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Législatives : And The Winner Is…

Le triomphe au soir du 24 mars 2024 avec 54,29% des suffrages exprimés garantira-t-il une majorité absolue aux élections législatives du 17 novembre prochain ? Par une représentativité départementale semblable à la Présidentielle, la domination sera maintenue dans 26 des 46 départements du territoire, correspondant à 63 sièges du scrutin majoritaire. En plus des 20 sièges récoltés en proportionnel et dans la Diaspora, le Pastef disposerait de 83 à 98 sièges. Quant à une hausse du score à 74%, cela correspondrait à 76 sièges remportés dans 34 départements, d’où un nombre total de sièges situé entre 115 et 130.

Le pari n’est pas encore gagné. Aucun adversaire ne doit être sous-estimé dans ces prochaines élections législatives. Le bilan semestriel du Pastef au pouvoir suscite des avis divergents dans l’opinion publique et aura un impact sur les reports de votes.

Législatives

Le second tour                             de la Présidentielle

De notre correspondant en France

Séga Fall MBODJI,

Consultant Business Analyst,

Ingénieur statisticien,

segafall.mbodji@gmail.com

Mathématicien du Risque,

« … La majorité parlementaire a décidé de ramer à contre-courant de la volonté du peuple sénégalais pourtant clairement exprimée au soir du 24 mars 2024. D’abord en refusant le 29 juin 2024 de tenir le débat d’orientation budgétaire pourtant obligatoire pour le motif simpliste d’une supposée attaque reçue sur le terrain politique… Ensuite, en rejetant le 29 août 2024 le projet de loi constitutionnel visant à concrétiser la promesse que j’ai faite au peuple de supprimer le Haut conseil des Collectivités territoriales (HCCT) et Conseil économique, social et environnemental (CESE) alors que la situation des finances publiques impose urgemment de rationaliser les dépenses publiques. Enfin, en allant jusqu’à l’usurpation des prérogatives constitutionnelles du président de la République pour fixer une date pour la Déclaration de Politique générale (DPG) en violation flagrante de l’article 84 de la Constitution et de l’article 97 de la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Sans parler de la menace d’une motion de censure que la majorité fait planer sur le gouvernement… Je dissous l’Assemblée nationale… ». Extrait de l’allocution du président de la République Bassirou Diomaye Faye en date du 12 septembre 2024. En ces termes, le président a dissous l’Assemblée nationale et appelé aux urnes les citoyens sénégalais le 17 novembre 2024 pour les élections législatives.

Cette dissolution n’est pas une surprise pour les élus qui savaient que l’Assemblée serait dissoute par un nouveau régime. Rappelons qu’un député est élu pour représenter la Nation et participe à l’exercice de la souveraineté nationale. Il vote des lois et contrôle l’action du gouvernement. Chaque député parle et agit au nom de l’intérêt général et non pas au nom d’un parti politique, d’un groupe d’intérêt. Malheureusement, cette ex-assemblée nationale aux couleurs de l’Alliance pour la République (Apr) a failli lamentablement à sa mission : l’objectif primaire de sa majorité parlementaire était de défendre les intérêts de son mentor Macky Sall ; son candidat à l’élection présidentielle Amadou Bâ qui prônait la continuité a été sévèrement lynché dès le 1er tour par le plus farouche opposant, le Pastef de Ousmane Sonko. Cela a suscité une haine viscérale et abyssale au sein de l’Apr envers l’actuel régime. Ils ont donc décidé d’user de leur représentativité parlementaire comme arme destructrice pour saboter les ambitions politiques du gouvernement. L’arrogance et le comportement indésirable dans l’hémicycle de la plupart des députés devraient même motiver cette dissolution. Le peuple sénégalais qui a élu Diomaye Faye dès le 1er tour de l’élection présidentielle sait pertinemment qu’une bataille a été remportée, mais pas encore la guerre. Il a compris que cette cohabitation parlementaire n’était qu’une épée de Damoclès qui planait au-dessus du régime ; sans une majorité absolue, gouverner sereinement serait une mission impossible.
Si le président a dissous l’Assemblée nationale, c’est parce qu’il espère disposer d’une majorité absolue ou bien, dans le pire des cas, obtenir une répartition plus uniforme du pouvoir législatif. Maintenant, le triomphe au soir du 24 mars 2024 avec 54,29% des suffrages exprimés garantira-t-il une majorité absolue aux élections législatives du 17 novembre prochain ? Telle est la question qui suscite des interrogations dans l’opinion publique.

Macky Sall – Khalifa Sall – Abdoulaye Diouf Sarr – Soham Wardini – Barthélémy Dias – Bamba Fall 

La connaissance des reports de votes, d’une part, renseigne au sujet du positionnement respectif des électorats, de l’ordre de priorité qu’ils attribuent aux différentes thématiques du débat public, de leur fidélité partisane et de leur degré d’information politique. À ce titre, ils sont susceptibles d’intéresser les formations politiques et les candidats eux-mêmes dans l’élaboration ex ante de leurs stratégies électorales et dans leur évaluation ex post. D’autre part, connaître les reports de votes permet de construire des prédictions des résultats.
L’estimation produite par un sondage va dépendre de l’échantillon tiré, avec pour corollaire l’existence d’un inévitable écart entre le paramètre et son estimation. Cet écart est quantifié en termes de probabilité associée à un sondage. Cependant, les tailles d’échantillon utilisées et le très faible taux de réponse génèrent de telles incertitudes qu’il est difficile de conclure quoi que ce soit à partir de ces sondages. Par exemple, en France, à 48 h du second tour des élections législatives du 7 juillet dernier, la projection en siège témoigne du démarquage du Rassemblement national et de ses alliés, qui serait situé entre 175 et 205 sièges. Ils se sont finalement retrouvés avec 143 sièges, très loin d’une majorité absolue, et ont compris que les sondages n’étaient qu’illusion.
En démocratie, le vote de chaque électeur est confidentiel. À chaque tour d’une élection, seul le résultat agrégé des votes est connu, et le niveau le plus fin d’agrégation est donné par le bureau de vote. Les reports d’un vote à un autre sont inconnus, et leur estimation à partir des résultats agrégés nécessite de définir un modèle statistique. En effet, la décision individuelle de chaque électeur n’obéit à aucune fonction déterministe.
En statistique, c’est la répétition qui permet de savoir si l’estimation d’une probabilité est pertinente. Or c’est le propre d’une élection que de ne se produire qu’une fois. Les probabilités de report du candidat i au candidat j diffèrent a priori entre électeurs d’un même bureau et entre bureaux. Estimer la probabilité qu’un électeur ayant fait un des 20 choix possibles (par exemple l’abstention) au premier tour du 24 mars 2024 en fasse un des n possibles le 17 novembre prochain (par exemple l’abstention) est un exercice compliqué mais indispensable si on souhaite vraiment estimer la probabilité de victoire d’un candidat.

En 2024, l’arène politique est traversée par un vent du désert aux multiples rebondissements :

– un « deux poids deux mesures » sur la binationalité : invalidation de la candidature de Karim Wade et validation de celle de Rose Wardini, tous deux détenteurs de la nationalité française ;
– le report du scrutin par Macky Sall à quelques heures avant le début de la campagne électorale du 3 février. Cette décision qualifiée de « régression démocratique » et « coup d’Etat constitutionnel» entraîne une crise politique avec de violents affrontements devenus mortels ;
– annulation du report par le Conseil constitutionnel ;
– vote de la loi d’amnistie le 6 mars ;
– tentative de dialogue national ;
– Décision finale du Conseil constitutionnel : rejet de l’ensemble des décisions prises lors du dialogue (organisation de l’élection le 2 juin, possibilité de modifier la liste de candidats, prolongation du mandat du président sortant).
Le résultat de l’élection présidentielle représente en effet un soulagement pour la population et les partenaires extérieurs du Sénégal, après le choc du report des élections et de l’emprisonnement de nombreux candidats. La victoire très nette de Diomaye Faye, suivie de sa reconnaissance très rapide par le gouvernement sortant et son candidat, permet en effet d’ouvrir la voie à une transition apaisée malgré les vives tensions de la campagne électorale. La démocratie sénégalaise sort ainsi renforcée, dans le contexte d’une Afrique de l’Ouest marquée par une succession de prises de pouvoir par des militaires.
Malgré l’effectif exagéré des prétendants à la présidence, seulement 19 ont réussi à passer le filtre du parrainage et participer au 1er tour. Par la suite, le scrutin s’est réduit en duel entre Amadou Bâ et Diomaye Faye qui ont obtenu 90% des suffrages exprimés réunis. Les suffrages des autres candidats n’étaient que résiduels.

Les candidats Amadou Bâ et Diomaye Faye se sont nettement démarqués des autres.

Observons de plus près ce duel, particulièrement dans les 46 départements du Sénégal.


Nous constatons une asymétrie de la distribution, inversée entre Amadou Bâ et Diomaye Faye, des voix récoltées par chaque candidat. Cela montre l’opposition de forces entre eux dans les différents départements, avec une dispersion des résultats un peu plus accentuée chez Diomaye Faye.
Le profil d’Amadou Bâ présente un cas atypique : les 315.863 électeurs de la région de Matam, dans les 3 départements Ranérou, Matam et Kanel, ont largement propulsé Amadou Bâ avec un ratio de 8 à 10. Cette région demeure un fief de l’Alliance pour la République.
Amadou Bâ et Diomaye Faye ont battu campagne dans l’ensemble des départements du territoire. Même si leurs stratégies de vanter les bienfaits de leur programme diffèrent, il existe des groupes de départements homogènes, partageant des caractéristiques électorales similaires. La campagne des 2 candidats a produit les mêmes effets au sein de ces groupes avec un impact différent entre ces groupes.

Au vu de ces résultats dans les 46 départements, les sauts d’inertie du dendrogramme ci-dessus permet de visualiser des sauts assez nets à 2, 3, 5 et 6 groupes départementaux. A partir de 6 groupes, l’adjonction d’un groupe supplémentaire n’apporte pas une information significative.

Par exemple, ci-dessous le découpage territorial en 6 groupes départementaux.


Les départements appartenant au même groupe présentent un comportement électoral similaire. Cependant, il y a des dissimilarités entre départements de groupes différents.
Par ailleurs, les politiques se sont appuyés sur le multicultarisme du pays qui met l’accent sur la fonction sociale des organisations communautaires telles que l’ethnicité, les confréries religieuses, etc. La présence d’Amadou Bâ est plus marquée dans le Nord et le Nord-Est, tandis que Diomaye Faye est très bien représenté dans le Sud. Ils s’opposent nettement dans ces zones géographiques (cf. schéma ci-dessous).

L’opposition Nord/Sud est assez naturelle du fait des origines des leaders des familles politiques Apr et Pastef, d’où le fameux dicton « Niit, mbokam ». Dans les départements des régions du Centre, les candidats manifestent une force plus ou moins équilibrée, avec un démarquage de Diomaye Faye.
A l’issue du 1er tour de l’élection présidentielle, Diomaye Faye est sorti vainqueur avec un record historique de 54,29% des suffrages exprimés. Un peu plus de 5 mois après son entrée en fonction le 2 avril 2024, Diomaye est à l’œuvre et tente de s’attaquer aux nombreuses priorités et questions urgentes telles que la gouvernance, le renforcement de l’Etat de droit, la lutte contre la corruption, la souveraineté économique et le bien-être social des Sénégalais. Ses prises de parole sont attendues et ses sorties officielles guettées, épiées et analysées sous tous les angles. Les actes posés sont sévèrement critiqués par les opposants qui cherchent à faire baisser sa cote de popularité. Mais les Pastefiens se dressent en bouclier contre eux pour défendre leur projet qui nécessite maintenant, pour sa réalisation, une majorité parlementaire. La conquête de l’hémicycle sera-t-elle à la portée des Pastefiens ?
A chaque élection, nous assistons à une transmutation de l’arène politique sénégalaise : émergence de formations politiques, alliances aléatoires, trahisons, achats de consciences, etc. Or ces paramètres influent sur les reports de vote qui modifient l’issue d’un scrutin. Donc Pastef pourrait voir son pourcentage baisser ou dépasser 54% lors des législatives.
Sur les 4.466.527 votants, le cumul des suffrages dans les 46 départements représente 51,86% et 34,82% pour Diomaye Faye et Amadou Bâ respectivement. Considérons les statistiques de Diomaye Faye.

Par la théorie de la distribution d’échantillonnage, nous allons reproduire le scénario de l’élection présidentielle avec 10.000 réplications puis estimer les indicateurs de tendance centrale et de dispersion avec un niveau de confiance de 95%. En considérant les fluctuations des résultats, nous construisons des intervalles de confiance pour voir jusqu’à quel niveau le score de Pastef pourrait baisser ou augmenter.

En plus des abstentionnistes, s’il y a des reports de votes en défaveur du Pastef dans les prochaines élections législatives, celui-ci pourrait se retrouver avec une dégradation de son score jusqu’à 38,76% des voix. Une forte mobilisation de la jeunesse semblable à l’élection présidentielle apporterait une tendance haussière jusqu’à 74,11% des voix.
L’article L.151 du Code électoral a porté à 97 le nombre de députés à élire au scrutin majoritaire départemental à l’intérieur du pays et 15 dans la Diaspora. Les 53 sièges restants sont pourvus au scrutin proportionnel plurinominal sur la base du total des voix des partis additionnées au niveau national. Une régression du score à 38% implique une dégradation d’environ 16% des résultats. Néanmoins, par une représentativité départementale semblable à la Présidentielle, la domination sera maintenue dans 26 des 46 départements du territoire, correspondant à 63 sièges du scrutin majoritaire. En plus des 20 sièges récoltés en proportionnel et dans la Diaspora, le Pastef disposerait de 83 à 98 sièges. Quant à une hausse du score à 74%, cela correspondrait à 76 sièges remportés dans 34 départements, d’où un nombre total de sièges situé entre 115 et 130.

Le pari n’est pas encore gagné. Aucun adversaire ne doit être sous-estimé dans ces prochaines élections législatives. Le bilan semestriel du Pastef au pouvoir suscite des avis divergents dans l’opinion publique et aura un impact sur les reports de votes.
Par exemple, le déguerpissement des marchands ambulants dans les rues de Dakar a engendré une colère noire et certains se sentent déjà trahis pour le régime. Les opposants profitent de ces situations pour manipuler et instrumentaliser les perceptions erronées. Le Pastef devra donc mener une campagne de sensibilisation citoyenne sur le rôle d’une Assemblée nationale et son impact sur la réalisation du projet. La désinformation des votants est un talon d’Achille qui infligera certes une pénalité au régime sur le chantier législatif