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Souveraineté alimentaire : Si, et seulement six

L ‘AGRICULTURE PAYSANNE A L’ÉPREUVE DE LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE

La méthode Mabouba Diagne ?Une bonne graine                         si et seulement six…

La ruralité n’est pas un frein à la modernisation. C’est la principale faiblesse de la nouvelle vision du ministre Mabouba Diagne en butte à un foncier qu’il essaie de contourner par fermage ou métayage. Des conditions existent cependant pour que la bonne graine ne meure. Six, et seulement six.

L’avènement au pouvoir des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) a redonné espoir au paysannat harassé par une agriculture devenue quasi-improductive. Cette caractéristique est induite principalement par des contraintes climatiques survenues en 1973 (la sécheresse et la désertification). Une caractéristique exacerbée par des lacunes criardes dans la déclinaison et le déroulement des politiques agricoles, particulièrement celle qui a été faussement dénommée Nouvelle politique agricole (NPA) en 1983.

Articulée à l’idée qu’une révolution agraire était possible au moyen d’un engagement fort des opérateurs privés, cette NPA était en réalité un coup de pioche asséné au paysannat accusé à la limite de paresseux, du fait d’une assistance soutenue par l’État.
En effet, le contexte ci-dessus rappelé était une des conséquences des Programmes d’ajustement structurel sous l’instigation des institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et Fonds monétaire international.) Le Sénégal était pourtant dans une bonne dynamique d’intensification agricole, avec des structures d’encadrement stratifié pour un suivi pointu des exploitations en passe de surmonter les contraintes climatiques, grâce aux résultats de la recherche agricole. Malgré la modicité de ses moyens, l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA) avait gagné le pari de la résistance à la sécheresse. Les variétés de semences mises au point par les généticiens avaient permis aux agriculteurs de s’adapter.

NOUVELLE VERSION

DE LA RÉVOLUTION AGRAIRE

Après la NPA de 1983 et la fameuse Grande offensive pour l’agriculture et l’alimentation (GOANA) sous l’ère Me WADE, le Sénégal entend évoluer de nouveau avec le concept de la souveraineté alimentaire. Un pari louable et révélateur de la méthode Mabouba Diagne, ministre de l’Agriculture. Fort de son expérience dans l’exploitation agricole privée, le Dr. Diagne cherche manifestement à instaurer un système équilibré, entre le fermage et le métayage, pour transcender l’épineuse équation du régime foncier. En passe d’être adoptée comme une nouvelle révolution agraire, la vision du ministre n’en comporte pas moins un biais susceptible d’entraîner une défiance du paysannat qui, en dépit de ses limites techniques, entend pérenniser les valeurs de la ruralité qu’il serait inexact de percevoir comme un frein à la modernisation.
Cependant, au-delà de cette appréhension, il nous paraît tout de même juste de soutenir que la nouvelle option de l’État est la manifestation d’une volonté politique dont les indicateurs ont pris forme depuis mai 2024. En attestent les ressources budgétaires (cent-vingt milliards) accrues pour réunir les conditions d’une campagne agricole performante, tant de par les rendements que par les prix aux producteurs, pour une rémunération respectueuse des efforts paysans.
Cependant, il serait exagéré de considérer que cette nouvelle option dite de souveraineté alimentaire est une panacée. Sa fiabilité dépend de plusieurs facteurs dont les plus importants sont énumérés ci-dessous :

√ L’élaboration, en bonne et due forme, d’une politique agricole en substitution aux projets interventionnistes dont la mise en œuvre engloutit des financements élevés, pour des résultats peu contributifs dans la recherche de la performance agricole ; 

√ La reconstitution intelligente d’un système d’encadrement agricole et rural souple. Le rôle et la place stratégiques de cet encadrement doivent être définis en droite ligne des objectifs de développement. En amont comme en aval, cet encadrement doit être en première ligne pour recueillir les intentions de cultures, de préférence intensives ; soutenir les paysans dans l’amélioration des pratiques culturales et plus largement les systèmes agraires avec des équipes pluridisciplinaires. Ainsi, les statistiques agricoles pourront être établies avec plus d’objectivité. Exit donc l’extrapolation inspirée d’une manipulation sans cesse répétée par les régimes politiques au Sénégal depuis l’An 2000 ;

√ Entre autres critères majeurs, on retiendra que la recherche agricole, dans ses composantes appliquée et fondamentale, doit jouer un rôle de premier ordre pour asseoir les bases du développement agricole. Lorsque les moyens seront à la hauteur des ambitions, nous pourrons affirmer que l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA) assurera les semences de base qu’il faut pour la diversification des cultures avec des rendements élevés.
En ce qui concerne la fertilisation, il y a lieu de faire remarquer que la fabrication, qualitative et quantitative des engrais complexes doit correspondre à une bonne cartographie des caractéristiques pédologiques. Ensuite, pour que La subvention des prix influe sur les performances agricoles, les engrais doivent être mis à disposition concomitamment avec la commercialisation des récoltes. C’est une question d’opportunité, pour encourager les paysans à l’achat conséquent en vue d’une utilisation réelle et raisonnée des engrais dans leurs exploitations ;

√ Corrélativement, la création des coopératives sur la base d’une bonne connaissance des réalités socio-économiques spécifiques à chaque terroir, pour une considération objective des positions exprimés par les organisations paysannes. Il faut donc éviter de ressusciter le système corrompu des années passées, avec un encadrement qui aurait la propension de concevoir et dérouler le fonctionnement des coopératives en maintenant les paysans au rang de faire-valoir ;

√ Dans cette même logique de la promotion rurale, les coopératives doivent être situées dans un partenariat bien structuré avec les établissements industriels. En lieu et place d’un simple contrat de cultures, il faut envisager les mécanismes de participation des coopératives au capital desdits établissements ;

√ Dernier critère mais non des moindres :  la valorisation des récoltes et leurs résidus doit retenir l’attention des ministères respectifs de l’Agriculture et de l’Industrie, en vue d’accroître les opportunités économiques au profit des organisations paysannes, particulièrement les groupements professionnels des femmes.

En conclusion, nous réaffirmons que la volonté politique du gouvernement est de nature à encourager les paysans dans la dynamique d’un retour prometteur aux champs délaissés depuis des décennies. Cet abandon de l’agriculture paysanne est perçu comme une opportunité idoine par les multinationales de l’agro-business qui convoitent de plus en plus les terres. Le ministre de l’Agriculture a beau vouloir les attirer, il ne saurait favoriser leur expansion au détriment de la ruralité.

Mbagnick DIOP,

Fondateur du Magazine d’informations agricoles “Sahel Agriculture”

Membre-fondateur du journal “Le Témoin”