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Amadou Bâ-Macky Sall : Le cœur a ses raisons

Amadou Bâ candidat de Macky Sall

De cœur ou de raison ?

Entre le président de la République et ses collaborateurs, il n’y a ni amitié, ni code d’honneur ni fair-play. Amadou Bâ arrivé à la station primatoriale sait que c’est par une coïncidence de circonstances ; ainsi de son choix comme porte-étendard combattu au sommet et à la base. Il doit désormais prendre ses propres repères, sa voie, sa liberté. Le récent remaniement pourrait cependant être bénéfique à un candidat que Benno  est obligé de supporter, même du bout des lèvres.

Par Habib KÂ,

correspondant à Matam

Peut-on croire que cette dissolution du gouvernement à vingt-cinq jours du départ du président de la République est faite pour uniquement libérer le Premier ministre Amadou Bâ des contraintes trop astreignantes de ses fonctions et responsabilités qui impacteraient sa campagne ? Si oui, pourquoi ne pas le laisser lui-même présenter sa démission et démontrer ainsi aux Sénégalais qu’elle l’est en concertation avec le chef de l’État ?
Amadou Bâ est-il le candidat de cœur et de raison du président sortant ?
S’il est Premier ministre, on pourrait supposer que c’est par une coïncidence de circonstances : Aminata Touré, directrice de campagne de la coalition Bennoo Bokk Yaakaar (BBY) des élections législatives de 2022, qui, sur le point d’être acclamée présidente de l’Assemblée nationale, s’était vue signifier en pleine séance que le choix du président de la République ne portait plus sur elle mais sur Amadou Mame Diop. Ce qui prouve qu’entre le président de la République et ses collaborateurs il n’y a ni amitié, ni code d’honneur, ni fair-play ; il est prêt à les utiliser en toutes situations, au mauvais moment comme au mauvais endroit. Lui-même Amadou Bâ s’était étonné de la célérité dont il avait été précipitamment convoqué et nommé Premier ministre.
À son investiture, Macky Sall s’était cependant empressé de se faire renouveler son statut de président de l’Alliance pour la République (Apr), un réflexe d’anticipation d’un prochain duel au sommet du parti pour son contrôle. En effet, qui dirige l’État dirige le parti.
Dans vingt-cinq jours, Macky Sall commencerait à être délaissé par ses laudateurs qui l’enfonçaient, l’enflammaient, sachant que la caisse noire fermée, sa signature invalidée, ses déplacements à toute heure, tout jour dans les airs avec toute une fanfare courtisane finis, ils lui tourneront le dos à jamais. Ils l’avaient fait avec Abdou Diouf, fait avec Abdoulaye Wade. Pire : ils feront avec lui.
Le Sénégal est ainsi fait. Un monde qui s’en va, un pouvoir qui se perd, des dieux qui ne répondent plus par leurs noms, prélude d’un soleil qui se lève, celui d’un des 19 candidats retenus par le Conseil constitutionnel et d’un autre qui se couche, le sien. Il n’est plus dans ce monde, dans ce combat. Il doit se résigner à restaurer la paix, organiser démocratiquement le jeu électoral, quitter la scène à temps, partir dignement.
Le Premier novembre 2020, il avait limogé Amadou Bâ en même temps que cinq de ses pairs, tous des têtes bien faites du gouvernement. Après une traversée du désert, l’ancien ministre de l’Économie et des Finances qui espérait revenir par la porte de la mairie des Parcelles assainies fut combattu systématiquement par ses propres camarades de parti et pas des moindres : Mbaye Ndiaye (directeur des Structures du parti), Abdoulaye Diouf Sarr (coordonateur des cadres de l’APR), Mame Mbaye Niang (chef de cabinet politique du président de la République). Ils préféraient le transhumant Moussa Sy, son adversaire irréductible, nommé PCA du Port autonome de Dakar (PAD) et gratifié d’un salaire de 7 millions de francs cfa. Le poste échoit sur les mains bien bénies d’un jeune locataire, militant du Pastef.

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De cœur et de raison, de manière tiède ou enthousiaste, Benno soutiendra son candidat, faute d’alternative.

En ce sens, le remaniement de vendredi est une belle donne pour Amadou Bâ, contrairement à certaines analyses”.

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En mai 2019, le président de la République avait supprimé le poste de Premier ministre. Son plan : tenir par le nez les têtes débordantes de son gouvernement et s’assurer une troisième candidature. Si ce n’était pas cela, il aurait choisi un dauphin, et avec sa puissance jupitérienne d’alors, autour de celui-ci, faire faire l’unanimité.
Pour une première depuis 2012, l’Alliance pour la République (Apr) gagnait d’une courte queue ou tête des élections à Dakar, la Présidentielle de 2019. Les lendemains, Amadou Bâ se fait titrer et surnommer “Patron de Dakar”, chose que ne voulait laisser prospérer le président fraîchement réélu qui veillait au grain : très rapidement, il mit fin aux spéculations. Point de patron de Dakar.
Amadou Bâ peut-il désormais prendre ses propres repères, sa voie, sa liberté ou resterait-il inféodé au giron d’un président qui en a assez des choses de la République ?
Continuerait-il de dire : “Si je suis élu, ce sera comme si c’est le président partant qui l’est” et lui assurer la continuité de son pouvoir et celle du plan Sénégal émergent (Pse) ?
Ou deviendra-t-il un homme politique libre, libéré, qui s’affirme et discute sans sens interdit avec tout le monde, quitte à se retrouver avec ses anciens petits frangins pestiférés pastéfiens?

Pullo Jaasi