Sonko : La politique de la tête brûlée
Ousmane Sonko-Bassirou Diomaye Faye
La politique de la terre brûlée
Bloquer, anticiper, réchauffer. Ousmane Sonko a réveillé le 10 juillet dernier les démons des années de braise pour bousculer la loi d’amnistie et la situation qui l’a générée. Les appréhensions nourries jusqu’ici avec cette dyarchie à la tête de l’Etat reviennent à la surface devant deux scorpions associés qui savent se neutraliser l’un l’autre. Avec cependant un léger avantage au président de la République sur son Premier ministre dans cette situation de ni guerre ni paix.





Ils n’ont pas pu ne pas se parler après le 10, au nom de la République, au nom de l’Etat, au nom de la vieille amitié qui les lie. Ils l’ont fait, avancent certaines sources généralement bien informées et ont décidé de “se calmer” dans une situation de ni-guerre ni-paix. L’image de ce lundi 15, Sonko saluant le président de la République à son départ, reste encore à lire.
Le prochain remaniement ministériel pourrait cependant creuser davantage le fossé entre le président de la République et son Premier ministre et, au final, Bassirou Diomaye Faye aurait l’avantage sur Ousmane Ousmane Sonko : il est élu, installé par un Etat qui veille à son propre équilibre. Le souhait de renforcer les pouvoirs du Premier ministre se heurtera in fine à la réalité du régime présidentiel encore très fort, quelles que soient les velléités des uns et des autres.
La réponse toute de diplomatie du berger à la bergère le 14 juillet ne clôt pas le débat, bien au contraire ; elle démontre l’abysse qui sépare les deux positions : Diomaye Faye ne répond pas à son grand-frère, un président réservant la formule à ses homologues ; le président renvoie tout le monde à l’enfer d’il y a peu et avertit que l’Erèbe n’est pas le paradis promis aux populations il n’y a guère et rappelle à son Premier ministre l’urgence de répondre au parti de la demande sociale qui a perdu les trois derniers chefs d’Etat sénégalais. Revêtant pour une fois l’épitoge avec la toge, Diomaye Faye verse dans une subtilité aussi originale que devant Donald Trump, une semaine auparavant, et ajoute à son image de chef responsable, abordant les choses avec hauteur, responsabilité et sérieux. La formule de l’Aîné Ababacar Sadikh Diagne, utilisée en une autre occasion, sied bien en la circonstance : “Ça rappelle des querelles picrocholines, des polémiques homériques mais pas byzantines…”
La force quasi-spirituelle de Sonko est cette capacité divinatoire qui lui permet de voir loin, de voir tôt, sans cependant voir grand pour autant. Ce 10 juillet, il a laissé entrevoir l’ultime étape de ses relations avec le président de la République et ce qu’il croit savoir comme l’alternative finale. Sa philosophie de la réalité alternée fait le reste : broder autour d’un fait réel pour se victimiser.
Jeudi dernier, il a respecté la même heuristique :
Bloquer la marche des événements lorsqu’ils ne lui sont pas favorables : faire arrêter ou régler lui-même ;
Anticiper une crise qui pourrait déboucher sur des concertations privées ou publiques
Réchauffer la situation politique à la limite invivable avec ce Sénégal transformé en prison à ciel ouvert avec des prises de position de part et d’autre qui rappellent une situation récente.
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Définition de l’IA
“Vérité alternée” (alternate truth) est un terme qui a gagné en popularité, souvent utilisé pour décrire des situations où des informations délibérément fausses, ou des faits alternatifs, sont présentés comme étant vrais, souvent dans le but de manipuler l’opinion publique. Cela peut impliquer la diffusion de fausses informations, la distorsion de la réalité, ou la présentation d’une version des faits qui est contraire aux preuves existantes. Wikipedia–
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On avait voulu faire porter le chapeau à l’opinion qui essaierait de trouver l’entaille de la discorde entre l’arbre et l’écorce des relations entre Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye ; l’entropie était pourtant visible dès l’entame quand Pastef a attaqué certaines des premières décisions du président de la République. De Samba Ndiaye au coup d’éclat du 10 juillet, la démarche a été la même qui a pu convaincre des militants de la justesse de vue du président de la formation majoritaire à l’Assemblée nationale.
La crise au sommet de l’État était prévisible dès le début du mandat ; elle a été noyée par le sursaut d’orgueil des Législatives qui ont paradoxalement renforcé à la fois le président de la République et le Premier ministre, chacun s’estimant désormais mieux assis, tout en continuant de ruser face à l’autre.
Réflexe d’auto-défense ou de survie ?
Cette technique n’est pas seulement un réflexe d’auto-défense ; Sonko de la Covid-19 s’est lancé dans une opération de survie en milieu hostile qui ne l’a pas quitté depuis, même parvenu au pouvoir : Pastef et ses conseils sont surs que le monstre est toujours là ; ils confirment certains théoriciens marxistes dont Gorz et Braverman qui affirmaient grosso modo que les forces sociales de la fin d’une époque sont sensiblement les mêmes que celles de la nouvelle période. L’invective au ministre de la Justice, pendant la campagne des Législatives, ouvrait ainsi la voie à la conclusion politique de ceux qui estiment attentatoire à la nouvelle dignité au pouvoir que de condamner un militant patriote ou de rejeter une proposition de loi visant à revenir, au moins partiellement, sur ce que la formation majoritaire considère comme une injustice, dans une lecture singulière alternée et unilatérale.
Pathé MBODJE
