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QUELS «PATRONS» POUR DEMAIN ?

Un vieux débat ressurgit

Quels «Patrons» d’hier               à demain ?

Par Ibrahima Macodou FALL,

​​​​​​​Gamma International
LE SOLEIL 16 NOVEMBRE 1990

Alors en service à Gamma International en 1990, Ibrahima Macodou Fall, actuel DG  de la Nouvelle société textile du Sénégal de Thiès, avait soumis au quotidien national Le Soleil une profonde réflexion sur les nombreux défis qui nous sont lancés auxquels répondent des transformations structurelles profondes, des comportements nouveaux qui bouleversent fondamentalement les conditions de croissance de notre économie. Quels hommes pour demain ?, s’est-il demandé, renvoyant à la fois au passé et au futur : la relecture de l’article lui donne en effet l’impression d’avoir anticipé sur le temps pour finir en 2025. Welcome tomorrow !

Aux nombreux défis qui nous sont lancés répondent des transformations structurelles profondes, des comportements nouveaux qui bouleversent fondamentalement les conditions de croissance de notre économie.

Il apparaît clairement dans ce nouveau contexte cette volonté des pouvoirs publics de mener une politique de progrès en privilégiant les aspirations des  administrés à plus de libertés, plus de responsabilités et à plus d’informations sur les choix opérés et les instruments de politique économique définis. En portant à la connaissance de tous, les directives d’actions au ministre traduisant les objectifs assignés à son gouvernement, en initiant un projet de modernisation de l’Etat, le chef de l’Etat donne une nouvelle dimension aux rapports entre gouvernants et administrés.

Une lecture des différentes directives d’actions permet d’apprécier l’essentiel des instruments de politique économique élaborés afin de renforcer la compétitivité de nos entreprises, de développer nos exportations, de promouvoir l’emploi de promouvoir l’initiative privée, etc…
Elle permet aussi d’apprécier la place privilégiée accordée à cet important projet de modernisation des structures de l’État impliquant tout le corps social et dont la réalisation est essentielle dans la mise en œuvre cohérente de la politique gouvernementale.
S’agit-il d’une simple communication de l’action des pouvoirs publics ou d’un appel lancé à la collectivité à une plus grande participation à l’’œuvre de construction nationale ?
En réalité; ce sont toutes les organisations économiques dans leur ensemble qui sont impliquées, plaçant ainsi tous les dirigeants solidairement devant des responsabilités collectives dans la réalisation de ce programme économique.
Et c’est là qu’apparait un impératif majeur ; celui de la nécessité d’adapter les méthodes et les structures au nouveau contexte socio-économique et au nouveau système d’informations établi entre gouvernants et administrés. Et c’est aussi dans ce cadre que l’appréciation des résultats et des performances des dirigeants par TOUS revêt toute sa signification.
Cette appréciation a été souvent difficile en raison de l’absence totale d’informations sur la manière dont certaines unités économiques du pays sont gérées. Elles constituent de véritables « boîtes noires » qui ne s’ouvrent au public que lorsque qu’une grave hémorragie financière est détectée ou lorsqu’une sérieuse tempête sociale se prépare. Les échecs sont nombreux et lourds de conséquences.

S’agit-il d’une crise des capacités d’adaptation de nos dirigeants à un contexte économique en mutation accélérée ou à une absence de rigueur morale ou sociale dans la conduite des affaires ? En tout état de cause, la recherche d’une croissance de type nouveau telle qu’elle apparaît dans les instruments de politique économique et la démarche participative entreprise par les pouvoirs publics montrent qu’il existe une catégorie de « Patrons » qui risquent de disparaître dans les prochaines années pour laisser place à une nouvelle « race » que la remise en cause des modes de gestion et de comportements impose.

Les caractéristiques essentielles de ce patron de type nouveau peuvent se résumer en quatre points :

— La capacité d’adaptation,
– L’engagement socio-politique,
– La transparence et la sincérité des comptes,
– L’assurance de la cohésion sociale.

La Capacité d’adaptation

La capacité d’adaptation sera contestablement la qualité-clé de nos «patrons » dans cet environnement frappé d’une extraordinaire instabilité. Si cette adaptabilité a toujours été nécessaire pour la gestion de toute forme d’organisation économique, elle devient de nos jours et pour l’avenir une nécessité absolue dans la gestion du développement : l’internationalisation des économies, l’évolution technologique des produits et des marchés nous imposent des dirigeants de plus en plus formés et tournés vers le monde entier.
Les besoins et les moyens de nos structures de développement diffèrent selon qu’il s’agisse de structures de l’administration ou de sociétés nationales ou privées. De manière générale, elles évoluent toutes dans un environnement international « surinformé » dans lequel nos dirigeants devraient puiser toutes les informations nécessaires à leur gestion.
De ce fait, il est essentiel pour eux d’avoir une bonne formation de base, une culture suffisante, une bonne connaissance de leur champ économique pour mieux comprendre la mécanique de leur environnement. Ainsi, une meilleure compréhension des interactions entre les différents sous-systèmes économiques qui en découle permettra certainement d’opérer des choix judicieux.
Aussi, les stratégies de développement et de conception de projets ne peuvent plus être le résultat d’intuition, ni élaborées au gré des événements, mais devraient être le produit d’analyses et de réflexions tirées d’une approche plus fine et plus réaliste. Pour cela, nos dirigeants doivent être aussi formés aux nouvelles techniques modernes de gestion englobant les techniques d’organisation, les techniques de traitement de l’information et les méthodes de contrôle de la gestion indispensables à l’élaboration de toute politique de développement. L’aptitude d’un dirigeant à comprendre les conséquences sur son organisation, des décisions prises sur le plan macro-économique devient capitale pour nos structures économiques caractérisées par une extrême fragilité.
L’expérience de la libéralisation de notre économie et la suppression de certains monopoles est riche d’enseignements. Certains dirigeants mal préparés à cette mutation, malgré la longue phase de gestation du projet, ont découvert « miraculeusement » que le voisin d’a-côté fabriquait le même produit qu’eux et constituait ainsi une menace pour leur entreprise. Par conséquent, la mutation permanente de nos économies et leur fragilité imposent une flexibilité, une ouverture vers l’extérieur, un esprit d’initiative, enfin une bonne capacité d’adaptation à nos dirigeants. C’est seulement, à cette condition que pourra être assurée l’efficience des instruments de politique économique définis.

L’engagement socio-politique

L’intervention d’entreprises privées, d’organisations non-gouvernementales ou d’associations dans notre économie est prépondérante. Cette nouvelle forme de croissance basée sur le désengagement progressif de l’État de certains secteurs de la vie économique et la promotion de l’initiative privée implique des responsabilités de plus en plus importantes aux agents économiques dans l’œuvre de construction nationale. La réussite d’une telle politique requiert un engagement socio-politique plus important de la part des dirigeants.
S’agissant par exemple de la privatisation, l’État cédant une partie de son patrimoine moral, social et politique ne peut en aucun cas être indifférent à la manière dont les acquéreurs des entreprises vont gérer le sort de milliers de personnes qui passent entre leurs mains. Ainsi, l’engagement socio-politique des dirigeants devient une donnée essentielle dans notre politique de développement et doit traduire cette volonté constante de s’inscrire dans toute action visant à sauvegarder l’intérêt général. Il s’agit pour les «Patrons » de nos administrations, de nos entreprises publiques et privées de prendre conscience davantage qu’ils se trouvent en vérité eux aussi placés solidairement devant des responsabilités collectives dans la recherche de l’amélioration de la vie quotidienne des sénégalais.

La transparence et la sincérité des comptes

Une organisation, quelle qu’elle soit, fonctionne selon les règles et dispositions légales et est tenue de disposer d’une comptabilité régulière de ses engagements. L’inobservation de ces règles a été une des principales causes d’échecs de certains projets économiques.
Outre l’affectation des ressources à des opérations irrégulières qu’elle permet, l’absence de transparence dans la gestion d’une organisation et de comptes fiables constitue un handicap sérieux à l’appréciation de leur situation financière et leur performance économique : la vérité des comptes doit être un préalable à toute forme d’organisation.
S’agissant d’une entreprise, les comptes sont à la fois sociaux et fiscaux et il revient aux dirigeants de garantir leur sincérité. Ils doivent s’investir dans la protection du patrimoine et dans la sauvegarde de la crédibilité de leur entreprise vis-à-vis de de ses actionnaires, de ses partenaires et du public ; leur action doit appuyer le dispositif légal et institutionnel qui organise le contrôle des comptes. Leur engagement personnel dans cette mission est fondamental. C’est seulement dans ces conditions que les investisseurs nationaux et étrangers accepteraient de jouer le jeu économique et que les opérations de rachat, de fusion ou de cession d’entreprises indispensables à toute économie de développement puissent être techniquement réalisables. Ainsi le dirigeant contribuera à créer les conditions d’existence à terme d’un véritable marché dans lequel la valeur d’une entreprise n’est plus une donnée subjective.

L’assurance de la cohésion sociale

De plus en plus, il est reconnu que les performances d’une organisation dépendent pour une large mesure de sa dynamique interne ; celle-ci, difficile à mesurer mais évidente à l’observateur attentif, résulte de nombreux facteurs parmi lesquels on peut citer : la motivation des hommes, la qualité des hommes, et surtout la capacité d’un dirigeant à assurer une cohésion sociale et une adhésion aux objectifs de l’organisation. De ce point de vue, la politique sociale menée au sein de nos organisations doit être bâtie autour de deux points essentiels :

– La justice sociale
– La concertation

Les dirigeants doivent être plus attentifs à ces deux aspects qui sont déterminants dans la recherche d’une cohésion sociale. La promotion doit être strictement basée sur la seule compétence professionnelle à l’exclusion de tout favoritisme ou discrimination ;  le « Patron » devra veiller à ce que son organigramme ne se transforme en arbre généalogique ; les relations sociales doivent être aussi définies sur la base d’une concertation impliquant la participation responsable de tous les partenaires sociaux. Il revient aux dirigeants de veiller davantage au respect de ces principes pour la sauvegarde de l’harmonie sociale indispensable à la recherche d’un consensus autour de grands objectifs.

En conclusion, notre pays se trouve véritablement confronté à un problème d’adaptation des structures et des méthodes où le comportement humain se trouve au centre. L’enjeu est important et implique de la part de l’État et de tous ses partenaires économiques des responsabilités dans la mise en œuvre des réformes structurelles.
En effet, les innovations apportées par le chef de l’État en portant à la connaissance de tous les directives d’actions aux ministres insistant sur leur implication nécessaire dans cette important Projet de Modernisation des Structures de l’Administration (P M S) tracent un nouveau cadre d’action. La démarche marque cette volonté d’impliquer davantage les acteurs économiques et de concrétisation du projet.
Aussi cet engagement clairement affirmé par les pouvoirs publics s’inscrit parfaitement dans le cadre des préoccupations actuelles de nos partenaires dans la lutte contre le sous-développement marquant que les enjeux du moment ont été bien compris par nos gouvernants.
Dans ce cadre, M. Edward Jaycox, vice-président de la Banque mondiale, parlant des problèmes de développement en Afrique, nous livrait dans l’édition du 07 août 1990 de Jeune Afrique : « Ce qui importe le plus à la communauté internationale et surtout la Banque mondiale, c’est que soient améliorées les méthodes de gestion politique et économique des pays. Que la transparence des gouvernements soit garantie. Que les gouvernements rendent compte à leurs administrés, que la presse soit libre. Que la vie du pays soit régie par la loi. Ou encore qu’aucun des deux secteurs, privé ou public, ne soit entravé dans sa participation à l’organisation de l’économie».

Certes, les hommes politiques ont un rôle considérable à jouer du fait de l’importance du rôle de l’État, mais une coopération créatrice avec tous les responsables publics et privés de l’économie sénégalaise en vue de franchir la phase difficile que nous traversons s’impose. Cette complicité créatrice ne peut provenir que des hommes placés à la tête des organisations, de ces « Patrons » dont dépend le succès des mesures économiques.
Leur capacité d’adaptation, leur engagement socio-politique, leur engagement à garantir la sincérité des comptes qui leur sont confiés, leur engagement à veiller à la cohésion sociale détermineront certainement leur capacité à réaliser l’adéquation entre le projet économique et social de leur organisation et la vision politique de nos gouvernants.
En d’autres termes, le « Patron de demain » devra avoir la capacité à mobiliser l’intelligence des pouvoirs publics au même titre que celle de son organisation afin de donner un sens nouveau à la responsabilité collective.

​​​​​​​Ibrahima Macodou FALL
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​​​​​​​Gamma International
in LE SOLEIL 16 NOVEMBRE 1990