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Moi, détenu politique à la « prison du patriotisme »

Entretien avec un détenu politique                  à la « prison du patriotisme »

Amadou Lamine Ndao retrace le film                     de son arrestation

Arrêté le 25 juin 2023 devant le domicile de Ousmane Sonko, Amadou Lamine fait partie des détenus politiques de l’opposition interpellés durant la période pré-électorale. La patrie dans le cœur, Amadou Lamine milite pour le patriotisme. Pour son arrestation, les conditions de vie en prison, sa relation avec les leaders de Pastef, l’élection présidentielle, il est à cœur ouvert. Amadou Lamine se met sous la peau d’une jeunesse soif de souveraineté et de démocratie.

Entretien dirigé par

Khadidiatou GUEYE Fall,

Cheffe du Desk Société

Présentez vous

Je m’appelle Amadou Lamine Ndao, je suis originaire de la banlieue plus précisément de la ville de Guédiawaye. Je suis âgé de 33 ans et j’ai fait un parcours scolaire dans les régions où mon papa était affecté notamment à Tambacounda. J’y ai fait mes études de la CI au CM2. Pour l’enseignement secondaire, je l’ai fait ici à Dakar avec l’obtention de mon BFEM en étant d’ailleurs premier du centre. J’ai également eu mon baccalauréat à l’école Baobab dans la banlieue dakaroise, précisément à Guédiawaye. Orienté à la faculté de Droit de la faculté des Sciences juridiques et politiques (FJP) à l’université Cheikh Anta Diop, j’y ai fait 2 ans ; après cela, vu que ça n’a pas marché donc j’ai dû m’inscrire dans une université publique de la place où j’ai eu ma licence et voilà donc je suis titulaire d’une licence en communication et marketing.

Actuellement, je suis agent commercial pour une agence immobilière et en même temps je suis dans la politique. Je suis militant d’un parti qui s’appelle Pastef patriote depuis 2018.

Quelle était la cause principale de votre arrestation ?

Pour mon arrestation, je l’ai racontée à quelques de vos confrères. C’était le 25 juin 2023. A l’époque, le président Ousmane Sonko était barricadé chez lui pendant plus de 15 jours ou plus ; donc nous avons eu initiative en tant que jeune patriote d’aller contester ces barricades qu’on surnommait « barricade de la honte ». On avait jugé injuste que le président Ousmane Sonko soit séquestré pendant de si longs jours alors que cela n’était dû à aucune décision de justice : il n’était ni sous résidence surveillée ni assigné à résidence ; donc on ne savait pas le pourquoi du comment qui justifiait les barricades pendant ces jours. On a alors eu l’initiative et on est allé là-bas avec quelques députés de la coalition Yewwu Askan Wi, notamment le président Guirassy, le président Déthié Fall, le président Cheikh Tidiane Dièye et Mme Maïmouna Bousso, entre autres. Nous étions presque un groupe de 15 personnes, donc pas nombreux.

C’est là-bas qu’on m’a arrêté devant le domicile du président Ousmane Sonko. ils m’ont arrêté et m’ont dit ce qu’ils me reprochaient. Les faits qui m’étaient imputables étaient la participation à une manifestation non autorisée et atteinte à la sûreté de l’État. Ce que je n’ai pas compris d’ailleurs puisque nous étions allés manifester pacifiquement : nous n’avions ni pierres ni armes comme la presse le disait.

Comment étaient les conditions de détention ?

Je dirais que c’était des conditions très difficiles vu le nombre de détenus qui étaient là-bas et qui dépasse le nombre normal que devait contenir la prison. Les détenus dépassent de 2 à 3 fois le nombre normal que devait contenir la prison ; il y a eu une surpopulation carcérale qui naturellement va impacter sur la vie quotidienne des détenus : vous imaginez une chambre de 60 mètres carrés qui a 200 personnes ? Donc imaginez les conditions de vie. il y a aussi le manque d’assistance aux malades : tant que tu n’es pas entre la vie et la mort, ils ne te prennent pas au sérieux. ils ne prennent pas le temps de te consulter comme il faut. ils te donnent juste deux comprimés. Il faut vraiment être à la limite mourant pour que cela les alerte. Ça aussi, je le condamne. L’accès à l’eau aussi est un problème. Parmi les détenus, on y trouve des innocents qui cohabitent avec des bandits. Donc à la fin, ils sont influencés. En bref, les conditions sont très dures et c’est à revoir.

Qu’est ce qui vous a le plus marqué durant votre incarcération ?

Ce qui m’a le plus marqué durant mon incarcération, c’est un ami détenu qui a perdu sa mère durant son incarnation. C’était très très difficile pour lui. Un autre aussi avait des jumeaux derrière lui. sa femme a eu des jumeaux alors qu’il était en prison. Ce jour aussi était une date qui m’a vraiment marqué.

Comment qualifiez-vous le comportement                                     

des forces de l’ordre sénégalaises ?

Concernant le comportement de nos forces de défense et de sécurité, je dis qu’une gendarmerie doit être républicaine, une police doit être républicaine. Au nom de toute la jeunesse, nous ne sommes pas contents de nos forces de l’ordre, du comportement qu’elles ont tenu durant cette période de 2021 à 2024, notamment vis-à-vis de nous jeunes qui étions dans l’opposition. Ils ont eu un comportement irresponsable parce que tout le monde sait que durant cette période, beaucoup de jeunes sont tombés sous les balles, d’autres ont été torturés, d’autres ont été blessés grièvement et j’en passe.

Si je prends mon cas, ce pourquoi j’ai été interpellé ne devrait me valoir qu’une garde à vue normalement et même cette garde à vue serait injustifiable parce qu’une personne qui vient quelque part dans le territoire sénégalais, tu l’interpelles et tu l’amènes en prison parce qu’elle était juste venue dire qu’elle n’est pas d’accord pour telle chose. Ils te mettent en prison pendant 9 mois et ils se permettent de mettre sur le PV du n’importe quoi. A la limite, c’est du banditisme ; pour moi, le comportement de nos forces de défense et de sécurité est un comportement qui doit être non seulement évalué et sur cette même lancée qui doit être sanctionné. Toutes les forces de défense et de sécurité qui ont fait des abus de pouvoir doivent être identifiées et sanctionnées pour que demain leur successeur sachent qu’être policier, ce n’est pas être au-dessus de la loi ; c’est être dans l’impunité. Ils doivent respecter leurs citoyens qui assurent leur salaire, donc ils doivent respecter les populations et savoir qu’ils sont là pour les protéger.

Quel type de relation avez-vous avec les leaders de Pastef ?

Je pense que ce sont des relations familiales parce que tu sais si tu traverses certains moments difficiles avec des personnes, ces moments-là finissent par vous souder, un lien très fort se tisse entre vous. Je peux dire que Pastef c’est une famille et les leaders sont des grands frères des papas ; donc c’est une relation saine et affectueuse qui me lie avec les leaders de Pastef, des relations de bonne foi. Le seul point de convergence, c’est l’amour de la patrie et l’envie de rendre service à la nation et au peuple.

Quelle conclusion faites-vous de l’élection présidentielle ?

La conclusion qu’on peut en tirer est que le peuple a eu raison, que le peuple a récupéré sa souveraineté et que le pouvoir appartient d’abord au peuple, la souveraineté appartient au peuple et c’est le peuple sénégalais qui a refusé de voir sa démocratie bafouée. C’est le peuple qui a refusé que son calendrier électoral soit bafoué. Le peuple s’est dressé comme un seul homme, s’est battu et a fait les sacrifices qu’il a fallu faire. Cette élection est le fruit de sacrifices et de dévouement durant presque 5 longues années.

Depuis la veille des élections 2019, le Pastef n’a ménagé aucun effort pour remporter cette élection. Je suis satisfait des résultats qui en découlent. Ces mêmes résultats reflètent la beauté de notre démocratie. Et voilà, le Sénégal est entré dans une nouvelle ère. Nous sommes actuellement dans un tournoi décisif. La conclusion que je tire est que la jeunesse a gagné.

Quel est votre dernier mot ?

Je termine par remercier d’abord le peuple sénégalais pour cette belle victoire de la démocratie, remercier la jeunesse de savoir se dresser contre l’oppression de l’État, se dresser contre un président sortant qui a voulu choisir à notre place. Je remercie cette jeunesse qui a été digne du début à la fin, cette jeunesse qui comprend les enjeux, la nécessité et l’urgence de se tenir debout pour prendre son avenir en main parce qu’elle s’est assez endormie pendant de très longues années. Donc j’appelle cette jeunesse à davantage se mobiliser, à davantage être prêt à accompagner ce projet pour qu’on puisse le réaliser au profit de tous les Sénégalais ; donc j’appelle ainsi tous mes concitoyens à la citoyenneté, au civisme et au patriotisme. Je les appelle au travail comme on le dit pour un Sénégal prospère, pour un Sénégal souverain. Je fais aussi un clin d’œil à nos pays frères africains pour qu’ils puissent savoir que l’Afrique doit revenir entièrement aux Africains. On ne doit plus accepter qu’on nous choisisse des chefs d’État qui vont nous dicter des lois qui ne sont pas les nôtres, on ne doit plus accepter les chefs d’État qui s’enrichissent. Il est temps de se réveiller et de prendre notre destin en main pour que l’Afrique retrouve sa place sur la scène internationale.

Propos recueillis par

Khadidiatou GUEYE Fall