GMT Pile à l'heure

La Ligne du Devoir

Me Wade : “Mes Médiations”

Mes Médiations

Album-souvenirs d’une diplomatie au service de la paix

Par Abdoulaye WADE

“La Défense des Droits de l’Homme par le Sénégal repose sur des principes universels et couvre, sans discrimination d’appartenance géographique ou de religion, toutes les régions du monde où ces droits sont violés de manière flagrante”.

Avant-propos

C’est sur insistance de mes proches, de citoyens du Monde éparpillés à travers les continents, de toutes races et de toutes catégories sociales ainsi que de nombreux militants du progrès humain, que j’ai décidé de me faire violence et d’évoquer très brièvement, pour la postérité, un volet de mes actions politiques et humanitaires qui me tient à cœur : les médiations internationales pour la paix.
Si la publication de l’expérience vécue dans ce domaine peut ouvrir des pistes nouvelles dans la recherche de solutions heureuses aux conflits et contradictions, la plupart du temps meurtriers, qui gangrènent la Société des Hommes, je me sentirais fier d’avoir contribué, ensemble avec tous ceux et toutes celles qui ont eu à m’accompagner, au rapprochement entre des protagonistes que très souvent tout divisait et à l’instauration d’un climat de sérénité, condition sine qua non du triomphe de la Paix.
En vertu des pouvoirs conférés au Chef de l’État, principal architecte de l’orientation diplomatique du pays, j’ai tenté de me mettre sans arrière-pensée au service exclusif de la culture de la paix par le dialogue et la négociation. Les douze années que j’ai passées à la magistrature suprême du Sénégal ont été marquées, entre autres succès, par le souhait exprimé par notre peuple de toujours préférer le langage de la paix au recours à la force et à l’escalade militaire. En m’attelant à éteindre le feu dans les foyers de tension qui minent le Monde, je n’ai fait, finalement, que suivre la volonté de mes mandants : les Sénégalais. Mes concitoyens sont réputés critiques et râleurs à profusion mais pacifiques.
Cette aspiration à œuvrer pour le dialogue, la coexistence pacifique entre les peuples, entre les cultures, pour des échanges équilibrés et bénéfiques pour tous, s’est confirmée dans mes options prioritaires durant mes années estudiantines. Le besoin de s’engager dans l’action politique est en partie motivé chez moi par ce désir ardent de participer à la construction effective d’un monde plus juste où les guerres fratricides et les conflits violents entre les hommes céderaient la place à un espace convivial où le mot paix deviendrait réalité dans toutes les régions du globe.

Mes Médiations en Afrique

Bien avant mon arrivée au pouvoir je me suis investi dans la recherche de la paix et de la stabilité en Afrique notamment. Cette démarche trouve ses origines, comme souligné plus haut, dans les raisons qui expliquent mon engagement politique mais aussi, plus tard, dans les conditions de l’opposition légale et pacifique que j’animais avec ma formation politique, le Parti démocratique sénégalais (PDS), créé en 1974 au moment où le régime du parti unique régnait un peu partout en Afrique.
La principale vertu pédagogique de cette rupture dans le monolithisme politique a été de montrer qu’en Afrique, la lutte pour l’accession et le maintien au pouvoir, à l’origine de nombres de conflits sur le continent, pouvait se faire par les urnes et aboutir sans recours aux armes ; l‘alternance démocratique survenue au Sénégal en mars 2000, après plus de deux décennies de mise à l’épreuve, en a été une parfaite illustration.
C’est sur cette toile de fond qu’il convient d’apprécier les médiations que j’ai eu à mener en Afrique, dont certaines avant même mon accession à la magistrature suprême.

Les plus connues se sont déroulées en 1991 au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo), au Congo Brazzaville en 1992, en 1993 au Togo. Devenu Chef de l’État, je suis intervenu à Madagascar et au Liberia en 2002, au Gabon en 2003, au Niger en 2004, en Guinée Bissau au cours de trois phases successives, en 2002, 2003 et 2005, entre le Soudan et le Tchad en 2008.La même année, les négociations inter-mauritaniennes ont abouti à un accord signé à Dakar.

En 1991 au Zaïre donc, alors que ce pays est dans une tourmente qui va le plonger dans une longue guerre civile, Ministre d’État dans le gouvernement du Président Diouf, je propose à la classe politique zaïroise un plan consensuel de sortie de crise par une transition politique pacifique. L’application de ce plan aurait certainement épargné au pays des années de conflit armé et de destruction, dont il n’arrive pas encore à se relever.

Au Congo Brazzaville, en 1992, par suite d’un différend entre le président Denis Sassou Nguesso et son opposition, j’accompagne le président Abdou Diouf aux négociations tenues à Libreville pour essayer de régler ledit différend. Les discussions portant sur la Constitution m’étant confiées, je crée un groupe consultatif de six grands juristes français. Le groupe se rend au siège de la Commission internationale des Juristes de Genève pour y travailler pendant trois jours et rédiger une nouvelle constitution remise par mes soins au Président Sassou Nguesso. 

En 1993 au Togo, la situation étant bloquée entre le président Gnassingbé Eyadéma et son opposant Edem Kodjo (photo), je suis appelé pour aider à sortir de l’impasse. Les propositions que je formule permettent de débloquer les négociations ; celles-ci aboutissent même à un gouvernement dirigé par un Premier Ministre issu des rangs de l’opposition.

A Madagascar, en Février 2002, les élections présidentielles débouchent sur une impasse totale: le président sortant, Didier Ratsiraka, et son challenger, l’homme d’affaires Marc Ravalomanana, réclament chacun la victoire. Deux jours avant la convocation d’un éventuel deuxième tour, M. Ravalomanana s’auto-proclame vainqueur et nomme son gouvernement alors que le président sortant continue de présider le Conseil des ministres.
C’est dans ces conditions, alors que les premiers heurts entre les partisans des deux camps semblent presque inévitables, qu’intervient la médiation sénégalaise entre MM. Ratsiraka et Ravalomanana.
A l’issue de deux rounds de négociation, notre médiation aboutit à un accord en avril 2002 aux termes duquel M. Marc Ravalomanana s’installe au pouvoir. Il est officiellement investi le 6 mai 2002. Au titre du même accord, une conférence des partenaires au développement est organisée pour accompagner les efforts de redressement du pays.

Au Liberia en septembre 2002, à la fin du régime de Charles Taylor, il nous est demandé de faire une médiation avec l’opposition qui s’était exilée en Amérique, pour aider le pays à ne pas retomber dans la guerre. C’est ainsi que toute l’opposition libérienne réunie, y compris l’actuelle présidente du pays, Mme Ellen Johnson Sirleaf, se rend à Dakar. Je vise la médiation entre elle et le président du Liberia.

En Côte d’Ivoire, après plusieurs années de dégradation du climat politique suite au décès du président Félix Houphouët Boigny, une rébellion armée éclate en septembre 2002 simultanément à Abidjan, Bouaké et Korogho. Paralysé et coupé en deux zones contrôlées respectivement par le gouvernement et la rébellion armée, le pays évite le pire grâce à l’accord de cessez-le-feu négocié le 16 octobre par la diplomatie sénégalaise.
Cet accord a le mérite de stabiliser une situation insurrectionnelle, de sauver la Côte d’Ivoire d’une guerre civile généralisée aux conséquences fâcheuses pour toute la sous-région et de favoriser ensuite le lancement du long processus de paix marqué plus tard par les Accords de Marcoussi (France), d’Accra (Ghana) et de Ouagadougou (Burkina Fasso).

Au Gabon en 2003 au cours d’une crise très grave née de la revendication de l’opposition menée par le Père Paul Mba Abessole, président du Rassemblement national des Bûcherons (RNB) et l’avocat Maître Agondjo Okawé, président du Parti gabonais du Progrès (PGP), le président Bongo m’invite pour une médiation. Les pourparlers aboutissent à la nomination de l’opposant Mba Abessole au poste de Vice-Premier ministre. C’est ainsi qu’une confrontation aux conséquences imprévisibles a été ainsi évitée.

Au Niger en 2004, le gouvernement est agité par une controverse entre le Premier ministre et le président de la République à propos de l’interprétation de la Constitution, objet de plusieurs recours devant le Conseil constitutionnel. Cet organe décide, en fin de compte, de ne plus rendre d’arrêt, bloquant ainsi la situation. C’est dans ces conditions que je suis intervenu sur appel des autorités nigériennes pour aider à l’interprétation de certaines dispositions de la Constitution. Cela a permis de dénouer la situation.

La Guinée Bissau, pays frontalier du Sénégal, a acquis son indépendance après une longue guerre de libération. Le pays est réputé pour son extrême pauvreté, son instabilité politique chronique et l’omniprésence de l’armée sur la scène politique et dans la gestion des affaires de l’État. Comment entretenir des relations de bon voisinage stables avec un voisin instable ? C’est le défi auquel le Sénégal a fait face depuis 1980, année du premier coup d’État réussi en Guinée Bissau par Joao Bernardo Vieira. C’est en qualité de voisin de bonne volonté que nous avons, ici, plus qu’ailleurs, essayé de jouer un rôle de facilitateur du retour de la paix à travers une série d’interventions déroulées en trois temps.

En mai 2002, les militaires ayant fait un coup d’État, je me suis rendu immédiatement à Bissau avec les présidents du Nigeria Obasanjo et du Ghana Kuffor pour tenir à l’armée guinéenne un langage de vérité qui finit par leur faire entendre raison et permettre la mise en place d’un gouvernement civil.
Des difficultés permanentes constatées dans le processus de stabilisation politique m’ont poussé à intervenir une seconde fois, discrètement, en septembre 2003, lors des élections, ce qui a conduit à la démission du président Kumba Yala (photo) et à une poursuite du règlement apaisé du conflit qui opposait les nombreux protagonistes guinéens.
Les démons de la division revinrent en juillet 2005 pendant les élections présidentielles porteuses de germes d’un violent règlement de compte, avec la contestation plus que probable du verdict des urnes. Encore une fois, en voisin de bonne volonté, j’entreprends de mettre en œuvre une “diplomatie préventive” pour anticiper sur les risques d’un affrontement post-électoral.
C’est ainsi que la classe politique Bissau guinéenne se réunit à Dakar et convient, par avance, dans un accord, de respecter le résultat des élections présidentielles ; cela a contribué à créer un climat apaisé après le scrutin.
J’ai, malgré un calendrier lourd, tenté de porter la cause de la Guinée Bissau à travers le monde comme s’il s’agissait d’une affaire intérieure sénégalaise. Je me suis fait l’avocat de ce pays et ai demandé sous toutes les latitudes qu’il soit massivement appuyé pour l’aider à sortir des difficultés qui semblent inextricables.

En mars 2008, les chefs d’État du Soudan et du Tchad, qui s’accusent mutuellement d’abriter leurs oppositions armées respectives, se retrouvent à Dakar à l’occasion du Sommet de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI). Saisissant cette opportunité et compte tenu des relations amicales que j’entretiens avec les deux dirigeants, j’essaie de les réconcilier, à la suite de missions que j’avais préalablement dépêchées auprès d’eux.
Après des négociations particulièrement difficiles en présence notamment des Secrétaires généraux de l’ONU et de l’OCI, les deux chefs d’État signent l‘Accord de Dakar du 14 mars 2008 qui prévoit des mesures de confiance, l’arrêt du soutien aux rebelles de part et d’autre et la création d’un groupe de contact pour la supervision de la mise en œuvre de l’Accord ; ce groupe est une innovation par rapport à la série d’Accords déjà signés par les deux parties.

Enfin, la Mauritanie constitue un cas particulier dans les médiations que j’ai eu à mener en raison des liens historiques, culturels, sociaux et même politiques que ce pays entretient avec le Sénégal.
A la suite du coup d’État survenu en août 2008, le Général Mohammed Ould Abdelaziz s’installe au pouvoir et crée un Haut conseil d’État. Fidèle au principe de l’Union africaine qui consacre le rejet de l’accession au pouvoir par des voies anticonstitutionnelles, le Sénégal condamne le coup de force mais, en voisin de bonne volonté, cherche à aider le peuple frère de Mauritanie à sortir de l’impasse.
A ce propos, il convient de rappeler que, malgré les condamnations unanimes et l’annonce de sanctions contre les putschistes, le statu quo est complet entre la junte militaire et la majorité de la classe politique mauritanienne. Face à ce blocage qui peut dégénérer en affrontements violents, je prends l’initiative d’envoyer plusieurs missions de bons offices en Mauritanie avant de m’y rendre moi-même pour m’entretenir directement avec les leaders locaux et explorer les conditions d’établissement d’un dialogue national, devenu impossible depuis le coup d’État militaire.
Grâce aux efforts inlassables, les plénipotentiaires des trois grands pôles de la classe politique mauritanienne (le Front pour la Défense de la Démocratie, coalition de plusieurs partis regroupés autour du président déchu Sidi Ould Abdallahi, le Rassemblement des Forces démocratiques de Ahmed Ould Daddah et l’Union pour la République du Général Ould Abdelaziz), mandatés par leurs leaders, se rendent à Dakar sur mon invitation pour chercher une issue négociée à la crise mauritanienne.
L’Accord issu de leurs négociations et qui est paraphé à Dakar le 2 juin avant d’être signé à Nouakchott deux jours plus tard, constitue probablement un cas d’école dans la médiation internationale, notamment de par ses dispositions prévoyant le retour à la légalité constitutionnelle, avant l’organisation d’une transition consensuelle et des élections présidentielles avec l’appui des partenaires au développement et sous supervision internationale.

Mes Médiations dans les autres Régions

Dans les autres régions du monde comme au Moyen-Orient par exemple, suivant en cela une tradition officielle de l’État du Sénégal, je me suis investi dans la recherche de la paix entre Palestiniens d’abord, afin de parvenir à un accord définitif qui pourrait leur permettre de convenir avec Israël d’un accord global permettant à la Palestine de devenir un État avec des frontières géographiques concrètes et qui coexisterait pacifiquement avec l’État hébreux.
En ma qualité de président de l’OCI, je me suis attaqué à tous les germes de division des Palestiniens en mettant toute mon énergie dans la réconciliation du Fatah et du Hamas comme en témoigne la réunion de Dakar entre les deux entités.

La Défense des Droits de l’Homme par le Sénégal repose sur des principes universels et couvre, sans discrimination d’appartenance géographique ou de religion, toutes les régions du monde où ces droits sont violés de manière flagrante. C’est par ce principe qu’il faut comprendre l’intervention décisive que j’ai entreprise dans la libération de Clotild Reiss, cette étudiante française qui fut emprisonnée en Iran de juillet à août 2009, accusée d’avoir informé avec précision, par courrier électronique, sur l’avancée des manifestations étudiantes, comme l’aurait fait un agent à la solde de l’étranger.
Malgré les bonnes relations que Dakar et Téhéran entretenaient à l’époque, je n’ai pas hésité un seul instant à montrer aux Iraniens que les motifs retenus contre l’étudiante n’étaient pas consistants…

Conclusion

Ces différentes initiatives que nous avons eu à prendre en Afrique ont, à mon humble avis, permis de sauver des millions de vies humaines et aidé à éviter d’arrêter les progrès certes lents, mais bien réels dans certains domaines, que notre continent est en train de faire.Ailleurs, elles ont permis des rapprochements et libéré des familles plongées dans l’angoisse de perte de proches pris dans l’engrenage des intérêts d’États et de groupes pas toujours compatibles avec les besoins des citoyens ordinaires qui ne demandent qu’à vivre dans la paix et la liberté…

_______

Monsieur Président,

Dans le chapelet de réussites qu’on peut mettre sur votre tableau de bord, il y a surtout les médiations de paix que vous avez menées à travers le monde. D’ailleurs vous n’étiez même pas encore président de la République, vous étiez juste ministre d’Etat dans le gouvernement de Diouf, et vous avez été envoyé par Diouf au Congo au Zaïre pour justement que les Zaïrois retrouvent la paix. Pouvez-vous nous raconter cet épisode qui est disons la première médiation officielle que vous avez menée pour le compte du Sénégal ?

Wade : Non, ce n’est pas ma première médiation, j’en avais mené beaucoup d’autres, peut-être je dois vous rappeler et après vous verrez si vous devez approfondir.

Etant jeune, à l’école primaire, lorsque deux camarades se disputaient, souvent, ils disaient : « démale woo wi Wade parce que lui il dit la vérité» ; j’étais leur camarade mais quand il s’agissait de dire la vérité, je n’hésitais pas. Donc mes camarades avaient confiance en moi comme ça pour les départager quand il y avait dispute. Alors plus tard, quand je suis devenu avocat et consultant international, bien entendu mon métier d’avocat m’a placé au cœur des problèmes et de la recherche de solutions. Rien de particulier chez moi sauf que j’apparaissais souvent comme un juge conciliateur plutôt qu’un avocat.
Par exemple, quand il y avait des gens qui voulaient divorcer, je m’efforçais de les réconcilier au lieu d’aller tout droit obtenir le divorce, parce que, pour moi, c’était un enjeu extrêmement important non seulement pour les personnes même mais aussi surtout pour le sort des enfants, parce que malheureusement en Afrique, les pères abandonnent toujours leurs enfants, même quand ils sont en ménage, à leur sort ; les enfants vivent dans la rue, à plus forte raison s’ils sont divorcés : ils ne contribuent même pas à la pension alimentaire. Et parmi les personnes de situation très élevée, de hauts fonctionnaires, des ministres et tout ça, beaucoup divorcent parce que nous sommes un pays qui acceptons la polygamie et les divorcés ne s’occupent pas de leurs enfants qui restent à la charge de la rue et à la charge de la société.

En 1967, Senghor avait créé le club “Nation et Développement” parce que les cadres étaient impatients et il voulait leur donner une tribune pour s’exprimer, et ce club qui a été dirigé par Babacar Bâ et qui avait la participation des plus hauts cadres sortis de l’école Nationale de la France d’Outre-mer et des universités, organisait périodiquement des conférences. Je me rappelle que c’était quelques conférences tout à fait techniques portant sur les infrastructures. Ma première conférence sur les infrastructures date de cette époque. Mais j’ai aussi fait des exposés sur les problèmes sociaux comme par exemple l’obligation d’éducation.

Je me rappelle cet article « l’obligation d’éducation ». Je disais qu’un père avait l’obligation d’éduquer ses enfants au lieu de les laisser dans la rue comme les animaux, parce que si un père n’éduque pas ses enfants, quelle est la différence avec un animal ? L’animal fait un enfant et puis il l’abandonne. Or nous nous avons besoin d’éduquer les enfants pour leur transmettre les valeurs que nous tenons de nos ancêtres, ainsi y’a une continuité. C’est ainsi qu’on fabrique l’enfant, c’est ainsi qu’on fabrique un homme avec les principes qu’on lui inculque, de morale, d’honnêteté, de courage, d’abnégation. etc… et de patriotisme.

Bon bref, y avait donc ces prétentions qui étaient en moi et quand je suis entré dans l’opposition en créant le premier parti d’opposition légale dans toute l’Afrique, et si vous voulez en connaitre un peu plus, vous n’avez qu’à vous référer à la thèse qui a été présentée à la Sorbonne vers les années 1975-1976 par Madame De Souche : “Le Parti Démocratique Sénégalais, une opposition légale en Afrique ».
Ceci est assez surprenant dans une Afrique dominée par le parti unique, qui était devenu la règle. Parce que nous sommes devenus indépendants vers les années 1960 et les partis qui étaient eu pouvoir ont bénéficié du transfert de pouvoir par la France, sans élections, sans rien du tout et puis après on a demandé à ces gens-là de faire des élections pour permettre au peuple de choisir ses dirigeants, ça n’a même pas de sens. C’est pourquoi donc que quand les Africains se sont incrustés dans les partis uniques, ce qui était commode, eh bien les Occidentaux ont fabriqué des théories pour consolider cette situation (de développement au niveau de toutes les énergies, le développement doit éviter la dispersion des forces etc…). Et par conséquent il fallait que tout le monde soit dans le même parti, on ne peut pas faire deux partis.

Et il y a eu aussi le théorie de la liberté comme sous-produit du développement alors que nous les libéraux nous disions que l’homme nait libre, les libertés sont des vertus qui sont à l’homme dès sa naissance, l’homme a la vocation d’être libre. Eh bien les Socialistes à l’époque disaient : “Non, la liberté doit être secrétée par le développement : faisons le développement et au fur et à mesure la liberté va apparaitre, on accordera des droits aux citoyens“. C’était diamétralement opposé ; donc, on comprend parfaitement que le divorce idéologique intervenait facilement. Moi et les socialistes c’est un divorce très ancien et extrêmement profond, c’est ce qui oppose les Libéraux aux Socialistes et aux autres catégories de la gauche.

J’avais donc lancé un parti d’opposition légale et cela a étonné les Africains : Comment d’abord quelqu’un pouvait-il se permettre de créer un parti et ensuite un parti d’opposition ? Comment Senghor pouvait-il accepter ? On le lui reprochait : «Mais tu sèmes la nouvelle graine, mais tu donnes le mauvais exemple, ça va être le désordre en Afrique». De sorte que quand j’ai créé le parti, j’ai dû utiliser un certain nombre d’astuces que j’ai déjà expliquées.

J’étais à Mogadiscio en 1972 comme président du groupe des experts de l’O.U.A. et j’ai rencontré Senghor et je me suis dit : “Tiens, je vais lui demander l’autorisation de créer un parti”. C’était comme ça à l’époque. Je lui ai dit je voulais créer un parti, il m’a dit : “Il n’y a pas de problème ; je vais saisir Jean Collin pour qu’il vous donne le récépissé”. Et de là y a eu tout un background qui explique cette position de Senghor et la mienne aussi. Moi j’étais dans un groupe de recherches avec certains camarades, avec Fara Ndiaye, avec Saliou Kandji, avec Abdourahmane Cissé, journaliste ; on se réunissait tous les jeudis chez moi et nous avons lancé “Le manifeste des deux cents“, qui était un manifeste qui s’adressait aux cadres et qui n’était pas contre le gouvernement.
Il disait aux cadres : “Mais, au lieu de rester à l’écart du pouvoir et de critiquer ce que le pouvoir fait, vous qui êtes des universitaires, des spécialistes, venez donc dire au gouvernement ce qu’il faut faire et l’aider à le réaliser“. Ça, c’était la position que j’avais. Ce manifeste a eu un tel succès ; là ils m’ont dit : «Il ne vous reste qu’une chose, c’est de créer un parti. Vous n’allez pas vous en arrêter à faire signer une sorte de pétition». Alors quand la question s’est posée j’ai dit : “Oui, maintenant je suis d’accord mais il faut que je fasse des consultations”.
J’ai consulté Serigne Cheikh Mbacké ; c’était un marabout, un marabout moderne, opposant et originaire du Sénégal. Alors j’y suis allé ; il m’a dit : «Ablaye, moi, je ne comprends pas : vous, c’est le pays qui vous a payé des bourses, vous avez étudié, vous avez des compétences techniques et vous laissez le pays se détériorer comme ça et personne ne réagit». Il m’a dit aussi : “Moi, j’ai demandé à Cheikh Fall qui était à Air Afrique de créer un parti pour que je le soutienne et Cheikh Fall a dit : “Non, un parti ce n’est pas ce qu’il faut, d’ailleurs Senghor est d’accord pour me laisser la tête du pays”. Lui aussi s’était fait des illusions, soit dit en passant : il avait formé un gouvernement déposé ici à Paris et moi j’étais son ministre des Finances et puis il m’a demandé ; moi je lui ai dit : “Je suis d’accord tant que c’est pour travailler pour le Sénégal”. Mais il a compris après qu’il s’était bien trompé.

Alors Serigne Cheikh me dit :”Lui, il ne peut pas” ; il me dit : “J’ai appelé Cheikh Anta, je lui ai dit : “C’est vrai, tu as des devoirs, tu avais créé un parti le B.M.S. (le Bloc des Masses Sénégalaises) en 1963, il a été dissout, en 1975 tu as créé le F.N.S. (le Front National Sénégalais) avec les Diaistes et il a été aussi dissout, je comprends que tu sois découragé mais maintenant les circonstances ont passé et de 1965 à 1972 y’a quand même 7 ou 8 ans il faudrait que tu crées un parti et moi je vais te soutenir financièrement“. Cheikh Anta lui dit : “Non, je ne créerai pas de parti parce que Senghor avait dissout et on revient au point mort“. Donc on en était là. Serigne Cheikh m’a demandé je lui ai dit :”Moi, je veux créer un parti à la seule condition que tout le monde me laisse moi-même apprécier comment je vais faire parce qu’il ne s’agit pas d’aller dire brutalement à Senghor :”Je veux créer un parti !” Il va m’envoyer promener, mais à ma façon je le ferai. Il m’a dit :”Bon, je te fais confiance” et c’est ainsi donc que j’ai rencontré Senghor à Mogadiscio et quand je lui ai dit, Senghor m’a dit :”Y a aucun problème !
Pourquoi Senghor m’a accepté plutôt que Cheikh Anta ? Parce que moi je n’ai jamais été un opposant farouche, disons l’opposant qui se tient à l’écart et qui lance des pierres ; je n’ai jamais été ce genre d’opposant ou qui lance des paperasses sur l’adversaire, moi j’ai toujours respecté l’opinion de l’adversaire, fût-il celui qui gouverne. Donc j’étais très heureux que Senghor ait accepté de me faire délivrer un récépissé.
J’étais avec un ami, Bernetel, qui était un grand journaliste de “Jeune Afrique” et une fois que nous étions dans l’avion pour aller à Paris, on nous fait savoir par un message que la presse m’attendait, parce que j’allais créer un parti en Afrique ; alors je me dis :”Mais qu’est-ce que je vais raconter aux journalistes ?” et puis j’ai trouvé une idée : je vais leur dire, mais ce n’est pas un parti d’opposition, c’est un parti de contribution, contribution à l’évolution du Sénégal”. Alors c’est ainsi que quand je suis arrivé à Paris, les journalistes m’ont demandé, j’ai dit : “Non, je n’ai pas créé un parti d’opposition, j’ai créé un parti de contribution. Et quand Senghor l’a entendu il a trouvé ça particulièrement astucieux et lui-même rentré au Sénégal il a été assailli par son état-major lui disant : “Senghor, comment peux-tu accepter le loup dans la bergerie, le serpent dans la maison ? Mais il va tout détruire cet homme-là”. Senghor leur dit :”Mais non il n’a pas créé un parti d’opposition, il a créé un parti de contribution” ; voilà le débat lancé sur ce que c’est que la contribution. Moi j’ai expliqué la contribution : c’est la contribution au développement du pays au lieu de faire l’écart de dire non : la contribution c’est à l’intérieur de l’U.P.S. ; bon y’a eu une controverse qui a duré plus d’un an jusqu’aux élections et ça c’était en 1974.
En 1978, quatre ans après, j’ai présenté une liste aux législatives et je me suis présenté contre Senghor; alors les gens ont dit que mon opposition, c’était quelque chose de sérieux puisque je me présentais contre Senghor et je le critiquais ; on se critiquait d’ailleurs à travers les médias avec beaucoup de sincérité, mais avec beaucoup de respect, d’égard, on n’avait pas ces débordements qu’on a aujourd’hui. Mais autant la question de la contribution était réglée au Sénégal, autant les militants de la diaspora étaient en retard parce que 5 ans ou 10 ans ;  après, j’en ai rencontré certains qui me disaient : “Votre contribution etc… “‘ alors que la contribution était finie depuis 1978. Ils n’avaient pas assimilé les changements intervenus. Alors c’est ainsi donc que j’ai réalisé mon vœu qui était de créer un parti et Serigne Cheikh était très content et effectivement il a commencé à me soutenir financièrement.

Alors lorsque je suis venu au Sénégal, pendant le comité directeur, des camarades m’ont demandé de m’expliquer : ce que l’opposition me reprochait, c’est d’avoir en quelque sorte demandé à Senghor la possibilité de créer un parti. Ils m’ont dit : “Mais pourquoi tu es allé lui demander etc… “ et ils ont commencé à taxer mon opposition d’opposition de Sa Majesté. “Ce n’est pas de ça qu’on veut, on veut des gens qui se battent !” Je leur ai dit : “Ça, ce sont vos méthodes, pas la mienne“. Alors j’ai adopté une forme d’opposition qui est à la fois critique et constructive et j’ai créé un journal pour supporter toute mon action.
Quand les Africains ont vu ça, surtout les chefs d’Etat, que Senghor avait réussi à insérer une opposition alors que ailleurs le pouvoir l’a décapitée, ils se sont dit : “Mais pourquoi ne pas faire comme Senghor, admettre une opposition qui ne nous menace pas et comme ça on donnerait satisfaction à l’Occident qui nous critique parce que nous avons des partis uniques“. Et j’ai été appelé par des chefs d’Etat qui m’ont dit : “Mais réconcilie-nous avec notre opposition sur la base de ce que vous faites au Sénégal !” Voilà où ça a commencé, je n’étais pas une opposition farouche qui détruit tout sur son passage et c’est ainsi que pour vous donner des exemples, j’ai été en Côte d’Ivoire, j’ai été réconcilier Gbagbo et le président Houphouët-Boigny, j’ai fait la Guinée, j’ai fait le Gabon, et au Gabon j’ai réussi à amener le chef de l’opposition qui était l’Abbé Mba auprès de Bongo qui l’a nommé et qui l’a soutenu pour qu’il soit Maire de Libreville. Bongo m’a dit : “Mais c’est très bien je vais le nommer Maire et s’il est capable de quelque chose, il n’a qu’à le montrer!” Eh bien Bongo l’a nommé Maire et puis plus tard il le nomme vice-président. Bongo est un homme qui est très intelligent et il me disait : “Viens, tu vas faire une conférence pour mes gens-là, tu vas leur expliquer ce que c’est que l’opposition” et je faisais des conférences, les opposants venaient me voir et je leur expliquais à mon avis comment il fallait s’y prendre. Alors voilà donc ce qui m’a amené au cœur de la médiation en Afrique et après plusieurs médiations qui ont donné beaucoup de succès. Et lorsque je devins plus tard ministre d’Etat de Abdou Diouf, quand il était sollicité, c’est à moi qu’il confiait le dossier.

Q : À partir de 1991 ?

Wade : Oui, j’ai fait deux séjours dans le pouvoir de Diouf vers 1991-1992, et c’est ainsi quand il a été sollicité pour le Zaïre ; il m’a dit : “Ablaye, dis-moi ce qu’il faut faire“. Je lui ai dit : “Moi je vais y aller et je vais les réconcilier.” Et puis comme je l’ai fait à Paris, j’ai dit : “S’il ne reste que les discours, les signatures, vous venez ! Il me dit : ” C’est très bien !” Alors je suis allé donc au Zaïre, reçu par Mobutu qui m’a dit : “Voilà, essayez de nous réconcilier, essayez de faire quelque chose”.
Le Zaïre était dans une situation tellement compliquée. Le chef de l’opposition était Etienne Chisekedi et, dans son opposition, il avait de très hautes personnalités, des sénateurs, des anciens ministres, et je me rappelle que la situation politique du Zaïre à l’époque ne laissait aucune place à l’opposition si bien que les chefs de l’opposition s’étaient exilés, ils allaient ailleurs mais pas question de faire de l’opposition au Zaïre à Kinshasa. Et Mobutu, dans sa duplicité, un jour lance un appel aux opposants de l’extérieur en disant : “Venez, on va causer entre frères ! et puis ils sont venus ; il les a reçu et il les a tous pendus. Il y’a ce qu’on appelle les « pendus de la Pentecôte ».
C’est quelque mois après ces tristes événements que je suis arrivé au Zaïre et que j’ai entrepris de réconcilier Mobutu et les opposants. Mobutu avait comme premier ministre * ** il la tué après : auparavant, il l’a mutilé, il lui a faire des choses jusqu’à ce qu’il sorte du Zaïre sur chaise roulante pour aller se faire soigner en Afrique du Sud. Alors, quand je suis arrivé, je suis allé voir les chefs opposants chez eux-mêmes pour leur dire pourquoi j’étais venu, que moi je n’étais avec personne, que je suis dans l’opposition là-bas, mais que suis là pour écouter les uns et les autres pour aider les Zaïrois eux-mêmes à trouver leur propre chemin, d’installer un dialogue démocratique où chacun gagne. Je suis allé voir Chisekedi, chez lui ; les jeunes l’appelaient Moïse et les gens le considéraient comme un prophète. On a discuté, je lui ai expliqué et lui était tout à fait d’accord.
J’ai dit : “On va créer un forum avec tous les partis d’opposition que je vais présider et je vais écouter les uns et les autres pour voir sur quoi sur quelle plateforme nous sommes d’accord et cette plateforme je suis prêt à la présenter à Mobutu“. Tout le monde est d’accord. Alors je suis allé voir le doyen de l’époque qui était un ancien sénateur de la période de Lumumba et puis un jour j’ai présidé cette grande réunion de l’opposition. Je dois vous dire qu’en direction de cette réunion, j’ai eu beaucoup de difficultés parce que beaucoup de gens voulaient me décourager et me demander de laisser tomber. Habib Thiam m’a envoyé l’ambassadeur du Sénégal pour me dire qu’il fallait abandonner et partir ; j’ai dit non : moi je n’abandonne pas, je ne peux pas commencer quelque chose et abandonner et j’ai poursuivi.

Q : De la part d’Habib Thiam, c’était clair : il ne voulait pas qu’il y ait des dividendes…

Wade : Alors j’ai siégé avec l’opposition le matin, le soir et un jour nous avons siégé jusqu’à deux ou trois heures du matin. Mobutu habitait le Méola, son bateau, et quand je rentrais dans cette espèce de camp, lui était toujours à la lucarne de son bateau pour voir ce qu’il y a dehors et il m’a vu venir le lendemain. Il me dit : “Mais vous êtes rentré tard, je vous ai aperçu“. Alors je lui rendais compte et il me demandait de poursuivre. Il me dit : “Le plus virulent-là, celui qui était au fond à votre droite, lui il m’en veut parce que j’ai pendu son père”. Iil m’a dit que son père faisait partie des « pendus de la Pentecôte » ; voilà comment il parlait.
Et puis nous avons élaboré une plateforme acceptée par l’opposition mais alors refusée par le parti de Mobutu ; chaque fois qu’on se mettait d’accord sur quelque chose, il le remettait en cause quelques heures après. Alors un soir, j’ai dit au secrétaire général du parti de Mobutu : “Mon cher ami, moi je suis venu vous aider, si vous remettez tout en cause, je vais vous laisser là et je vais repartir, et je vous préviens : le président Diouf doit décoller demain matin à 8h de Paris pour venir pour la signature, si vous n’êtes pas d’accord je lui dis de ne pas venir et moi je prends mon avion et je m’en vais parce que j’en ai assez. Qu’est-ce que vous voulez ? On vous a dit : dites-nous franchement ce que vous voulez ; vous l’avez dit, on a essayé d’établir un document de compromis sur lequel vous étiez d’accord et maintenant vous amenez des amendements ici là“. Et le lendemain je l’appelle et je lui dis : “Dites-moi, vous avez 5 minutes pour me dire si vous êtes d’accord sur le texte ou pas et si Diouf vient ou pas” et il me répond : “Non, il peut venir !” et c’est ainsi que j’ai téléphoné à Abdou Diouf et il est venu.
On était avec Mobutu, on a discuté, etc. et on a fait la signature l’après-midi. On est allé dans la salle parce que je lui avoue un antécédent important : Chisekedi avait été nommé Premier ministre par Mobutu, Mobutu avait fait une cérémonie pour l’installer comme premier ministre et Chisekedi a créé un incident au moment de la signature, un peu comme Napoléon avait arraché la couronne au Pape pour mettre sur sa table. Il avait fini par signer mais il avait mis qu’il ne reconnaissait pas le pouvoir de Mobutu, que c’est lui qui allait gouverner. Mobutu lui a dit non et Mobutu a déconné. Donc voilà dans quelles circonstances nous nous sommes réunis : ils étaient tous là et je prends la parole. Je dis : “Voilà comment nous en sommes arrivés là, maintenant il ne reste que les signatures”. Chisekedi pensait que s’il signait, Mobutu le nommait premier ministre. Mobutu m’avait donné son accord en me disant que s’il signe il le nomme premier ministre, au moment où nous étions dans la salle où je faisais mon discours, et même j’avais fini de faire mon discours ; le vieux sénateur chef de la délégation de l’opposition était en train de parler. Abdou Diouf me dit en Wolof : « Mais Ablaye celui-là qui est à côté de moi, il n’est pas d’accord hein ». Je lui ai dit : “Comment il n’est pas d’accord ?” Il me dit : “Il remet tout en cause“. Je lui dis : “C’est pas possible !”. Il me dit : “Si : il dit que lui il ne signe pas”. Je lui dis : “Il m’a donné son accord et il ne signe pas.” Il me dit : “C’est comme ça ; tu n’as qu’à voir comment redresser ça en wolof”.

J’ai demandé une minute de suspension, 5 minutes de suspension. Je me suis retrouvé avec Diouf et Mobutu. J’ai dit au président Mobutu : “Comment ?” Il me dit : “J’ai réfléchi : mon peuple ne comprendrait pas que je signe un document avec Chisekedi.” Je lui dis : “Mais vous n’êtes plus d’accord sur ce qu’on s’est dit ?” Il me dit non comme ça, froidement. Alors moi je me trouvais dans une situation difficile et bon on n’est resté quelque temps puis on revient dans la salle ; je prends la parole et parce que je ne voulais pas que l’opposition croit que je les ai piégés, j’ai dit : “Écoutez : c’est bien dommage, le document-là le président Mobutu m’avait bien donné son accord et c’est ici dans la salle qu’il a parlé à Diouf et lui a dit qu’il n’allait plus signer parce qu’il n’est plus d’accord ; alors donc je l’apprends en même temps que vous et vraiment je vous présente mes excuses”.
Les gens se sont levés et le lendemain y’a un journal qui titre que c’était un échec. Chisekedi n’était pas content parce qu’il pensait sortir premier ministre et après une certaine controverse dans la presse, moi je suis parti ; j’ai quitté mais après la presse a repris les événements en disant que ma démarche avait été un succès malgré tout parce que j’avais réussi à mettre ensemble Mobutu, Chisekedi et tous les autres opposants autour d’une table et le vieux sénateur dans son discours me disait : “C’est le ciel qui vous envoie parce que nous, au Zaïre, on avait besoin de quelqu’un pour venir nous réconcilier, etc…
Voilà donc comment ça s’est passé l’histoire de la réconciliation au Zaïre : je n’avais pas réussi à mettre en place un gouvernement.

Q : Quand est-ce que vous avez pensé aux conséquences de cette sorte d’échec entre Zaïrois parce qu’en fait vous avez fait ce que vous deviez faire ?

Wade : Non ! J’étais finalement très content parce que tout le monde était d’accord que sans cette conciliation, c’était l’affrontement parce que l’opposition avait décidé de manifester et Mobutu avait dit : “S’ils manifestent je tire dessus !”