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Passé-Présent – Mbargou Diop, Pierre Cayrol, André Scémama: Le son de l’écrit

Mbargou Diop de l’Agence de Presse sénégalaise, Pierre Cyrol de l’Agence France Presse et André Scémama ont administré une leçon professionnelle au monde en anticipant sur l’audio de l’écrit.

On sortait de l’écrit pour le son : Aps audio. Certes, l’audio est écrit, l’audio est l’écrit. Mais avec Mbargou Diop. Sans doute le tout premier à avoir compris que le signe d’agence devait se renforcer du son d’agence pour mieux imposer sa symbolique.

Mamadou Amath dans son témoignage post-mortem (12 septembre 2020) insiste sur la vocation Radio de Mbargou Diop et relate ses collaborations à titre gracieux avec Radio Sénégal, à Thiès et à Louga. Sauf que la source du texte était son employeur, l’Agence de Presse sénégalaise et Mbargou Diop savait gré à son agence en précisant qu’il s’agissait d’une relation faite au nom de Aps-Audio.

Ainsi naissait le son de l’écrit, pour un agencier rompu à la concision, mais qui élargissait son assiette grâce au son de la radio.

André Scémama aura sans doute été le premier pour nous Africains, à la veille et au lendemain des indépendances, à souligner la complicité sonore pour une société de l’oral : ses relations signées « Beyrouth-L’Orient le Jour » furent sans doute les toutes premières entre 1955 et 1960, lui qui avait intégré Le Monde dès 1951, en devenant le correspondant particulier en 1955, avant son intégration comme membre de la Société des rédacteurs du journal en 1968.

Radio-France à Jérusalem, pour l’ancien correspondant du Monde (de 1955 à 1977), révèle la force d’un médium conçu en réseau pour mieux déstabiliser des sociétés dont la force repose justement plus sur le son que l’écrit.

André Scémama est mort lundi 2 août 82, à Jérusalem, avec une carrière professionnelle des plus remplies et des plus honnêtes, intellectuellement, commencée en 1937, à dix-neuf ans, à Radio-Tunis et à Tunis-Soir, et poursuivie ensuite à la R.T.F. à Paris, avant le départ sans retour pour Israël des suites d’un cancer qui l’emportera finalement.

Né en 1918 dans une vieille famille Israélite d’une Tunisie, il est vite remarqué pour sa connaissance des problèmes israéliens, il avait collaboré au Monde; après le voyage de Sadate à Jérusalem, qui avait suscité son enthousiasme, lui d’habitude si sceptique, il avait préféré, avec une grande honnêteté, quitter le Monde, ne se sentant pas à l’aise avec la position réservée du journal à l’égard de l’initiative de paix du raïs.

Mais celui de la presse écrite (Agence France Presse) que l’audio aura consacré fut sans doute Pierre Cayrol, dès après la première décennie des Indépendances, lui écouté pendant la très longue agonie du Général Franco l’Espagnol.

L’interminable agonie du dictateur tient la presse en haleine

« Le 20 novembre 1975, lorsque le Caudillo meurt, cela fait un mois que le peuple espagnol retient son souffle et attend avec espoir ou crainte la mort du dictateur au pouvoir depuis presque quarante ans ». C’est l’oraison funèbre du Figaro.

Pierre Cayrol a vécu l’événement de l’intérieur, a eu le scoop de sa vie et ouvre l’album des souvenirs avec lepetitjournal.com Madrid, le 05 février 2014.

Pierre Cayrol : C’est à l’automne 75, j’étais envoyé spécial pour l’AFP à Madrid. Dans ces années-là, le bureau de l’AFP, c’était un point de rendez-vous pour tous les journalistes, à la fois un lieu privilégié de l’info, mais aussi un petit havre de liberté. Nous étions tous les journalistes du monde entier en attente de savoir si l’état de Franco, hospitalisé depuis plusieurs semaines à l’hôpital de La Paz dans le plus grand secret, allait évoluer dans un sens ou un autre. Moi je débutais dans le métier. J’ai pu voir comment mes collègues se débrouillaient pour avoir l’info de la mort de Franco de première main, avant tout le monde. Du bon boulot de journaliste. C’est José Oneto qui était dans le coup, je me rappelle que son professionnalisme m’avait impressionné. On a annoncé l’info sur l’AFP, avant toutes les autres agences de presse internationales, c’était un véritable scoop, un grand moment. C’est nous qui avons donné le flash de la mort de Franco au monde entier, imaginez le poids de cette responsabilité ! Moi, j’y suis pour pas grand-chose là-dedans, j’ai eu de la chance d’être dans le coup, c’est tout. Il n’empêche que tuer Franco, c’est quelque chose, ça marque une carrière !

Racontez-nous…

C’était le bordel total. Il y avait des flics de partout, une agitation pas croyable, et pas une cabine téléphonique qui fonctionnait correctement. Je devais me mettre en contact avec Paris, pour rendre compte de la situation, et préparer un flash dès qu’il y aurait du neuf. Coup de chance, j’ai dégoté une chambre au Palace, juste en face du Congrès des députés. Ma fenêtre surplombait justement les Cortes. J’avais une vue plongeante, aux premières loges. Avec un téléphone dans la chambre qui fonctionnait. J’appelle Paris, j’obtiens la rédaction. Encore un coup de chance, étant donné l’état des appels internationaux à ce moment. Il fallait juste attendre que quelque chose se passe. Le rédac’ chef me dit : “Ecoute, ici on ne raccroche pas. On garde la ligne, je pose l’écouteur sur le bureau. On te met sur haut-parleur. Dès qu’il y a du neuf, tu cries et on t’envoie un steno, pour qu’il tape ton papier”. Tout était donc prêt pour le moment où quelqu’un sortirait du Congrès pour faire une annonce et pour que je puisse la relayer en avant-première. Et là, crac ! Une secrétaire à Paris voit le téléphone décroché, et vlan, elle le raccroche. De mon côté, impossible de récupérer la ligne… Je n’ai pas pu faire mon annonce et j’ai été grillé par tous les journalistes sur place. J’ai été mauvais. Dans ce métier, quand on n’a pas de chance, c’est qu’on est mauvais.

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Sources :

Par J.-P. P.-H., Le Monde

04 août 1982

La radio en Afrique noire d’expression française – Persée

de B Sternberg-Sarel 1961

Camille Lestienne, Le Figaro

19/11/2015