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Note de lecture : La rage des intellectuels

Note de lecture-Par El Hadj Ibrahima Ndaw : “50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique ?”

Les intellectuels d’Afrique s’insurgent…

“La situation actuelle de l’Afrique est singulière sur le globe : continent gorgé de richesses humaines et naturelles, mais continent paupérisé, assisté et fragilisé”.

(Makhily Gassama, In “50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique ?”)

 

Ceux qui se sont intéressés à la marche du continent africain ont toujours soutenu que le XXIème siècle sera celui de l’Afrique. Le peuple a toujours vécu en nourrissant l’espoir que ce rêve sera un jour réalité.

Le Sénégal en effervescence

Cette grande scène de théâtre en plein air –la politique politicienne- tant décriée par nombre d’observateurs politiques a engendré au Sénégal, de 2021 à 2024, des personnages grossiers, au langage limité, évoluant dans un décor teinté de sang et de larmes ; et cette scène a connu son épilogue en mars 2024 : le soulèvement de la jeunesse qui ne se retrouve plus dans ce système a balayé tous les doutes et libéré un peuple résilient et courageux dans sa détermination à s’affranchir du joug de l’injustice sous toutes ses formes.

Ousmane Sonko, chef du parti Pastef, un homme jeune au caractère trempé et ses hommes ont galvanisé le peuple et imprimé dans l’esprit de la jeunesse des images très fortes d’hommes de parole parus et de conviction. Ces hommes ont été persécutés, emprisonnés, torturés et certains ont simplement disparu. Du jamais vu au Sénégal ; une psychose s’est installée qui avait fait craindre le pire pour la stabilité du pays.

Le pouvoir avait en face de lui un homme au caractère trempé, jeune, courageux, intelligent et que personne n’attendait. Avec un parcours assez élogieux, ce syndicaliste, cet inspecteur des Impôts et Domaines irréprochable en soi avait été limogé pour avoir débusqué les irrégularités fiscales des membres de l’Assemblée nationale. Son renvoi sans salaire a produit un choc et provoqué son entrée en politique. Commence alors l’aventure de l’homme aux mains nues et propres, qui fera trembler le pouvoir en place jusque dans ses fondements les plus cachés. Et le peuple a pu mesurer ainsi l’ampleur des dégâts et casseroles que les tenants du régime peinaient à dissimuler, allant de parjure en parjure. Sonko a une force de persuasion qu’il tire de sa connaissance des niches de fraudes et de l’observation des actions gouvernementales. En plus d’être un véritable tribun, c’est sa dénonciation des injustices rencontrées qui explique en grande partie que toute la jeunesse s’identifie à lui plus qu’à un autre. Sa force, il la tire également de la clarté de sa vision déclinée dans un ouvrage “Solutions’’. Sonko est un vrai phénomène politique ; le peuple adhère fortement à ses idées car c’est de la prison, empêché alors de se présenter à la Présidentielle de mars 2024, qu’il a désigné son suppléant en la personne de Diomaye Diakhar Faye. Ce dernier fut élu avec plus de la moitié des suffrages exprimés. Pastef est ainsi au pouvoir et le peuple est intimement convaincu que le Sénégal sera réellement indépendant.

L’appel des intellectuels africains

C’est au vu de tout cela que l’ouvrage, “50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique ?’’  constitue un rappel nécessaire et dans mes notes de lecture de leur ouvrage, j’avais écrit ceci : “Il y a des moments dans l’évolution d’une Nation où la réflexion s’impose, pour savoir pourquoi rien ne bouge dans le bon sens, le sens souhaité, c’est-à-dire dans la prise en compte effective des aspirations des populations. Les ressources sont là, qui ne demandent qu’à servir. C’est à cet exercice auquel se sont livrés des intellectuels africains en 2010, sous la direction de Makhily Gassama”.

Ils bouillonnent de rage, ces intellectuels qui ont choisi de diagnostiquer les 50 ans d’indépendance de l’Afrique. Sous la conduite de M. Makhily Gassama, une trentaine de sommités africaines ont choisi de confier leurs impressions sur la manière dont l‘Afrique a été managée pendant 50 ans. Le titre “50 ans après : quelle indépendance pour l’Afrique ?’’ sonne comme une interrogation anxieuse. A la lecture des différentes contributions, on se rend compte que chacun des écrivains a abordé la question sous l’angle de son choix. Une option lucide et courageuse qui rend compte d’un vécu ou qui analyse une situation donnée –une analyse critique – telle qu’on l’attend d’un intellectuel respectable et sans parti pris.

Après la grande guerre mondiale, l’exposition coloniale du 6 mai 1951 qui a étalé toute la puissance de la France à travers son empire colonial, l’année 1960 est devenue une période charnière dans l’évolution d’une vingtaine de pays africains. La guerre que se faisaient les deux blocs (la guerre froide), l’effervescence généralisée, la poussée vers l’indépendance étaient si fortes que les “leaders politiques se sont retrouvés débordés. N’eût été le “réalisme sournois’’ ou “le maléfique verrou françafrique’’ habilement concocté par le Général de Gaulle, l’engouement de l’époque, alimenté par l’exigence des intellectuels et des masses paysannes pour une gestion libre de leurs pays, aurait conduit à une souveraineté réclamée et acquise au prix d’insupportables et douloureuses violences, préfigurant l’embrasement d’une bonne partie de l’Afrique. Car la France, dans son acharnement à garder ses colonies, a utilisé tous les moyens aussi perfides que meurtriers pour neutraliser toutes velléités de contestations ou de soulèvements.

Retracer l‘aventure de ces pays libérés depuis 1960 jusqu’à ce jour est le pari largement tenu par ces intellectuels d’un genre nouveau. Des intellectuels qui estiment qu’ils ont le droit et le devoir de donner un avis sur la marche du continent, sur la manière dont il est géré, sur ses richesses et son potentiel économique. II a beaucoup été question dans ce volume d’expériences personnelles pour les uns et de réflexions profondes pour les autres. Une constante demeure dans toutes les analyses qui sont faites. Il s’agit de la place qu’occupe l’homme dans la gestion du continent. Car l’homme est au début et à la fin de tout processus. L’homme avec ses forces et ses faiblesses, son intelligence et sa capacité à refuser ou non la compromission dans l’intérêt des peuples. Quel rôle trois siècles de colonisation ont joué dans la formation de cet homme ?

Tanella Boni y répond en soutenant que “indépendance est un mot magique en 1960 qui a suscité beaucoup d’enthousiasme et fait chanter et danser des milliers d’Africains. Cinquante ans après ce moment festif et inaugural, les systèmes éducatifs posent problèmes, les écoles ont perdu le sens de leur propre rythme, les universités ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes, le chômage a fait son apparition et les jeunes continuent de chercher leur place entre violences urbaines et rêves de l’ailleurs.’’ Quand, dans notre jeunesse, nous nous rappelions que nous récitions souvent ce bout de phrase “nos ancêtres les Gaulois’’, nous mesurons à quel point nous avions été vassalisés dans notre schéma mental.

Voilà une situation que les auteurs, en filigrane, ont cherché à diagnostiquer dans son fondement comme dans ses prolongements actuels. Pour découvrir tout simplement que tout ce qui arrive à l’Africain est la faute de l’Africain lui-même. Absence de démocratie, accointance avec les fameux réseaux de la françafrique – la françafrique toujours présente sous diverses formes – qui plombent et retardent le développement du continent. Demba Moussa Dembélé pense que “parmi les instruments qui plombent le développement des pays africains figurent la préservation des structures économiques coloniales avec le CFA qui participe au pillage des économies africaines et les accords de défense ; le tout enrobé dans un document sinistre appelé le “Pacte colonial’’.

Abdou Latif Coulibaly décortique les maux qui plombent le développement de l’Afrique en invoquant la gouvernance qui apparaît comme un facteur plus pénalisant avec son corollaire qui est la corruption, moteur d’un système handicapant pour l’Afrique. Tout ceci conduit à la faillite de la gouvernance d’Etat.

C’est donc à une introspection, une réflexion en profondeur que nous convient ces braves et lucides intellectuels. Il y a aussi ce morcellement de l’Afrique – balkanisation – que nous acceptons comme une tare nécessaire alors qu’ailleurs les grands ensembles naissent et grandissent. Chaque pays s’arcboute sur ses prérogatives de souveraineté nationale factice et refuse de lever les yeux et d‘observer le monde qui l’entoure.

Pourtant, que d’espoirs enfouis dans ce peuple africain ; M. Yash Tandon explique que même si l’avenir demeure une énigme, il n’est pas impossible de déceler de grandes tendances qui permettent de faire des prévisions bien fondées concernant l’avenir et l’espoir qu’il laisse miroiter.A ce titre, la prévision, que le XXIème siècle sera le siècle de l’Afrique est fondée sur une analyse pointue de la manière dont elle a été grugée au niveau des pactes et traités internationaux, de la prise de conscience de la génération actuelle de dirigeants africains.’’

Le sursaut de l’Afrique

Les dirigeants africains actuels commencent à l’admettre :  une rupture s’impose car nous ne devons plus laisser les autres s’occuper de notre destin. J’invite sur ce plan M. Makkily Gassama à solliciter tous les intellectuels d’Afrique et de la Diaspora autour du thème de l’Unité africaine. Ce thème pourrait s’intituler : “Le peuple et l’Unité de l’Afrique : enjeux et perspectives’’. Il est heureux de constater que trois Etats sahéliens, Burkina Faso, Mali et Niger, ont décidé de s’organiser autour d’une Alliance des Etats du Sahel –AES-. Ce sursaut de ces trois Etats donnera peut-être une âme à l’Afrique même si beaucoup reste à faire.

Il y a également que la démocratie et la notion d’Etat de droit sont absentes dans beaucoup de régions d’Afrique. La frilosité et la propension de certains dirigeants à vouloir à tout prix conserver le pouvoir tue le débat d’idées et fausse le jeu démocratique. Alors une question : comment le peuple peut-il changer ce qu’il a (de mauvais) en lui-même ? La première certitude est qu’il ne faut plus rien laisser aux seuls politiques. Et cela, l’initiateur de ce débat livresque, Makhily Gassama, l’a compris. Sa tentative est à saluer et à encourager même si elle est souvent circonscrite à des évènements liés à une apostrophe ponctuelle de l’Afrique : en l’occurrence, dans “L’Afrique répond à Sarkozy’’ et dans “50 ans après quelle indépendance pour l’Afrique ?’’, il s’est agi en effet de répondre à une interpellation extérieure ou une interrogation sur ce qu’est réellement l’Afrique d’une part et comment elle a évolué depuis l’indépendance d’autre part. Ces deux ouvrages constituent à tout point de vue des œuvres majeures pour une prise de conscience collective. Des œuvres qui doivent faire date et qui font date actuellement pour tous les questionnements qui nous assaillent dans notre vécu quotidien.

On explique souvent le miracle asiatique par le caractère rassembleur de sa culture – dans sa diversité- et par le refus de céder parfois aux “potions miracles’’ du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Pourtant comme en Afrique, cette partie du monde n’a pas été exempte de troubles. Nous devons donc croire avec Spéro Stanislas Adotévi qu’il est temps que “l’Afrique se donne les moyens d’une nouvelle vision, les moyens d’une réforme de la pensée.’’

Même si, d’après les analystes, après 50 ans d’indépendance, comme le souligne Makhily Gassama, l’Afrique se définit comme un continent qui manque de grands rêves, un empire du pacte colonial, une aventure ambigüe, etc., on a relevé que des ressorts existent tant au niveau des ressources humaines qu’au niveau du potentiel économique.

Même si dans certains pays les méthodes de gouvernance sont souvent sources de violences tribales ou ethniques, restons confiants. “Soyons donc les enfants de Dieu, ses bien-aimés, efforçons-nous de remplir nos cœurs d’amour désintéressé, de bonté, de tendre compassion et de clémence’’ comme nous l’enseignent les textes sacrés”.

Les auteurs sont tous d’accord qu’il faut démocratiser la gestion de nos pays respectifs, la rendre plus transparente, et surtout travailler au renforcement des cœurs pour la construction de l’Unité africaine. Un livre qui doit être un bréviaire pour tout Africain responsable. Ces auteurs, sans rien demander en échange, ont travaillé par patriotisme à la confection de cet ouvrage et ils méritent la reconnaissance de la Nation.

Au-delà des colloques, des études et des réunions, la recherche de l’Unité africaine doit toujours demeurer vivace dans les esprits. Il faut que les intellectuels d’Afrique soient les éléments déterminants d‘un brassage continu et permanent autour du concept.

Balayons donc, avec vigueur, de chaque pays, les scories de la mal gouvernance, le népotisme et l’incurie ambiants et les effets néfastes de la Françafrique. Puisons dans ce qu’ont laissé de souffrances physiques, morales la traite négrière et la colonisation, les enseignements capables d’impulser à notre continent le souffle vivifiant d’une Grande Afrique qui émerge et imprime son empreinte dans la marche du monde.

Voilà autant de sujets de réflexion que nous livrent avec humilité mais aussi avec courage les auteurs de cet ouvrage. Ils méritent à ce titre le respect de l’Afrique toutes générations confondues.

Ibrahima NDAW
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Editions Philippe Rey  : “50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique ?’’