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Passé-présent – De la peine capitale à la présidentielle: La vie trépidante d’Angela Davis, icône de l’anti-racisme Par Charline BOUZON

Elle est l’une des pionnières de la lutte contre le racisme aux États-Unis. Alors qu’elle échappe de peu à la peine de mort en 1972, Angela Davis ne renoncera jamais et ne fera aucune concession dans ses combats. Soutenue par les plus grandes personnalités de son époque, elle a su s’imposer comme une icône anti-raciste et féministe.

Par Charline BOUZON,

26 JANVIER 2021

Vanity Fair

En 1970, l’affaire des « Frères Soledad » fait du bruit aux États-Unis : trois prisonniers américains sont accusés d’avoir tué un gardien dans la prison de Soledad, en Californie. Angela Davis, membre du Parti communiste américain et du mouvement des Black Panthers, s’investit dans le comité de soutien aux accusés. Mais le 7 Août 1970, en plein procès, le frère de l’un des accusés prend d’assaut la salle d’audience. Une prise d’otage qui fera plusieurs morts, dont deux des prévenus et l’un des juges.

Lors de l’enquête, il est démontré que l’une des armes utilisées par l’assaillant a été achetée par Angela Davis quelques jours plus tôt, et qu’elle a correspondu avec ce dernier. La jeune femme se retrouve alors sur la liste des « dix personnes les plus recherchées par le FBI » à l’époque. Angela Davis prend la fuite, elle sera finalement retrouvée et arrêtée à New York, deux semaines plus tard.

Menacée de la peine capitale

Après plusieurs mois, la militante est officiellement inculpée par l’État de Californie pour meurtre, kidnapping et conspiration, le 5 janvier 1971. Pour sa complicité dans l’affaire des « Frères Soledad », Angela Davis risque la peine de mort. L’opinion publique va alors prendre parti et soutenir la militante afro-américaine. Petit à petit des voix s’élèvent pour lui témoigner leur soutien et rapidement un comité « Pour la Libération d’Angela Davis » voit le jour. L’ampleur devient internationale : très vite, le monde entier se révolte face à la peine qui menace la jeune femme. En France, de nombreuses personnalités prendront la parole pour la défendre et protester contre son emprisonnement. Si des milliers de Français se rassemblent pour manifester leur soutien, on compte parmi eux de grandes personnalités comme : Jean-Paul Sartre, Jacques Prévert, Louis Aragon, Jean Genet ou encore Pierre Perret. Outre-manche, la militante peut compter, entre autres, sur John Lenon et sa femme Yoko Ono ou encore sur les Rolling Stones. Face à l’ampleur de la mobilisation et de la pression de l’opinion publique, Angela Davis est libérée sous caution, 16 mois après son arrestation. Elle comparaît à son procès le 4 mai 1972, dont elle ressort libre et acquittée.

Candidate aux élections présidentielles

Dès sa sortie de prison en 1972, Angela Davis reprend ses combats contre le racisme et le sexisme. Elle est très rapidement considérée comme une intellectuelle reconnue de l’époque. La militante se fait d’ailleurs une place dans les hautes sphères du Parti communiste américain. Elle finira même par se présenter aux élections présidentielles américaines comme Vice-présidente en 1980, au côté du leader du parti de l’époque, Gus Hall. Le duo se présentera de nouveau quatre ans plus tard, sans succès, Angela Davis et Gus Hall récolteront 36.386 voix.

Marquée par la France

Angela Davis et la France, c’est une grande histoire qui traverse les années. Tout commence en septembre 1963 quand la jeune femme est admise dans le programme français de l’université d’Hamilton, où elle suit ses études. Elle aura alors l’opportunité de partir étudier plusieurs semaines à Biarritz. Si Angela Davis se plaît dans la station balnéaire du sud de la France, elle montera ensuite à Paris pour étudier à la Sorbonne. Là-bas, elle s’intéresse à la littérature française et suit plusieurs cours dont le roman français, le théâtre ou encore la poésie. C’est d’ailleurs en préparant son diplôme qu’elle découvre un auteur qui changera sa vie : Jean-Paul Sartre. Celui qui la défendra 10 ans plus tard, inspire la jeune femme au point de la décider à se tourner finalement vers la philosophie. Elle change alors de voie et s’envole pour poursuivre ses études à Francfort. Elle n’y restera que quelques mois : frustrée de se trouver si loin du mouvement de libération « Black Power » qui émerge aux États-Unis, elle décide de rentrer dans son pays afin de rejoindre la lutte.

De son passage en France, Angela Davis en garde un profond attachement pour le pays, mais aussi pour la langue, elle s’exprime, encore aujourd’hui, avec beaucoup d’aisance dans la langue de Molière.

Militante féministe

Tout au long de son combat pour l’émancipation de la communauté noire aux États-Unis, la militante se retrouvera confrontée à une autre inégalité : le sexisme. Les hommes noirs de son parti lui reprochent notamment sa place jugée « trop importante » dans leur mouvement. Angela Davis devient alors une militante féministe et dénonce l’hypocrisie de ces hommes se battant pour une égalité qu’ils n’accordent pourtant pas à leurs sœurs de lutte. Elle déclarera notamment que pour elle, « un authentique mouvement de libération doit lutter contre toutes les formes de domination : l’homme noir ne peut se libérer s’il continue d’asservir sa femme et sa mère ». Dans son militantisme féministe, elle affirmera que les leaders noirs de l’époque confondent « leurs activités politiques avec l’affirmation de leur virilité ». Angela Davis réalise alors que l’émancipation de la femme noire passe par plusieurs combats : celui contre le racisme, le sexisme ainsi que la lutte des classes. De cette prise de conscience naîtra de nombreux livres dont « Femmes, race et classe » (1981) ou encore « Héritage du Blues et féminisme noir » (1999). Un combat pour la libération des femmes qu’elle continue année après année. Elle se positionnera notamment contre l’interdiction du port du voile en France. Selon elle, ce dernier peut parfois devenir un « outil de résistance » et rendre « une femme voilée plus féministe » que celles qui ont décidé de ne plus le porter. En 2013, elle se joindra d’ailleurs à de nombreuses intellectuelles et femmes musulmanes, pour protester contre le projet de loi de François Hollande, pour interdire les signes religieux dans les crèches. Elle dénonce à l’époque une loi « raciste » visant « d’abord les femmes, et devrait aboutir à exclure les plus vulnérables d’entre elles du monde du travail et de l’éducation ».

Une véritable icône

Angela Davis est devenue au fil les années une véritable icône de la lutte contre le racisme, mais aussi un modèle de l’émancipation des femmes noires. De nombreux artistes ont d’ailleurs rendu hommage à ses combats. Les Rolling Stones font, eux, partie de ses premiers soutiens, avec la chanson « Sweet Black Angel », sorti en 1972. John Lenon et Yoko Ono sortent également un titre à son honneur, lors du mouvement de protestation réclamant sa remise en liberté, intitulé « Angela ». Quelques années plus tard, Pierre Perret évoque également la militante dans sa chanson « Lily » : « Mais dans un meeting à Memphis, Lily, Elle a vu Angela Davis. Qui lui dit viens ma petite sœur, en s’unissant on a moins peur des loups qui guettent le trappeur ». Daniel Balavoine en 1985, sort la chanson « Petite Angèle », inspiré des combats de cette dernière. Et puis en 2010, le chanteur Yannick Noah signe la chanson « Angela », un hommage entraînant à celle qui a été un modèle pour des générations entières.

À 77 ans, Angela Davis continue d’influencer le monde militant et est toujours considérée comme l’une des plus grandes figures de la lutte pour l’égalité des afro-américains aux États-Unis. Elle rentre même en 2019 au National Women Hall of Fame, aux côtés de Maya Angelou, Eleanor Roosevelt ou encore Ruth Barder Ginsburg. En 2020, elle est nommée « femme de l’année 1971 » par le Time, lors d’un numéro spécial retraçant les 100 femmes qui ont marqué l’histoire, à l’occasion des 100 ans du droit de vote des femmes aux États-Unis.