Procès Mamadou Dia II : Le parti pris
Mamadou Dia devant la Haute cour de Justice
II- Le parti au-dessus de tout
Les témoins de la défense, ce 8 mai 1963, le serineront à volonté : le Parti dans sa suprématie prime même la Constitution qui peut être violée si l’intérêt du Parti le réclame.
Texte : Mamadou Seyni MBENGUE
Saisie : Mamadou DIENE
Co Agence de Presse Sénégalaise
in Le Devoir Nos 31 et sq, juillet à septembre 1987
DAKAR 8.5.63. La troisième séance de ce procès devait être suspendue à 12 h 20.
A la reprise à 16 heures, l’audition des témoins de la défense s’est poursuivie avec M. Ousmane Ndiaye Thiass, député de la Région du Sine-Saloum, ex-maire de Kaffrine, ancien questeur de l’Assemblée nationale, qui n’apportera pas grand chose au débat. Il est suivi au prétoire par M. Diagne Mody, ancien chef de cabinet de l’ex-président du Conseil. Son témoignage porte essentiellement sur la motion de censure et sur l’obligation pour tous, élus comme militants, de se soumettre à la volonté du parti. Sa conception de la suprématie de ce dernier, comme celle que développera plus tard M. Mamadou Dia, se place étrangement dans la note du fameux « L’Allemagne über Alles » ramené dans le cadre modeste d’une formation politique.
« Est-il légal, questionne Me Wade, que le Parti dépose un maire, sans qu’intervienne une décision du pouvoir exécutif ?»
Le témoin : « Oui, cela me semble normal ».
– Me Wade, insidieux : Pouvez-vous me citer un exemple d’un maire déposé par le Parti ? (Sourire du témoin et rires dans la salle).
C’est en ce moment qu’interviendra l’ex-président Dia qui se lancera dans une longue dissertation sur la primauté du Parti. Il en vient ensuite aux obligations auxquelles le Parti soumet ses adhérents et les députés ses mandataires, qui doivent se mouvoir dans un cadre strict. Il cite un exemple : « Supposons, dit-il, qu’un député ou un groupe de députés déposent une proposition de loi et que le Parti constate que le texte est en contradiction formelle avec sa doctrine et son programme, eh bien en pareil cas, le Parti intervient pour bloquer la proposition de l’empêcher de venir en discussion devant l’Assemblée ».
« Que se passerait-il, interroge le procureur général, si un député manifestait sa volonté de ne plus être du Parti ? Resterait-il député ? »
M. Mamadou Di a: «Il resterait député. Il y a eu des précédents».
Le procureur général : « Dans ce cas, ne pensez-vous pas qu’il eût été mieux de laisser voter la motion de censure et une fois devant le conseil national, d’avoir ainsi un motif d’exclure les députés signataires ? ».
M. Mamadou Dia : «On est du Parti, ou on n’est pas du Parti. Y être suppose le respect de ses règles ».
« Nous remercions l’accusé de sa doctrine qui se cherche », ponctua le président.
Après M. Diagne Mody, la défense renoncera à entendre les témoins Diouf Moustapha, Dramé Mamadou et Sèye Mamadou.
Le témoin dont l’entrée dans la salle crée des mouvements divers est un homme entre deux âges, à la silhouette prise dans un élégant complet marron foncé, le visage souligné par des favoris, député de Podor, ancien secrétaire de l’Assemblée nationale. Nos lecteurs reconnaîtront par là M. Kane Aboubakry.
Après la prestation de serment, ses premiers mots furent : « Ces événements -(ceux du 17 décembre bien sûr)- doivent être placés dans un contexte donné. Je suis avant tout militant d’un Parti et c’est dans un cadre politique que je voudrais déposer »
LA HANTISE DU « MОI »
Il évoque ensuite les faits antérieurs à la journée du 17, les multiples contacts, les démarches, les réunions interminables pour trouver les solutions susceptibles d’amener la paix au sein du parti. Il en vint ensuite à la décision prise par le Bureau politique de convoquer le comité national à Rufisque pour qu’il se prononce sur la motion de censure. Faisant ensuite une brusque digression, il évoquera les avatars de sa politique personnelle, après le dénouement de la crise.
Il serait nécessaire, intervient le procureur général d’une voix sèche, de ne parler ici que des événements qui sont pris en considération, dans le cadre des faits reprochés aux accusés. J’invite le président à user de son pouvoir discrétionnaire pour replacer les débats dans leur contexte réel. Dans le cas contraire, c’est-à-dire si l’on en vient à transformer ce prétoire en tribune politique, le ministère public suivra comme celui qui assiste à un meeting ».
Le président intervient pour préciser qu’il est parfaitement inutile de rappeler des faits politiques qui, au regard de la loi pénale, ne peuvent être retenus, mais que certains actes politiques étant liés aux événements du 17 décembre, il est d’accord à ce qu’ils soient évoqués, mais brièvement.
Il s’établira ensuite un long dialogue entre le ministère public et le témoin, dialogue qui se perdra dans les arcanes de la politique, et portant plus particulièrement sur l’Etat et le Parti. Car, pour le témoin, le Parti dans sa suprématie prime même la Constitution qui peut être violée si l’intérêt du Parti le réclame.
Harcelé de questions par le procureur général, le témoin perd pied, se répète sans cesse et s’empêtre dans les linéaments de sa théorie fumeuse et chancelante. En un moment donné, excédé, le président déclara en se tournant vers le procureur général : J’ai l’impression que vous ne tirerez pas grand chose de lui ! »
La défense ayant aussi renoncé (sans toujours donner de raisons) à la déposition de M. Issa Kane, c’est M. Assane Diop. ancien chargé de mission au cabinet de l’ex-président Dia, qui vient à la barre. Sa déposition à la demande d’un des avocats de la défense porte sur les circonstances de l’arrestation de M. Mamadou Dia à son domicile de la Médina investi par les paras, le rôle de médiateur qu’il y joua pour décider l’ex-chef du gouvernement à suivre les policiers venus l’appréhender.
L’audition de M. Assane Diop a clôturé mercredi après-midi les dépositions des témoins à décharge. La séance devait ensuite être levée et la journée du lende- main jeudi consacrée à l’interrogatoire des accusés.
LA MATINEE DU JEUDI 9 MAI
AUJOURD’HUI jeudi, le procès intenté contre l’ex-président du conseil Mamadou Dia et ses quatre co-accusés est entré dans sa seconde phase. Jusque-là défilaient devant la barre les témoins de l’accusation et de la défense. Tour à tour, 18 témoins se sont présentés devant un jury qu’anime, avec un respect scrupuleux des règles de la loi, le président Goundiam. Ils ont subi dans des conditions de liberté qui honorent notre pays les questions subtiles et insidieuses des « loyaux adversaires » que sont le procureur général Ousmane Camara -photo- et les avocats de la défense.
Première phase un peu trop longue certes, mais toujours passionnante, tant la Haute Cour a dû se hisser au niveau de son vrai rôle, de ses vraies responsabilités, ce qui faisait dire à un diplomate à la sortie du Palais : « Il faut que le Sénégal puisse offrir non à l’Afrique seulement mais aux autres nations civilisées, aussi, l’image de ce que doit être une vraie justice ».
Depuis jeudi 9 mai, a commencé donc la seconde phase de ce procès « hors série » dans l’histoire de notre pays : l’audition des accusés.
« Je partage les responsabilités de l’ex-président Dia »
LE premier à se présenter à la barre sur l’appel du président Goundiam est M. Ibrahima Sarr, ex-ministre de l’Economie rurale dans le gouvernement renversé. Il parle d’une voix forte et passionnée. L’intéressé revendique sa part de responsabilité dans les décisions qui ont été prises par M. Mamadou Dia pendant les tragiques journées de décembre. Il raconte, avec force détails, ce qu’il sait sur les journées qui ont précédé le dépôt de la motion de censure, et évoque son rôle les 17 et 18 décembre jusqu’au moment de son arrestation.
Il était à l’Assemblée nationale le 17 pour représenter le gouvernement à la réunion des présidents. Celle-ci avait décidé que le débat sur la motion de censure aurait lieu dans l’après-midi. Il en avait rendu compte à M. Mamadou Dia, qu’il devait rejoindre quelques instants plus tard au 9ème étage du Building administratif. Il est resté avec lui jusqu’à leur arrestation. Suit, de la part de l’accusé, une déclaration des principes qui doit, selon lui, éclairer et justifier son comportement.
Là-dessus intervient le procureur général qui déclare : «Le rôle du ministère public est de s’attacher sur des faits et non sur des déclarations de principe. Précisez comment vous avez participé à l’expulsion et à l’arrestation des députés ».
L’accusé pour toute réponse déclare : «Toutes les décisions ont été prises en ma présence. Je les approuve entièrement ».
• M. Valdiodio Ndiaye à la barre
LE second accusé, très attendu, est M. Valdiodio Ndiaye, ex-ministre des Finances dans le gouvernement Mamadou Dia. L’intéressé parle vite, essaie de convaincre la Haute Cour de la minceur des charges retenues contre lui. Il commence par une déclaration d’amitié et de sympathie pour son ancien chef de gouvernement avant d’en venir aux faits qui leur sont reprochés, à savoir la réquisition signée par l’ex-premier ministre en remplacement de celle qui avait été signée parle Président de la République, l’instruction adressée par l’ex-président aux Officiers pour leur interdire de se rendre chez le chef de l’Etat sans son autorisation, complicité dans les actes de l’ex-premier ministre attentatoires aux libertés individuelles, etc
L’accusé reconnait avoir pris part incidemment à la rédaction de l’instruction aux officiers et d’avoir conseillé le président du conseil pour l’amener à signer nouvelle réquisition en remplacement celle émanant de la Présidence de République, mais ne voit pas là les motifs d’un crime. Il relate ensuite son action pour amener les officiers à cette fameuse entrevue sous le porche de l’Assemblée nationale afin de permettre une solution de compromis qui évite de faire couler le sang.
M. JOSEPH MBAYE
LE troisième accusé, M. Joseph Mbaye, ex-ministre des Transports et des Télécommunications, doit répondre de la coupure des lignes téléphoniques qui relient présidence de la République à l’extérieur. L’accusé commence sa déposition par des mots aimables à l’adresse de l’ex-premier ministre, puis indique les circonstances qui l’ont amené à donner l’ordre qui lui vaut d’être traduit en Haute Cour de Justice.
Pour lui, il s’agissait d’empêcher l’armée et la Gendarmerie, qui recevaient des ordres contradictoires émanant du Palais de la présidence et du Building, de ne pas s’énerver et faire couler le sang sénégalais. Il fallait donc empêcher le Président de République d’avoir les possibilités de rentrer en contact avec les officiers de l’armée, ce qu’il fit en coupant ces lignes téléphoniques.
Le procureur général vient alors à charge pour amener l’accusé à dire s’il mettait le Parti au-dessus de la Constitution de son pays. Devant ses hésitations, il s’écrie : « J’essaie depuis que je suis ici de faire préciser si le Parti était, dans l’esprit des accusés, au-dessus de la Constitution. Je n’y arrive pas. Cela prouve que les citoyens mettent la Constitution au-dessus du parti, donc qu’ils se doivent de la respecter, quelles que soient les circonstances ».
Après quelques passes d’armes correctes mais fermes entre la défense et le ministère public, le professeur Perroux passe à la barre pour apporter un témoignage d’amitié sur l’ex-chef du gouvernement.
Il est 12 h 40 et la séance est suspendue. Elle a été reprise dans l’après-midi avec l’audition de l’ex-ministre Alioune Tall suivie de celle de l’ex-premier ministre Mamadou Dia.
VOUS avez terminé, accusé ?
L’homme au prétoire, face au président du tribunal qui vient de lui poser cette question, opine de la tête. Il est 17 h 37. Cela fait donc une heure deux minutes que cet homme, Mamadou Dia, vêtu d’un caftan, se tenait là, pour répondre des actes retenus contre lui. Nous sommes jeudi après-midi, troisième jour du procès des auteurs du coup de force du 17 décembre 1962.
Après avoir, comme Me Wade de la défense, dénoncé la double qualité de certains juges qu’il considère également partie parce que de ceux-là mêmes qui avaient déposé la motion de censure contre lui, l’ex-président du conseil, qui avait déjà souligné que pour lui il ne s’agira nullement de plaidoirie, « n’étant pas un plaideur », avait notamment déclaré au début de son audition : « L’ensemble de l’accusation consiste à me présenter comme l’auteur d’un coup d’Etat. Je nie, j’affirme que je ne suis pas auteur d’un coup d’Etat. Je n’ai donc pas de complices. Autour de moi, ce sont des ministres fidèles à leur président du conseil. Ce sont des militants du Parti fidèles à une éthique, un idéal, un programme, à des engagements pris ensemble… » M. Mamadou Dia en arrive à la motion de censure proprement dite et souligne que, dès qu’il a été informé de son dépôt, il s’est efforcé d’agir dans le cadre de la légalité. Il se trouvait, à son sens, visé personnellement par un complot ourdi contre lui par suite de compromissions, de reniements qu’on ne pouvait pas me faire partager. Aussi, usant de ses attributions a-t-il, pour faire face, pris un certain nombre de mesures exceptionnelles conservatoires, d’autant que l’existence de la loi d’urgence avait pour corollaire, à son avis, l’irrecevabilité de cette motion.
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L’auteur ému
J’ai lu avec intérêt le reportage du procès Mamadou Dia et de ses co-accusés que vous avez publié dans votre livraison n° 31 de juillet 1987.
J’aurais dû, d’ailleurs, dire que j’ai relu ce reportage avec intérêt, puisque j’en suis l’auteur, malgré qu’il ne soit point signé, pour la simple raison qu’à l’époque, les journalistes de l’Agence de Presse sénégalaise ne signaient pas leurs articles qui étaient publiés dans le bulletin quotidien de l’agence. En effet, étant à l’A.P.S. en 1963, j’ai « couvert » cet évènement qui compte parmi les pages les plus douloureuses de notre récente histoire politique.
J’avais, à l’époque, pris suffisamment conscience, comme tant d’autres, de la valeur éminemment historique de ce reportage pour les générations à venir et décidé, en conséquence, de le réaliser sous une forme vivante. C’est-à-dire en essayant de restituer jusque dans les moindres détails et autant que faire se peut, toute l’atmosphère des débats de ce procès décidément hors série, puisqu’il amenait, pour la première fois, au banc des accusés, un chef de gouvernement qui détenait la réalité du pouvoir politique et autre de ses anciens ministres.
Les journalistes qui m’avaient relayé ensuite dans la salle de la Haute Cour de justice ont, tous, couvert l’évènement dans la même mouvance, convaincus qu’ils étaient, eux aussi, des témoins privilégiés d’une histoire qui s’élaborait sous leurs yeux, hélas dans le déchirement et dans la douleur de l’enfantement.
C’est donc avec émotion que je me suis rafraichi la mémoire en relisant ce «remakes je commençais à perdre- je l’avoue- certains détails, maintenant plus actuels que jamais dans mon esprit, grâce à votre intéressante initiative.
Les Sénégalais, surtout ceux de la génération d’après décembre 1962 et celles qui la suivront, ont le droit de savoir ce qui s’est réellement passé durant ces jours troubles de leur histoire. C’est même un droit et une exigence morale qu’ils sachent comment leurs aînés ont conduit les destinées d’un pays qui, à peine sorti, encore chancelant, de la longue nuit coloniale, fut aussitôt confronté, par une cruelle fatalité, à une crise institutionnelle aigue doublée d’une simple crise d’hommes, le tout n’étant, en réalité, qu’une crise de croissance. Quand bien même celle-ci était-elle prévisible, puisqu’elle puisqu’elle prenait sa source sous la terrible dualité d’un pouvoir politique marqué, dès l’origine, par l’ambiguïté du bicéphalisme qui sévissait au sommet de l’Etat.
En même temps que mes vifs encouragements, je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de mes sentiments très cordiaux et très fraternels.
Mamadou Seyni MBENGUE,
Ecrivain, ancien ambassadeur
Villa nº 279, rue 9 х
Bopp-Tél.22-61-2
DAKAR
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QUITTER LE PARTI – OU ACCEPTER SES DECISIONS
S’AGISSANT du non-recours l’arbitrage de la Cour Suprême, il déplore le fait, non sans en rejeter la responsabilité sur d’autres, les mêmes sur lesquels il rejette la responsabilité du choix de l’arbitrage constitutionnel en lieu et place de l’arbitrage du Parti, comme le Bureau politique l’avait entendu au cours de ses réunions des samedi et dimanche et où il avait été laissé aux signataires de la motion l’alternative suivante : quitter le parti tout en conservant leur étiquette de parlementaires, ce qui les habilitait à voter toute motion de censure à leur convenance, ou demeurer au sein du Parti, qui signifierait qu’ils en acceptaient les décisions et notamment le report du vote de la motion de censure après qu’en eût connu le conseil national.
« J’ai décidé l’évacuation de l’Assemblée nationale pour éviter que ces députés mettent le Parti devant un fait accompli », précise l’ex-président du conseil, qui ajoute que l’arrestation de quatre députés motionnaires visait à écarter les auteurs de la campagne de subversion déclenchée contre lui. De même, il ne manquera pas de s’étonner qu’il n’eût point été procédé à la levée de son immunité parlementaire dès le 18, encore moins à son arrestation. Il convient cependant du renversement légal de son gouvernement et de la fin, par la même occasion, de la loi d’urgence.
A nouveau surgit, dans cette intervention, l’épineux problème de la primauté du Parti qu’invoquera l’ex-président du conseil qui se réclame de son militantisme, lequel lui faisait obligation de considérer tout acte non décidé par le conseil national comme étant anticonstitutionnel. Il relève également que l’article 24 de la Constitution sénégalaise de l’époque n’était nullement l’article 16 de la Constitution française, et ne manque pas de « faire remarquer L’analogie frappante entre la crise du 17 celle du 19 août 1960».
M. Mamadou Dia fait également remarquer que d’autres faits dont on l’a accablé (subversion religieuse, voyage à Moscou, répression de l’opposition) avaient été discutées tant en conseil des ministres que par le Parti, et qu’au demeurant il n’était chargé que de l’exécution des décisions arrêtées par ces deux instances.
« S’il fallait recommencer, je recommencerais ; je ferais la même chose », précise-t-il. II affirme également qu’il avait pu se retirer, par découragement, écœurement, usure», au bout de sept ans de gouvernement, depuis la loi-cadre jusqu’à la mise en place des institutions actuelles du pays, et que, s’il ne l’a pas fait, c’est par devoir de militant. Et puis, il y avait cette œuvre que nous avions entreprise : la socialisation et le plan de développement économique du pays. Je ne pouvais me résigner à voir tout cela s’en aller comme cela».
L’ex-président du conseil affirme ensuite que si le débat avait été porté devant le conseil national et qu’il se fût trouvé battu, il se serait retiré du pouvoir et se serait néanmoins mis à la disposition de son successeur pour l’assister dans la continuation de cette œuvre.
« Je remercie Dieu, conclut-il, car je crois que ma prière a été en fin de compte exaucée : le sang sénégalais n’a pas été versé. Quel que soit ce qui arrivera demain, je dis que je rends grâce à Dieu de cette prière exaucée».
Avant M. Mamadou Dia, la Cour avait entendu M. Alioune Tall, ex-ministre de l’Information qui à son tour invoquera longuement la primauté du parti et l’obligation faite à tout un chacun, au sein du parti, d’en référer à ce principe. Il étayera toute sa déclaration d’exemples variés, puisés dans ses actes de ministre de la Jeunesse et des Sports, de ministre des Transports et des Télécommunications, enfin de ministre de l’information
Pour lui, sur le plan constitutionnel, la motion de censure était recevable, mais ne l’était pas sur un autre plan. Pour lui, la démarche à suivre pour dénouer la crise avait été tracée par le bureau politique : non-exclusion des députés motionnaires mais condamnation de la procédure à laquelle ils avaient recouru, renvoi de la question de la motion de censure devant le conseil national, audition des «pétitionnaires par ledit conseil et éventuellement discussion de la motion par l’Assemblée.
Il rappellera ainsi ses différentes activités durant la nuit du 17 au 18 décembre, activités qui l’ont conduit à la Radio pour s’enquérir de la situation, à la suite, notamment, d’une interruption par deux fois d’une voix à peine audibles, qui, lui a dit par la suite M. Diack Abdoulaye, qui venait d’être nommé directeur de la Radio-diffusion-Télévision nationale, provenait « d’une bande qui s’était glissée par erreur dans l’émission ». Cette voix, rappelons-le, était celle da Président de la République s’adressant à nation.
M. Tall, qui s’était également rendu à poste, à Rufisque, à Yeumbeul, sur son initiative personnelle, évoque les circonstances dans lesquelles il a été appelé à tête du département de l’Information ainsi que les mesures qu’il a alors prises pour améliorer le climat de travail prévalant dans certains services, notamment la Radio, où il a souvent eu à se rendre personnellement pour faire appliquer certaines instructions ministérielles -si ce n’est pour exécuter ces instructions en lieu et place du fonctionnaire attitré.
-« Vous étiez ministre de l’Information ; vous avez souvent travaillé avec l’ex-président. Aviez-vous l’habitude de discuter ses ordres ou les exécutiez-vous passivement ? », lui demande le procureur général.
– « Si mon rôle consistait à obéir passivement, sans pouvoir donner d’avis, je ne serais pas resté dans le gouvernement ».
LE PROCES DE DAKAR VERS SA FIN
SAUF imprévu et bien qu’on ne sache pas au juste s’il se terminera vendredi -comme on le pense- ou samedi, le procès devant la Haute Cour de Justice de l’ex-président Mamadou Dia et de quatre de ses ministres semble, a l’issue des deux premières journées d’audience, ne pas devoir apporter des surprises aux cours des prochaines séances.
Après l’audition de tous les témoins à charge et à décharge, moins nombreux que prévu pour cette dernière, la défense paraît dès maintenant avoir dégagé les principaux points autour desquels graviteront les plaidoiries.
Pour les sept avocats, une chose devrait être considérée comme certaine : la primauté du Parti sur l’État. Cela ressort, affirment-ils, des exemples cités à la barre démontrant que pour exercer un mandat politique ou une fonction publique, il faut préalablement l’accord du parti. La Constitution, selon les avocats, est une chose, le Parti et ses décisions en sont deux autres totalement indépendantes. Dès lors, ajoutent-ils, les inculpés, agissant comme ils l’ont fait le 17 décembre dernier, n’ont fait que suivre une ligne de conduite qui leur était dictée par la Doctrine du Parti.
Autre point que ne manquera pas d’évoquer la défense : l’Article 24 de la Constitution sénégalaise. Aux yeux des avocats, cet article fait certes du Président de la République le chef des armées, mais il ne lui permet pas d’en disposer car celles-ci sont placées sous l’autorité directe de l’Exécutif qu’incarnait l’ex-président Dia. Or, ne manqueront-ils pas d’ajouter, le chef de l’Etat s’en est servi avant que la rupture soit définitive entre les présidents Senghor et Dia.
A tout ceci, l’accusation rétorque que la Constitution est la Constitution et que si avocats, cour de justice et procureur général, sont actuellement réunis, c’est justement pour savoir s’il y a eu violation de la loi républicaine. Si le Parti, rétorque-t-elle, avait réellement primauté sur l’Etat, pourquoi alors celui-ci n’aurait-il pas modifié la Constitution de telle sorte que le Parti et l’Etat ne fassent plus qu’un ?
Le fond du problème posé par ce procès est actuellement atteint et, davantage que de problèmes politiques, il semble que l’on ne va plus pouvoir parler que de droit constitutionnel.
La troisième journée du procès de l’ex-président Dia et de ses quatre ministres a débuté jeudi matin par l’audition de trois accusés : MM. Valdiodio Ndiaye (Finances), Joseph Mbaye (Transports et des Télécommunications), et Ibrahima Sarr (Economie rurale). Mais l’audience a été dominée principalement par une émouvante déposition qu’est venu faire à la barre le professeur François Perroux, du Collège de France, en faveur de l’ex-président Dia qu’il connaît depuis vingt ans. «Mamadou Dia, a déclaré le professeur Perroux, est un homme d’un rang et d’une envergure exceptionnels, un spécialiste des questions économiques, peut-être le seul homme d’Etat africain à s’être intéressé à un tel point à ces problèmes ».
Et, dans le silence du prétoire, qu’aucun bruit ne devait troubler jusqu’à la fin du témoignage, le professeur Perroux a poursuivi d’une voix forte, en martelant de temps à autre la barre : « Je le considère comme un bomme qui ne connaît ni la médisance ni la calomnie ». « Mamadou Dia, a ajouté le professeur, est le contraire d’un bomme de coup d’Etat, d’un extrémiste ».
Sa déposition terminée, le professeur Perroux est allé étreindre l’accusé. La séance est levée pour reprendre cet après- midi.
Auparavant, les trois accusés interrogés, MM. Ibrahima Sarr, Valdiodio Ndiaye et Joseph Mbaye, s’étaient solidarisés avec M. Mamadou Dia et avaient fait l’éloge de l’ex-président du conseil. Les trois accusés ont déclaré être fiers de se retrouver sur le même banc que lui. Quant à l’explication qu’ils donnent de leur attitude durant la journée du dix-sept décembre, elle demeure conforme à ce qui s’était dégagé des premières audiences : « Nous avons suivi Dia, affirment-ils, parce qu’il était le président du conseil. La primauté du Parti étant en état de fait, ajoutent-ils, nous avons agi en gens du Parti et, à aucun moment, nous n’avons pris de mesures qui auraient aggraver la situation. Au contraire, affirment-ils encore, en favorisant le dialogue entre les différents corps de troupe, nous avons limité les dégâts».
Suivra