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Chronique : La lutte, ça me frappe

Lutte politique  avec frappe

La chronique de notre correspondant en France

Cela avait commencé le 14 juin dernier avec Vovo Bombyx

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Dans « l’arène politique » sénégalaise, deux hommes s’affrontent à distance.
Les sociologues et les psychologues devraient pouvoir nous aider à mieux comprendre les bases sociologiques et psychologiques de la « lutte politique »
Et surtout l’irruption de la jeunesse sur la scène politique, avec ses formes de lutte.
Les Sénégalais aiment la « lutte avec frappe » et les journaux consacrent des pages entières et des photos aux combats de lutte : combats passés et surtout combats à venir…
Les télévisions font la même chose…
Des « écuries de lutte » ont été créées sur presque toute l’étendue du territoire.
La lutte sénégalaise ( lutte avec frappe) est un « sport populaire »
Les spécialistes européens et/ou américains ne connaissent pas les bases sociologiques et psychologiques de la lutte en Afrique, au Sénégal en particulier.
Les experts sénégalais en « sciences politiques » qui enseignent cette science devraient se rapprocher des sociologues et des psychologues pour étudier de plus près les nouvelles formes de l’affrontement politique où le « discours » est devenu « guerrier ».
Le discours dépasse le vocabulaire…
Ils pourront alors mieux comprendre mais surtout mieux expliquer les « luttes politiques » qui se déroulent sous nos yeux.
La jeunesse a ses idoles dans l’arène (sportive).
Je m’interroge sans être ni sociologue ni psychologue encore moins expert en sciences politiques sur l’apparition récente de la « lutte politique avec frappe »
Des concepts nouveaux devraient pouvoir être forgés pour « éclairer nos lanternes ».
Voilà pourquoi je regrette beaucoup la disparition de notre ami Raphaël Ndiaye (paix à son âme) philosophe et linguistique, qui a écrit un livre intitulé « Lutteurs de légende ».
C’était son dernier ouvrage je crois ( à confirmer)
Sa vision était prémonitoire comme celle de tous les « rois de la mer »…
Bien sûr l’économie tiendra toujours sa place dans l’apparition des crises sociales mais un « phénomène nouveau » est apparu et il convient de bien le comprendre afin de mieux l’interpréter.
Vovo Bombyx
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L’apprenti ethnologue que je suis ne saurait épiloguer longtemps ou même expliquer ce phénomène nouveau survenu durant ces temps-ci au Sénégal. Il s’agit bien évidemment de la « lutte politique avec frappe ». Un journal, Le Devoir, qui tente de cerner le problème, m’a poussé à en deviser.
La question qui se pose est de chercher où trouver la provenance d’un tel comportement, jamais enregistré dans l’histoire politique du Sénégal. Faudrait-il fouiller dans les racines profondes de notre passé africain pour essayer de l’élucider ?
Est-il que les psychologues, les sociologues et hommes politiques devraient chercher à trouver l’origine profonde de ce ras-le-bol, qui démantèle notre pays ? En tout cas, une telle mutation dans le landerneau politique sénégalais jadis estampillé de société paisible et conviviale a vu le jour durant ces toutes dernières années.
Le « Mougne », le « Diome » et la « Téranga » jadis vantés ont aujourd’hui complètement foutu le camp à entendre, écouter et voir ce qui se passe dans notre pays. Ce que le journal de Pathé Mbodj appelle « la lutte politique avec frappe » est dérivé de la loi du Talion émanant de la lassitude qu’ont les jeunes désœuvrés, qui veulent faire justice par eux-mêmes. La recrudescence de la « lutte avec frappe » au détriment de la « lutte dite simple », émane d’une envie plus osée à plus de répondant et de visibilité, sur le plan financier et physique, des jeunes d’aujourd’hui.
La violence devient peu à peu un cri de guerre et une marque de fabrique dans le langage, le comportement et dans les jeux, à l’image du « Pancrass » que me rappelait mon frère M. Diop dit « Mike ». Elle s’installe à l’intérieur même des familles.
Or, dans les lieux de concurrence et de duel, s’observe la remarque des ennuis à chaque fin de compétitions sportives qui entrainent des remous. Conjointement, la fin des « Navétanes » pendant la période de l’hivernage et durant les grandes vacances scolaires a exacerbé un tel phénomène qui perdure depuis longtemps. Apprendre à devenir un vrai sportif n’est plus de notoriété. « Nos erreurs n’émanent pas de nous, mais c’est la faute aux autres », lancent certains éberlués. D’où on refuse de s’assumer par ignorance ou par hypocrisie. Les écuries de lutte et les équipes de foot ne se font plus de cadeaux. Des entités qui habitaient côte-à-côte harmonieusement se détestent royalement aujourd’hui et pour cause, ils se jettent des pierres à tout va.
Cet aspect social délétère entre riverains est une nette manifestation de mécontentement sous-tendue par une nouvelle violence gratuite, allant de la destruction des biens au crime de sang.
La civilisation avait éteint nos rivalités sauvages d’antan. Nos écoles et nos religions ont forgé des hommes de paix qui pensaient construire un monde où il fera bon vivre.
Mais la concurrence déloyale d’aujourd’hui, le mensonge et la méchanceté n’apaisent pas la hargne des jeunes qui, au fond d’eux-mêmes, ne croient plus à rien.
Nos instincts grégaires non encore vaincus resurgissent à défaut de l’oisiveté, l’injustice, le manque de démocratie et d’avenir. L’ostentation de certaines richesses, l’opulence, l’incertitude et la peur d’un avenir prometteur plombent notre vécu quotidien.
Nos douleurs enfouies depuis des lustres peuvent, selon des situations de crise, de guerre, de famine ou d’incertitude, exploser comme pour nous ramener au Moyen-âge.
Les violences politiques exacerbées par la furie de jeunes qui attaquent délibérément leurs concitoyens en détruisant et en emportant tout sur leur passage, trouvent leurs sources dans le chômage et l’oisiveté.
La marche claudicante de l’État, comme pour narguer le peuple sous le regard narquois d’une petite classe de privilégiés, de familles nanties, de laudateurs, de copains et coquins, renseigne sur la profondeur du mal-vivre. Voilà que deux classes antagonistes se font face de façon nette.
Le résultat se voit entre la capitale Dakar, ville huppée ou vivent des milliardaires, et la banlieue restée en l’état sans aucune perspective d’avenir. La résurgence du nombre exponentiel de jeunes sans avenir et qui ne croient plus au baratin politique devient la bombe à retardement dont on entrevoit aujourd’hui les prémisses.

Tidiane SÈNE,
Toulouse