrimination de soldes ou des indemnités « basée sur des différences de race, de statut personnel, d’origine ou de lieu de recrutement ».
En 1948, suite à des divergences avec Lamine Guèye, Senghor quitte la SFIO et fonde avec Mamadou Dia le Bloc démocratique sénégalais (BDS).
Le 04 Juillet 1951, Lamine Guèye est battu aux élections législatives par Abbas Guèye (le candidat senghoriste).
II avait privilégié l’électorat des villes, tandis que Senghor avait investi les campagnes, ce qui lui a permis de constituer une base électorale beaucoup plus large.
Alors, du 16 Décembre 1946 au 22 Janvier 1947, il devient Sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil du 3ème Gouvernement Léon Blum en France.
Il sera nommé plus tard Délégué de la France à la représentation politique auprès des Nations unies.

En 1956, le France s’engage dans la guerre d’Algérie après sa défaite à Dien Bien Phu en Indochine en 1954.
Lamine Guèye retourne au Sénégal et prend la tête du Mouvement socialiste africain (le M.A.S.).
Il devient le directeur politique du Parti pour le Socialisme africain du Sénégal (le P.S.A.S.) qui perdra les élections locales devant le Bloc populaire sénégalais (BPS) qui est la fusion du B.D.S. et de l’U.D.S.
En Septembre 1956, lorsque Majmouth Diop du P.A.I. préconise le « moom sa rèw » ou l’indépendance avec les jeunes marxistes de la F.E.A.N.F. et de l’U.G.E.A.O., Lamine Guèye et Senghor se retrouvent et fusionnent leurs partis.
En 1958, le Bloc populaire sénégalais (B.P.S.) de Senghor, Mamadou Dia, Thierno Bâ et Abdoulaye Guèye fusionne avec e Parti pour le Socialisme africain du Sénégal (P.S.A.S.) de Lamine Guèye pour donner naissance l’U.P.S. (l’Union Progressiste Sénégalaise) dont il sera le Directeur Politique.
Du 08 Juin 1958 au 15 Juillet 1959, Lamine Guèye devient Sénateur de la Quatrième République française.
Au Sénégal, il se élu député de l’U.P.S. à l’Assemblée constituante.
En 1958, pour faire adopter la nouvelle Constitution Française au référendum du 28 Septembre 1958, le Général De Gaule entreprend une tournée africaine du 22 au 26 Août 1958.
Dans le cadre des négociations de l’accès à l’indépendance, Lamine Guèye se rapproche davantage de Senghor face aux autres dirigeants africains qui favorisent l’autonomie pour chaque territoire de l’A.O.F. plutôt qu’une structure fédérative.
Quand De Gaule débarque à la Place Protet de Dakar ce 26 août 1958, c’est le président Lamine Guèye qui prend le premier la parole pour prononcer le discours de bienvenue en sa qualité de Maire de Dakar.
Au référendum constitutionnel du 28 septembre 1958, le Sénégal vote OUI et reste dans la Communauté.
Ainsi est née la République du Sénégal dans la Communauté Franco-africaine le 25 novembre 1958.
En 1959, pour barrer la route à la balkanisation, Léopold Sédar Senghor et Modibo Keita mettent sur pied la Fédération du Mali qui réunit le Sénégal et le Soudan.
Les accords sont signés le 17 Janvier 1959 à Dakar avec comme :

Modibo Keïta

– Président de la Fédération : Modibo Keita (Chef du Gouvernement Fédéral)
– Vice-président de la Fédération : Mamadou Dia (Chef du Gouvernement du Sénégal)
– Président de l’Assemblée fédérale : Léopold Sédar Senghor
– et Président de l’Assemblée législative du Sénégal : Maître Lamine Guèye.

Mais suite à des divergences entre Senghor et Modibo Keita, la Fédération du Mali éclate dans la nuit du 19 au 20 Août 1960.
L’Assemblée nationale du Sénégal est instituée par la Loi no 60-44 du 20 Août 1960.
Elle occupe le bâtiment situé sur la place Sowéto, qui avait auparavant accueilli d’autres institutions.
Ce bâtiment a été inauguré le 22 novembre 1956, et avait hébergé auparavant, le Grand Conseil de l’Afrique-Occidentale française de 1956 à 1959, puis l’Assemblée Législative de la Fédération du Mali du 04 Avril 1959 au 20 Août 1960.
Ainsi, Maître Lamine Guèye deviendra le premier Président de l’Assemblée Nationale du Sénégal indépendant.

En Décembre 1962, de vives tensions opposent le président Senghor au président du Conseil, Mamadou Dia.
Mamadou Dia incarne le sommet de l’État dans un régime parlementaire bicéphale :
– la politique économique et intérieure pour lui,
– la politique extérieure pour Senghor.
Le différend qui les opposait concernait la politique économique à suivre, et le sort à réserver aux députés « affairistes » ayant commis de nombreux abus.
L’Assemblée nationale que dirige Lamine Guèye devait statuer sur ce différend, suite à la motion de censure contre le gouvernement de Mamadou Dia, déposée par un groupe de députés sous la conduite de Théophile James le Vendredi 14 Décembre 1962.
En effet, ces députés s’étaient octroyés des augmentations de salaire, avaient pris des crédits dans des banques (qu’ils ne remboursaient pas).
Tout ceci était contraire à la ligne politique du parti.
Mamadou Dia leur demanda à plusieurs reprises de rembourser leurs crédits, mais en vain.
Toutefois, ce différend devait être réglé d’un commun accord entre les deux hommes, devant le Conseil national de l’U.P.S.
Mamadou Dia affirme à l’époque : « Si je suis désavoué devant le parti le 20 Décembre, je renoncerai à toutes mes fonctions ».
Il est important de rappeler qu’à cette époque, il existait la « primauté du parti dominant sur l’État » (c’est le parti qui choisissait les futurs députés).
Cette primauté du parti n’était pas inscrite dans la Constitution, comme l’a rappelé Maître Abdoulaye Wade lors du procès du 08 Mai 1963 sur la tentative de coup d’état de Mamadou Dia.
Jugeant cette motion de censure irrecevable, le président du Conseil tente d’empêcher son examen par l’Assemblé nationale en faisant évacuer l’hémicycle le 17 Décembre 1962 et en empêchant son accès par la gendarmerie.
C’est finalement dans l’après midi que les députés vont se réunir au domicile du Président Lamine Guèye pour adopter la motion de censure, destituer le gouvernement de Mamadou Dia et sauver ainsi le régime de Senghor.
Mais certains pensent aussi que si le président Lamine Guèye n’est pas bien connu par les jeunes, c’est parce qu’il n’a pas beaucoup écrit, comme l’a fait le président Senghor.
Pourtant, lui, n’aimait pas beaucoup écrire.
Et il s’en explique dans le journal Dakar Matin du 24 Mai 1966 :
« Je n’ai pas l’habitude d’écrire. Tous mes discours, même les plus importants, étaient improvisés. Il y a à cela une raison simple : j’éprouve beaucoup de difficultés à lire. Et quand je lis, je ne me sens pas le même ». 

Son héritage écrit est relativement modeste pour un homme qui comptabilise une vaste et riche expérience politique.
Ainsi, de sa bibliographie, on peut lire, en dehors de sa thèse de Doctorat, deux livres :
– Le premier : « Etapes et perspectives de l’Union française » publié en 1955 ;
– et le second : « Itinéraire africain » paru en 1966, aux Editions Présence Africaine.
Tous ses écrits démontraient la compatibilité de la citoyenneté française et l’état civil africain.
Mais pour l’essentiel, on peut retenir que : dans une carrière d’un demi-siècle comme le doyen des hommes politiques africains français, le président Lamine Guèye a toujours rejeté l’indépendance politique comme une solution pour les problèmes des Etats africains sous-développés.
Il demandait seulement que les lois de la France soient appliquées de manière égale à tous, à la maison ou à l’étranger.

Au total, le président Lamine Guèye a maintenu une intense activité politique au sein du parti au pouvoir et resta président de l’Assemblée nationale de 1960 à sa mort le 10 Juin 1968 à Dakar.
Et l’émotion était si grande et la consternation si forte ce jour au Sénégal, que s’estompèrent rapidement, à l’annonce de sa mort, les violentes manifestations de mai et juin 68.
La levée du corps du président Lamine Guèye a eu lieu à l’hôpital Principal de Dakar en présence d’une foule immense.
La prière mortuaire a été dirigée par feu El Hadj Abdoul Aziz Sy Dabakh.
Il sera enterré aux cimetières de Soumbédioune auprès de son unique fils, Iba Guèye.
C’est un monde fou qui l’a raccompagné à sa dernière demeure.
On raconte que beaucoup de gens n’ont pu accéder ce jour aux cimetières de Soumbédioune.
D’ailleurs, ceux qui étaient à la queue de la procession en direction des cimetières ont du croiser ceux qui avaient fini de l’enterrer en train de retourner.

Pour immortaliser l’homme, et pour garder son nom et son image pour la postérité, l’Etat du Sénégal a baptisé une route, un stade et un Lycée du nom du Président Lamine Guèye.
Il s’agit :

– de l’Avenue Lamine Guèye à Dakar qui part du rond point à hauteur du Grand Théâtre et qui va jusqu’à l’intersection qui fait face à la Cathédrale de Dakar ;

– du Stade Lamine Guèye de Kaolack ;
– et du Lycée Lamine Guèye de Dakar, ex Lycée Van Vollenhoven.

 

Ibrahima DIENG

Historien et Chroniqueur
à Radio Oxyjeunes de Pikine
Email : diengdaf241@yahoo.com – TEL : 77 526 11