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Le cinéma de Meïssa Wade : Amours, colères & combats

Meïssa Wade, caméra au poing, cœur ouvert

Écrire, tourner, résister

Mon cinéma est africain dans son essence, diasporique dans sa forme, et universel dans ses émotions”.

Meïssa Wade, la nouvelle voix du cinéma sénégalais, trace son chemin entre engagement social et audace artistique. Lauréat du prestigieux prix “GREC France Télévisions” pour son court-métrage “Le Refus”, ce jeune réalisateur et scénariste nous livre un cinéma ancré dans les réalités locales, tout en embrassant une ambition esthétique et narrative sans frontières. Meïssa Wade transforme ses colères, ses amours et ses combats en films puissants. Rencontre avec un conteur habité, drôle, passionné et résolument libre.

Entretien dirigé par Cherifa Sadany Ibou-Daba SOW,

Cheffe du Desk Culture

Meïssa, peux-tu nous raconter comment a commencé ton histoire avec le cinéma ?

Dans mes souvenirs, tout a commencé avec le hip-hop. J’étais fasciné par cet univers : j’écrivais des textes, j’écoutais beaucoup Gaston, un artiste qui m’a vraiment inspiré dès mon jeune âge. Je racontais déjà des histoires à travers les mots, sans pour autant penser à les mettre en images. L’envie de créer était là, bien ancrée. Le vrai déclic est venu plus tard, grâce à un ami et frère, Babacar Hanne Dia. Il m’a introduit dans un ciné-club à Kaolack. C’est là que tout a commencé, réellement. Deux mois plus tard, je faisais mes premiers pas sur un plateau de tournage avec lui, sur son court-métrage “La pierre précieuse”. Et là, je me suis dit : “C’est ça que je veux faire. Je dois absolument réaliser un film.”

Tu es à la fois scénariste et réalisateur. Comment équilibres-tu ces deux casquettes dans ta démarche créative ?

Très simplement : quand j’écris, je range complètement ma casquette de réalisateur. À Kourtrajmé, on nous a appris qu’un scénariste doit penser comme un scénariste. Il ne doit pas écrire avec l’obsession de la mise en scène, mais se concentrer sur la clarté, la cohérence et la puissance de son récit. Une fois que je passe à la réalisation, je change de posture. Là, je cherche à comprendre le texte, à le traduire en image avec mon propre regard. La mise en scène, c’est un style, une vision, une lecture artistique. Et c’est, selon moi, la partie la plus exigeante. Il faut se challenger en permanence, rester curieux, ouvert, en éveil.

Ton film “Le Refus” a reçu le prestigieux prix “GREC France Télévisions”. Que représente cette distinction pour toi ?

C’est une immense satisfaction. Une forme de reconnaissance après des années de travail acharné. Ce prix, c’est plus qu’un trophée : c’est une validation artistique, une promesse que les rêves de quartier peuvent traverser les frontières. Ça m’encourage à continuer, à croire en mes histoires et en leur portée.

Peux-tu nous parler de la genèse du film ? Qu’est-ce qui t’a inspiré ce récit ?

Ce film est né d’une douleur collective. J’ai grandi dans un quartier où les récits d’émigration sont omniprésents : ils font le bonheur de certains, mais surtout le deuil des autres. Voir des jeunes prendre la mer, disparaître… C’est un fléau silencieux qui m’a toujours bouleversé. L’envie de parler de ce drame était en moi depuis longtemps. Il ne manquait qu’un déclencheur, une étincelle. Dans un contexte où la pauvreté, le manque de perspectives et la pression sociale poussent les jeunes à risquer leur vie, j’ai voulu raconter l’histoire d’un refus. Le refus de céder à la fatalité, le refus de partir à tout prix, même si l’environnement vous y pousse. C’est une prise de parole intime sur un phénomène profondément politique.

Le Refus” aborde-t-il des thèmes personnels, sociaux, politiques ? Qu’as-tu voulu faire ressentir au public ?

Avant tout, le film aborde des thèmes sociaux. Je voulais que le public ressente quelque chose de fort. De l’émotion, pure et brute. Au Sénégal, le cinéma social a une résonance particulière. Le spectateur s’y reconnaît facilement, car il retrouve sa vie, ses luttes, ses voisins, ses espoirs. Faire vibrer cette corde-là, c’était pour moi essentiel.

Où en es-tu aujourd’hui dans le processus de post-production du film “Le Refus” ?

Je suis actuellement à Paris, en train de finaliser la post-production avec le GREC et France Télévisions, dans l’un des studios les plus modernes de France. C’est une belle opportunité, une étape précieuse pour donner au film toute la qualité technique qu’il mérite.

Comment s’est passée l’expérience de tournage entre la France et d’éventuels autres territoires ?

Le tournage a eu lieu entre le Sénégal et la France. Et franchement, sortir de sa zone de confort, ça fait un bien fou ! Mon expérience en France a été très enrichissante, à tous les niveaux. Comme le dit Toumani Sangaré : « Le voyage forme la jeunesse. » Et je confirme : voyager m’a permis d’élargir mes perspectives, de voir autrement, de mieux comprendre mon propre cinéma.

Quelle place accordes-tu à la narration dans ton travail ? Tu écris d’abord ou tu visualises d’abord ?

La narration est au cœur de tout. Je suis du genre à visualiser le film du début à la fin, un peu à la manière de Djibril Diop Mambéty. Cette méthode m’aide à structurer le récit, à savoir précisément ce que je veux raconter et comment. L’image naît souvent de cette visualisation initiale.

Quelle est la plus grande difficulté quand on veut porter à l’écran une histoire aussi intime ou engagée ?

Toute histoire, qu’elle soit intime ou politique, est difficile à porter à l’écran. Et c’est tant mieux ! Dans mon cas, le défi était de proposer un angle de vue différent. De prendre des risques, d’assumer une forme de folie créative. Le vrai pari, c’était de tirer l’émotion à travers le jeu d’acteur. Chaque regard, chaque silence devait parler. C’était exigeant, mais nécessaire.

Quels cinéastes t’inspirent aujourd’hui dans ton écriture ou ta mise en scène ?

Alain Gomis. Ses films me touchent profondément. Il a ce don rare de mêler le silence et la parole, le réel et le symbolique, avec une justesse impressionnante.

Ton cinéma a-t-il une couleur africaine, diasporique, universelle ou un peu tout ça à la fois ?

J’aime jouer avec les couleurs, au sens propre comme au figuré. Dans “Le Refus”, chaque couleur portée par un personnage a une signification. Mon cinéma est africain dans son essence, diasporique dans sa forme, et universel dans ses émotions. Je veux qu’il parle à tout le monde, mais qu’il ne trahisse jamais ses racines.

As-tu d’autres projets en écriture ou en développement ?

Oui, j’ai un court-métrage déjà écrit qui attend une production. Un documentaire est également en gestation, ainsi qu’un projet de série. Je suis prêt à plonger à nouveau dans l’aventure.

Comment vois-tu l’évolution du cinéma indépendant en Afrique et en Europe ?

Tant qu’on tourne, tant qu’on produit, on progresse. C’est la régularité qui fait la maîtrise. L’Afrique a un vivier de talents incroyable. Et je crois que le cinéma indépendant africain peut égaler, voire surpasser celui de l’Occident, à force de travail, de passion et d’audace.