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« Mbarodi » Assane Seck (1er février 1919-27 novembre 2012), Meurtri mais obstiné: Il était un farouche partisan de la morale en politique Par El Hadj Ibrahima Ndaw

Il y un peu plus de dix ans, en janvier 2009, le Collectif des cadres casamançais célébrait le 90ème anniversaire du professeur Assane Seck». A cette occasion, notre chroniqueur de septembre, El Hadji Ibrahima Ndaw que tant de souvenirs attachent à la Casamance a délivré un émouvant discours en faveur du Professeur Assane Seck dont il a loué les immenses « qualités d’universitaire et d’homme politique. Un bel exemple pour la jeunesse africaine car le thème est toujours actuel ».

A l’occasion du 8ème anniversaire du décès du professeur, « Le Devoir » revient sur les lieux de l’hommage à ce « Lion » meurtri mais obstiné, qui voulait introduire la morale en politique. L’hommage à cet  « homme de toutes les ethnies » est plus que jamais d’actualité au vu des récents événements.

MES RENCONTRES AVEC ASSANE SECK…   

Au professeur Assane Seck, au doyen à l’allure imposante, à la chevauchée royale, défiant les obstacles mortels placés sur son long parcours politique, je déroule le tapis rouge du respect. Devant l’homme qui a incarné toutes les vertus face à l’adversité la plus implacable et la plus féroce, je m’incline avec humilité, fasciné par tant de ténacité et de grandeur d’âme.

Assane est un homme de toutes les ethnies, né à Inor dans les entrailles d’une Casamance verte, belle et reposante où la nature généreuse a permis l’ancrage d’une multitude d’ethnies vivant dans une harmonie totale. Assane est un métis culturel qui a grandi au milieu de sensibilités diverses et s’est donc abreuvé aux sources fécondantes d’un univers cosmopolite. Assane est un homme trempé et modelé dans le terreau d’une éducation rigoureuse où les valeurs « endurance », « connaissance », « justice » et « paix » constituent le socle sur lequel repose toute action à visage humain.

Ma première rencontre avec Assane Seck remonte aux années de braise. Celles des luttes pour les indépendances. La politique avait alors envahi toutes les demeure,s jusque dans les foyers estudiantins. Des disputes, qui n’en finissaient pas, naissaient très souvent des clivages exacerbés pouvant aboutir à des affrontements.

L’arène politique était ainsi partout, dans la rue, dans les lycées, à l’université. Les noms des politiciens les plus en vue meublaient les conversations. Celui d’Assane Seck revenait de temps en temps et les péripéties de son périple se racontaient, teintées d’incompréhension. Car disait-on, voilà un homme politique qui répugnait à la lutte armée et dont le seul moyen de défense se résumait aux arguments qu’il défendait inlassablement, sur la paix, la liberté et le développement ; un homme donc qui a subi toutes les brimades inimaginables pour avoir souhaité de tous un changement de comportement dans la conduite des affaires politiques. Pour lui, il faut comprendre la voie politique comme un devoir, un sacerdoce au service exclusif des populations. C’est un homme meurtri certes mais particulièrement obstiné dans son engagement.

L’époque était dure. Les affrontements, les embuscades laissaient parfois sur la route des cadavres de militants et de populations civiles. C’était d’abord un combat pour l’indépendance, ensuite un combat pour le contrôle de l’appareil d’Etat.

A force de le voir encaisser les coups sans les rendre il en devenait presque un symbole. Il se développait autour de sa personne un air de gène car peu de personnes comprenaient mal l’entêtement de cet homme qui ne voulait point user de violence dans ce monde de politiciens féroces. La conviction qu’il avait, d’œuvrer pour le bien-être des populations, le fortifiait dans la poursuite de ce combat de Sisyphe. Ses activités dans le PRA-Sénégal ont été si mouvementées que ses partisans ont craint à tout moment pour sa vie.

Assane fait assurément partie de la race de ces hommes qui ont cherché ainsi à relever le défi du développement dans un environnement agité et guerrier. C’est dans ce contexte qu’il a acquis à sa cause un pan entier des populations casamançaises et que le surnom de ‘’Mbarodi’’ (Le Lion) lui est attribué.

Ma deuxième rencontre avec Assane Seck est une image. Elle m’a fortement marqué. Chaque fois que j’entends parler de lui elle me revient toujours à l’esprit.

Ibrahima Ndaw
Ibrahima Ndaw

C’est l’image d’un homme de grande taille, debout sur la passerelle d’un bateau menottes aux poignets, promenant sur une foule pétrifiée un regard fier et serein. Il venait de tomber dans un des innombrables pièges qui ont parsemé son chemin et l’ont conduit en prison.

Une scène intense d’émotion mais aussi pleine de symbolisme : celui d’une liberté bâillonnée. Une liberté pour laquelle il s’est battu pendant une trentaine d’années.

Cela me rappelle Patrice Lumumba au Congo qui, avec moins de chance, fut battu, menotté et conduit à l’abattoir. C’était le traitement, en général, infligé par les nostalgiques de l’ère coloniale, à tous ceux qui entravaient leur tentative de récupération de leurs positions perdues. Aujourd’hui encore, quand je croise le regard de cet homme, c’est la même détermination et la même sérénité que j’y retrouve, au crépuscule d’une vie bien remplie.

Ma troisième rencontre avec Assane est un livre : ‘’Sénéga,l Emergence d’une démocratie moderne, 1945-2005. Un itinéraire politique’’.

Ce livre nous révèle les facettes cachées de l’homme politique, les valeurs issues du terroir qui l’a vu naître et qu’il porte en lui-même : valeur de travail, d’endurance, de justice, de probité morale. C’est le refus de la facilité qui tue l’initiative et annihile la créativité. C’est le besoin de vérité et de justice dans le dialogue et la solidarité avec les plus démunis, gage de générosité dans l’action. Ce livre écrit dans un style simple a fini de me convaincre qu’Assane recherchait un idéal d’action qu’il pensait à chaque fois trouver dans chacun des partis qu’il a intégrés.

Pendant la période où il entre de plain-pied dans cette « jungle » politique, africaine et particulièrement sénégalaise, Assane Seck fait une description vivante de son incroyable itinéraire qui me plonge dans les dédales souvent obscurs, heurtés et parfois meurtriers de la vie politique.

Les réalités dans les partis politiques ne correspondent pas toujours aux déclarations et programmes affichés.  Au départ,  ils sont tous pour le progrès social des masses, pour leur développement dans la paix. A l’arrivée, ils se retrouvent minés par les luttes d’influence et de positionnement. Seul l’intérêt particulier compte, et très souvent le peuple est utilisé à cette seule fin.

C’est donc en relisant bien son ouvrage que j’ai remarqué toujours une constante dans ses positions : faire de la politique mais dans le respect des valeurs humaines. Ce qui était rare dans la situation de lutte pour l’indépendance que connaissaient nos pays africains ; une période trouble où les préoccupations divergeaient entre les membres d’une même formation, exacerbées parfois par l’influence extérieure.

Par ce souci constant et toujours exprimé de vouloir travailler pour les masses populaires, de refuser les compromissions quand l’intérêt du peuple est en jeu, de respecter la vie humaine – des traits de caractère forts et bien appréciés – ce pionnier de la politique africaine gagnera l’estime des masses paysannes ; ce qui en fera un homme incontournable dans le paysage politique mais en même temps un homme qui dérange.

En fait, dans tout son parcours, dans toute sa lutte, il a vécu avec un moral fort : en d’autres termes, malgré tous les coups qu’il a reçus, il a tenu bon en conservant intactes ses convictions morales ; il a ainsi voulu, à mon sens, faire entrer la morale en politique, dans un continent qui se cherche et qui a fortement besoin de moraliser sa vie politique.

De nombreux témoignages attestent qu’au plus fort de ses combats politiques, alors que ses proches craignaient pour sa vie, lui prônait l’apaisement, le dialogue, argumentant que le peuple n’a point besoin de meurtrissures. Il était toujours animé par sa quête perpétuelle et inlassable de morale dans l’action politique.

J’étais déjà sous le charme d’Assane Seck quand en 2008, j’ai eu l’opportunité, en compagnie de quelques membres du Collectif des Cadres casamançais, d’être en face, pour la première fois, de cet homme légendaire. Je suis resté sans voix, ému et quelque peu troublé par son port majestueux, nullement entamé par l’âge et les vicissitudes de son itinéraire politique. J’ai trouvé également un homme simple, avenant, humble. Un homme qui, avec un léger sourire, minimise la portée des actes qu’il a posés tout au long de sa vie universitaire et politique.

L’hommage que lui a fait le Collectif des Cadres casamançais est amplement mérité, car il laisse en héritage à la postérité, à la jeunesse des actes et un document riches en enseignement. Sa vie est un phare pour tous ceux qui voudraient pénétrer dans les dédales obscurs de la politique : engagement, courage, obstination et surtout langage de vérité.

Son souci demeure aujourd’hui la paix définitive en Casamance. Cette Casamance naguère belle et maintenant dans la souffrance, prostrée, livrée aux coups de boutoir de ceux qui, hier encore, étaient frères de sang. Assane Seck s’est investi totalement dans la recherche de la paix qu’il a contribué à amorcer. Dans le cri du cœur qu’il lance, je retiens ceci : « Le langage de paix que crie actuellement l’écrasante majorité des Casamançais de tous âges sera certainement entendu et accepté en vue d’orienter toutes les énergies nationales vers l’objectif majeur du développement intégral ». Un puissant espoir que doivent partager tous les hommes épris de paix et tous ceux qui souffrent dans leur chair.

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