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Mâchoire carrée : L’encre élégante de Sadany Sow

Littérature

Sadany Sow en déphasage avec l’homme

dans ” La mâchoire Carrée “

C’est Caïn, dans la Bible, avec sa mâchoire d’âne. C’est l’individu premier, qui se sert de sa mâchoire pour imposer sa puissance à une nourriture carnée séchée des plus revêches. C’était dans les temps anciens. Sadany romance cette métaphore avec son livre : une mâchoire serrée, carrée ou prognathe de surcroit, serait signe de nervosité, pour dire le moins. Bonne lecture !

Avec un parcours assez riche, Sadany Sow journaliste de profession et diplômée en critique cinéma enfile sa camisole d’écrivaine pour dépiécer le caractère d’un macho. Sa casquette d’écrivaine lui a permis de décrocher l’attention de la maison d’édition “Nuit et jour”. Rien n’est pardonné à ” La mâchoire Carrée”.


1/Parlez-nous de vous.

Mon cursus au lycée mixte Maurice Delafosse m’a beaucoup permis de me parfaire. M. Ndiaye, je me souviens, c’était mon professeur de Français. Pédagogue, il avait le talent de nous hypnotiser avec sa belle voix lorsqu’il nous racontait le Cid de Corneille. Il avait développé ma passion pour la lecture. Après, j’ai enchainé la formation en journalisme communication à Ensup Afrique puis j’ai pratiqué le journalisme dans quelques maisons de presse dont la 2STV avant d’atterrir au Devoir ou j’édite en tant que chef du desk Culture. En parallèle, j’ai fréquenté Kourtrajmé, une école de cinéma ou j’ai été formée en tant que scénariste et réalisatrice de film mais bien avant j’ai été diplômée en critique cinéma au festival Dakarcourt  initié par le réalisateur Moly Kane. Sans modestie, je dois vous dire que j’ai une encre qui fuse avec élégance. Ce qui me permet d’ailleurs d’explorer tous les angles d’écritures possibles. Je suis très captivée par la liberté créatrice et la façon dont l’écriture peut être utilisée pour raconter des histoires fascinantes. C’est la raison pour laquelle je suis constamment à la recherche de la formule parfaite. Me voilà donc romancière !

2/D’où vient cet attachement à l’écriture ?

J’ai très tôt été initiée à la lecture par ma mère qui m’apprenait avec patience, amour et précision à lire, à reconnaître les mots, à marquer les ponctuations, à comprendre le sens des phrases, à déduire l’intention des dialogues, à bien maîtriser la prononciation des mots. À l’époque, l’environnement au Sénégal était encore favorable pour la concentration, il n’y avait pas encore d’éléments perturbateurs (Tiktok, whatsapp, youtube). C’est donc à 7 ans que je suis tombée amoureuse des livres. Je lisais même des interviews dans les magazines pour ensuite reprendre les dialogues avec mes différentes cordes vocales et après je les faisais écouter à mon père et ma mère qui avaient du mal à reconnaître ma voix. C’est d’ailleurs persuadés de mon talent qu’ils m’ont soutenue dans ma carrière de journalisme en m’inscrivant à l’école pour une formation en journalisme communication.
Cet amour grandissait avec l’âge, j’ai commencé à lire tout ce qui est écrit. Mon oncle Pape Cima Cissé m’a offert un bouquin  ” Alice et le vison “, un roman policier de Caroline Quine qui m’a transmis cette passion d’écrire. J’aimais le roman parce que c’est mon oncle qui me l’avait offert avec tellement d’amour, mais aussi parce que le livre était bien écrit : un dialogue mesuré, des personnages intrigants, drôles et bienveillants… en lisant, je ressentais le froid que Caroline décrivait aux Adirondack (État de l’Amérique de nord), je m’étais familiarisée avec les personnages, je connaissais leurs habitudes, leurs craintes, et désirs. Donc, après avoir plus de 20 fois lu ce roman, j’ai décidé de tester ma passion pour l’écriture. Depuis je ne me suis plus arrêtée.

3/Pourquoi “La mâchoire carrée ” ?

Certaines personnes, surtout les hommes, qui ont une mâchoire carrée dégagent souvent un air arrogant à l’image ;  j’ai donc voulu métaphoriser mon personnage principal, Nestor, qui est décrit comme étant un homme froid et arrogant avec une mâchoire carrée est tout le temps contractée par la colère.

4/Qu’est ce qui vous a motivé à donner au livre un tel titre ?

J’adore les titres métaphoriques qui suscitent la curiosité et incitent à la réflexion. Ce n’est pas pour rien que je suis journaliste  au Devoir (Rires…) : c’est la plus grande rédaction qui édite avec des Unes accrocheuses. Mes respects au doyen Pathé Mbodje.

5/Pourquoi vous n’avez pas choisi la version électronique, vu le stade de digitalisation auquel nous assistons ?

C’est en étant consciente que nous sommes à l’air numérique que j’ai depuis 6 ans publié sur wattpad, (un réseau social où les utilisateurs peuvent éditer). J’ai mis en ligne 8 œuvres dont la plus célèbre : ” Crédule “, avec 207 mille lecteurs et 26 mille votes. Mais pour ma première édition, j’ai opté pour la version papier. C’est extrêmement apaisant de feuilleter, d’être en contact direct avec les mots que nous touchons pour lire.

6/Avec cette œuvre, n’êtes-vous pas en train d’aborder un sujet tabou dans la société sénégalaise ?

Effectivement! j’ai posé un regard sur le mariage sénégalais après le drame social qui s’est passé au Sénégal : Un homme qui s’est donné  la mort après avoir tué ses trois enfants, laissant une lettre à sa femme. Ce drame social qui a effrayé la population sénégalaise, pour moi, méritait d’être profondément traité du point de vue psychologique. Cela m’a motivée à écrire, à me questionner. Quel est le rôle de la posture paternelle ? L’éducation des hommes en Afrique ne rend-elle pas l’homme égocentrique ? le divorce est-il une fatalité pour la femme ? Ce sont ces questions tabous que je me suis posée dans ce roman, ” La mâchoire carrée “. 

7/Ne dévoilez-vous pas votre féminisme à travers votre livre ?

Après…bon, le féminisme ? Cela dépend. Si c’est celui qui véhicule les consignes de Dieu qui impose à l’homme le respect, la bienveillance vis-à-vis de la femme, et à la femme, la soumission et l’obéissance vis-à-vis de l’homme, alors oui.

8/Comment êtes-vous entrée en contact avec l’éditeur pour publier votre premier livre ?

Disons par l’intermédiaire d’un ami journaliste Babacar Sy Sèye qui a l’habitude de lire mes œuvres. Il m’a pratiquement forcé à envoyer mon manuscrit à la maison d’édition ” Nuit et Jour ” et m’a mis en contact avec Waly Ba. Après, Samba Mballo, artiste comédien et metteur en scène, a pris le relève jusqu’à ce que ça aboutisse. Je ne cesserai de les remercier pour les efforts fournis à mon endroit de manière effacée et avec abnégation.

 

Entretien dirigé par

Khadidiatou GUEYE Fall,

Cheffe du Desk Société