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Severiano de Heredia, Maire de Paris

Un noir a été à la tête de la ville-lumière

L’homme est né dans la grande île de Cuba, dans la ville de Matanzas. Fils d’esclave, il a été déclaré par son ancien maître Ignacio Heredia y Campuzanos, son père biologique selon certains de ses biographes comme «mûlatre né libre». Il a alors été baptisé et a porté le nom de Severiano de Heredia. Un nom qui rappelle celui du célèbre romancier José-Maria de Heredia, membre de l’Académie française et auteur du célèbre poème Les Conquérants. Comme José Maria, Severiano a été envoyé en France en 1846 à l’âge de 10 ans pour accomplir des études et, comme son cousin germain, il finira par acquérir la nationalité française.

Brillant élève, il a été l’une des fiertés du fameux lycée Louis le Grand où l’ancien président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor a fait ses humanités.

Il en sort diplômé en rhétorique en obtenant le grand prix d’honneur de l’établissement, en 1855.

Cultivé et amoureux des lettres, le jeune Severiano embrasse alors une carrière de poète et de critique littéraire. Curieusement, cette propension à la littérature et à l’écriture le conduit à la… politique. Il développait des idées républicaines et souhaitait, comme l’écrit un de ses biographes, «rendre à la France ce qu’elle lui donné», c’est-à-dire une instruction brillante, la liberté de penser et de participer à la vie publique.

C’est ainsi qu’en 1870, deux ans après son mariage avec la belle Henriette Hanaire il obtient officiellement sa naturalisation.

Défenseur de la laïcité, fervent partisan de la liberté de la presse et favorable à l’instruction universelle chère à Jules Ferry, il commence à se faire un nom dans la 3ème République balbutiante et va très vite occuper des postes importants. En avril 1873, il est élu au Conseil municipal de Paris sous l’étiquette Républicains. Il est alors le seul «homme de couleur» à siéger au sein de l’assemblée parisienne.

Qui plus est, le 1er août 1879, après six ans de bons et loyaux services, Severiano de Heredia se voit confier à l’âge de 42 ans la présidence du Conseil municipal, soit la fonction suprême de la ville qui correspond aujourd’hui au poste de maire. Il devient par la même occasion le premier et à ce jour le seul Noir à avoir dirigé la municipalité de Paris.

L’histoire de ce maire de race noire qui a illuminé la «Ville lumière» n’est pourtant pas bien connue car les Parisiens, pour une raison ou une autre rechignent à en parler. Et les autorités françaises font semblant d’oublier que la mairie de Paris, la capitale de la République française a été dirigée par un nègre né à Cuba mais qui a des origines dahoméennes, béninoises diront-nous de nos jours. Car, certains de ses biographes affirment qu’il serait un descendant du Roi Béhanzin qui, outré par les irrévérences d’un de ses cousins, chef de tribu dans l’ancien Dahomey, va saisir quelques-uns des enfants de ce dernier qu’il vendra comme esclaves à ses «amis» de la couronne du Portugal, lesquels le rétrocéderont à leurs alliés espagnols. Severiano serait donc un descendant direct de ces esclaves dahoméens qui sera né à Cuba.

Outre ses fonctions municipales, il deviendra plus tard ministre de la République française sous le gouvernement de Maurice Touvier qui le nomme ministre des Travaux publics. À 51 ans, c’est l’apothéose de sa carrière politique ! Durant cette période, il se distingue notamment par son combat en faveur de la réduction du temps de travail des enfants de moins de 12 ans dans les usines. Mais son passage au ministère s’avère bref et sera surtout marqué par les préjugés liés à sa couleur de peau ! Celui que ses détracteurs surnomment alors «le nègre du ministère» subira en effet, tout au long de son mandat, de multiples outrages à caractère raciste, orchestrées entre autres par la presse française.

Mais Severiano ne sera pas que maire et ministre, il sera élu à l’Assemblée nationale française où il fera deux mandats.

Cet homme exceptionnel n’est pas cité parmi les figures marquantes de la République française à qui il a pourtant tout donné, en lui «rendant ce qu’elle lui avait donné», en la servant en toute loyauté. Severiano de Heredia est mort d’une méningite dans son domicile parisien le 9 février 1901, à l’âge de 64 ans. Sa dépouille repose au cimetière des Batignolles. Et pourtant, aucun Parisien ne songe jamais à lui rendre l’hommage qu’il mérite.

Par Mohamed Bachir DIOP