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Présidentielle : Macky Sall prend eau

Présidentielle

Noé Se Noie

Un héros se noie, victime de sa trop grande intelligence, de ses secrets et d’une administration qu’il avait voulu hyper-politisée ; mais il aura raison des intermittents du spectacle qui jouent les premiers rôles depuis 2022 en secouant le palmier électoral.

Macky Sall a usé d’une intelligence diplomatique de classe pour donner une grande leçon au Conseil constitutionnel ; “il n’a pas manqué d’intelligence pour bousculer le conseil en se positionnant comme garant du bon fonctionnement des institutions“, révèle un diplomate en fin de carrière.

Placer le pays au dessus de tout, de la Constitution et de ses cerbères a été le raccourci intelligent emprunté par Macky Sall pour faire un pied de nez aux Sénégalais et au Conseil constitutionnel ; il se veut ainsi métaphysique, éthéré, presque matière divine, retombant malheureusement vite sur ses pieds, faisant du sacré le profane, et du profane le sacré. Ainsi, il va aux élections dans les meilleurs délais, à pas de tortue ou du caméléon qu’il est devenu depuis le 3 février. Mais selon le schéma participatif arrêté par le Conseil constitutionnel pour lui laisser ses prérogatives jamais remises en cause, même si le chef de l’Etat se croit dans son droit de reconvoquer un collège électoral alors que son décret no 2024-106 du 03 février 2024 portant abrogation du décret convoquant le corps électoral pour l’élection présidentielle du 25 février 2024 est annulé. Pareillement, son entêtement à vouloir tout quitter le 02 avril risque d’accentuer le chaos et l’incertitude, ne répond pas à son attitude patriotique épistolaire d’un “Sénégal à cœur”.

Sur le fond cependant, le président de la République ajoute à un certain imbroglio juridique : manifestement en effet, la gestion des candidats à la Présidentielle présente de grandes failles : par exemple, le décret 76-040 régissant le droit des associations aurait été mal géré dans le cas de Bassirou Diomaye Faye et on suivra avec intérêt la suite réservée au souhait d’inclure Karim Meïssa Wade à l’issue du dialogue national des 26 et 27 février : s’il est impossible de lui dénier sa nationalité sénégalaise, il est tout aussi impossible, hors de tout doute raisonnable, de ne pas en faire un Français, curieux dilemme qu’apparemment une publication au Journal officiel de la France ne saurait résoudre, comme le reconnaissait d’ailleurs Wade-père.

Plus généralement, la reprise partielle du processus de qualification, une fois les premiers retenus confirmés, aurait aidé à mettre fin à cette présence de ces intermittents du spectacle qui, depuis 2022, prennent la place des acteurs principaux et se comportent en mauvais figurants à tous les échelons de la vie politique sénégalaise ; il est vrai que là aussi, le vaudeville des élections de 2022 avait servi de rampe avec la liquidation d’une liste nationale ici et la validation d’une liste sans suppléants.

Si la réception du message du président de la République est cependant faussé comme on le vérifie souvent dans la communication du chef de l’Etat, c’est à cause d’un clair-obscur dans lequel Macky Sall plonge les récepteurs, obligé qu’il est souvent de faire intervenir le 4ème principe de la thermodynamique dans ses adresses au peuple avec une dissipation de la chaleur de l’information due aux secrets d’Etat que le président doit taire dans ses communications d’Etat. D’où le refus du récepteur en plein cirage d’accorder du crédit à l’émetteur.

Au demeurant, la démarche du président de la République ressemble à s’y méprendre à celle de Abdou Diouf à l’étroit au sein du Parti socialiste finalement versé dans l’opposition en 2000 : Macky Sall chahuté par l’armée mexicaine qu’est l’Alliance pour la République aura réussi sa vengeance en tournant définitivement en bourrique sa propre formation mais pas sa famille d’adoption, les Libéraux ;  désemparé devant l’ampleur de la crise dans les secteurs sensibles de l’énergie, de la sécurité, de l’éducation et de la santé, c’est avec le Parti démocratique sénégalais qu’il s’organise pour faire trempette dans un verre d’eau pour voir venir, quitte à créer un précédent qui lui a valu des remarques peu amènes auprès de l’opinion nationale et de la communauté internationale. L’Apr soucieuse de conserver le pouvoir mais méfiante devant le choix du candidat de la majorité a hurlé avec les loups, plus pour retarder l’élection de Amadou Bâ que par conviction devant de grossières accusations sans preuve, faille dans laquelle Macky Sall et ses ouailles se sont engouffrés contre toute logique raisonnée.

Pourtant, le président sortant présente un bon bilan infrastructurel enviable : si l’infrastructure au sens large demeure le socle solide sur lequel il construit, Macky Sall a eu l’avantage sur Me Wade de trouver chaussure au pied des grands espaces routiers qu’il a aidé à réaliser, comme le Train express régional ou le Bus Rapid transfert, en plus d’une moribonde compagnie aérienne,  contrairement à son prédécesseur qui bâtissait un aéroport sans détenir de flotte propre, malgré les efforts d’un Mamadou Seck, par exemple et les errements de Air Sénégal international. Le héros Macky Sall s’est cependant noyé dans les scandales financiers qui ont donné du grain à moudre à une opposition sans âme parce que non renouvelée, jusqu’à l’émergence d’une gorge profonde dans une période de lanceurs d’alertes. Une société reléguée dans les confins de la faim et de la pauvreté a essayé de se servir d’un Ousmane Sonko pour faire face dans un drame social indicible. L’irritabilité  du président de la République en fin de mandat traduit son désarroi devant tant d’ingratitudes et de trahisons et semble signifier un jemenfoutisme qu’un président devrait éviter.

Contesté par les religieux, les populations sénégalaises et même au sein du gouvernement, Macky Sall qui ne voulait pas se mouiller crée une situation ambiguë avec une démission annoncée le 02 avril pour une présidentielle finalement retenue pour deux mois plus tard, le 2 juin : la deuxième phrase de l‘article 36 derrière laquelle il essaie de se réfugier à ciel ouvert contre la tempête ne s’explique qu’en fonction de la préposition principale, la seconde relevant de la subsidiarité : “Le président de la République élu entre en fonction après la proclamation définitive de son élection et l’expiration du mandat de son prédécesseur. Le président de la République en exercice reste en fonction jusqu’à l’installation de son successeur.” Le rédacteur de la Loi fondamentale n’était pas versé dans la typographie : il eût dû faire usage de point-virgule et de point à la ligne pour éviter certaines interprétations toujours abusives qui parlent d’alinéas là om ils n’existent pas.
Comble de malheur, l’amnistie qu’il propose le 28 février comme sortie de crise accentue la fracture au sein des patriotes, surtout si Ousmane Sonko reste en prison : son incarcération en juillet 2023 n’a donné lieu à aucun débordement notable et ses négociations souterraines n’ont pas bonifié son image, bien au contraire : le protocole du Cap Manuel s’ajoute à ceux de Rebeuss et de Doha pour hommes politiques plus soucieux de leur devenir que de celui de la Nation culturelle. Un bon comportement de l’intermittent Bassirou Diomaye Faye sonnera le glas pour Ousmane Sonko, comme également ce pourrait être le cas pour Amadou Bâ : Macky Sall et l’ancien Pastéfien ne rentreront pas dans l’histoire réelle par la grande porte.

Pathé MBODJE