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Théâtre : Emigrer avec le sourire

Culture du théâtre au Sénégal avec Rescap’Art

Rire et s’instruire

“De A à Z” a remporté le prix de la diversité culturelle aux journées théâtrales de Carthage de la Tunisie en 2018. C’est une pièce de théâtre engagée, que Ibrahima Sarr, artiste comédien de formation, élève sortant de l’École nationale des Arts (Département d’art dramatique), metteur en scène de Rescap’Art a le plaisir de présenter dans cet entretien.

Dirigé par Chérifa Sadany Ibou-Daba SOW,
Cheffe du Desk Culture

Pouvez-vous résumer le contenu de la pièce “De A à Z” ?

Cette pièce nous parle de quatre jeunes qui veulent émigrer, chercher un nouvel espoir dans d’autres horizons. Cependant, ils empruntent le chemin de l’émigration clandestine. Ils rencontrent de nombreuses difficultés et obstacles. Ils ne se connaissent pas car ils viennent de divers horizons en Afrique. Dans cette pièce, on montre aussi comment les Africains sont divisés par les autres (aucun pays n’est explicitement mentionné). On y examine comment l’autre parvient à nous diversifier, à semer la discorde parmi nous Africains. L’objectif est de mettre en lumière les défis de l’Afrique en comparant le passé et le présent.
Je pense bien que la colonisation n’est pas encore finie. Je pense qu’elle s’est juste modernisée. Quand je prends l’autoroute à péage pour laquelle nous avons commencé à payer il y a une décennie et que nous continuons à payer sans que nos enfants, nos petits-frères, nos mères qui peut-être n’ont pas fait d’études le sachent, c’est inquiétant.
“De A à Z” essaie de relater tous ces faits-là à travers le voyage, l’émigration clandestine. On a essayé de la jouer en 1h 20 minutes. On a fait avec cette pièce une tournée nationale dans les régions du Sénégal. On l’a aussi jouée ici, à Blaise Senghor, le 4 janvier dernier. Tout le monde a apprécié la direction du centre culturel.

Selon vous, quelle doit être la position des Africains pour que l’autre (pour réutiliser votre propre terme) arrête de diviser les Africains, et de faire en sorte que le développement de l’Afrique prenne son envol ?

Je pense que ça doit commencer par nous d’abord. On a tendance à dire que l’ennemi de l’Afrique, c’est l’Africain lui-même. C’est en Afrique que tu vois l’Africain qui ne veut pas que son prochain réussisse. C’est en Afrique que tu vois cet individu qui peut aider son prochain mais qui ne le fait pas. C’est en Afrique que tu vois un homme qui n’accepte pas de faire un travail dans son continent mais qui accepte de le faire en dehors de l’Afrique. Alors, la question qui se pose est de savoir si c’est la jeunesse qui est inconsciente, si nos dirigeants sont incompétents, ou si les éléments nécessaires au développement sont présents. Toutes ces questions méritent d’être posées.

La jeunesse a une part de responsabilité là-dessus : la plupart des jeunes veulent quitter le Sénégal. Mais dans notre groupe Rescap’Art, nous avons tous la chance d’avoir voyagé plusieurs fois, de représenter le pays et revenir. Nous avons des amis qui sont sortis du pays mais ne sont jamais revenus. Je ne les blâme pas, mais je me demande si tout ce qui devrait être là pour les retenir et continuer leur travail est sur place. Si ce n’est que voyager et revenir sans pour autant pouvoir soutenir tes besoins familiaux, alors là je ne les condamne pas ; ils ont leur raison. Peut-être que l’endurance qui est chez moi, Charles, elle n’est pas chez une autre personne ; peut-être que la patience que j’ai, une autre jeune ne l’a pas. Alors, pour moi, nos dirigeants tout comme les jeunes doivent revoir leurs méthodes.

Pourquoi la pièce porte le nom de “De A à Z” ?

Parce que nous avons voulu relater les événements qui se sont déroulés jusqu’à nos jours. Nous n’avons voulu rien laisser au hasard, en relatant tous les faits. Nous avons tout posé sur la table. Nous ne sommes pas venu par dire au gens que nous avons raison et que les gens de l’autre rive ont tort. Nous sommes venus exposer un problème et chacun à son mot à dire la dessus. C’est ce qui explique le nom “De A à Z’’

Parlez-nous des costumes et du décor !

Puisque ce sont des jeunes qui partent en voyage, ils s’habillent naturellement comme ces candidats à l’émigration. Ils portent surtout des costumes de ville. Au niveau de la décoration, nous n’avons pas eu beaucoup de décors. Nous avons juste pris des cubes avec lesquels nous avons travaillé. Les cubes, quand on les rassemble, symbolisent l’Afrique (sa carte). Mais lorsque les cubes sont dispersés, chacun part avec une partie de l’Afrique. Cela signifie que lorsque nous sommes unis, nous sommes plus forts.

Commentaire !

Pr Massamba Guèye s’adresse aux comédiens de Rescap’Art :

“Vous êtes passés d’une compagnie à une troupe. Une compagnie de théâtre, c’est une structure organisée dans laquelle évoluent des comédiens à partir de productions et d’une administration dans le cadre d’une vision artistique. Maintenant, cette compagnie devient une troupe quand elle vit et respire en humain dans une solidarité fraternelle… Vous êtes devenus une troupe parce que vous êtes devenus frères”.